LA LIBÉRATION ET LE DON DE L’INCARNATION BONNIE L. GREENWELL (Dernier chapitre de ‘’When Spirit leaps : Navigating the process of spiritual awakening’’) Bonnie L. Greenwell est une psychothérapeute transpersonnelle, une autrice et une enseignante spirituelle non duelle dans la lignée d'Adyashanti. Depuis plus de trente ans, elle est spécialisée dans l'accompagnement de personnes qui vivent des expériences transformatrices liées à l'Eveil spirituel et au processus de la kundalini, qui a fait l'objet de ses recherches doctorales à l'ITP (Institute of transpersonal psychology) à Palo Alto, en Californie. Le Dr Greenwell a acquis une expérience éclectique, plus spécifiquement en travaillant dans des unités psychiatriques, dans un centre de réadaptation, comme directrice du Transpersonal Counseling Center de l'ITP, et via des années de pratique privée. Elle a également étudié la psychologie jungienne, la technique d'acupression Jin Shin Do®, la respiration holotropique, le ‘’Radiance Breathwork’’, le kundalini yoga, le kriya yoga, l’ashtanga yoga et de nombreuses pratiques de méditation bouddhiste. Fondatrice et ancienne directrice du Kundalini Research Network, elle a donné des conférences et formé des thérapeutes en Europe, en Australie et aux États-Unis. Le Dr Greenwell a également créé le Shanti River Center pour une éducation non duelle et un suivi psychologique, à Ashland, en Oregon. La Libération est un moment de retour au monde avec la conscience de qui nous sommes vraiment, sans résistance à la vie, à la forme ou à l'engagement. Bien que nous puissions ressentir le besoin de fuir le monde, nous n'y sommes pas attachés car, dans la Libération, nous découvrons notre contribution essentielle au Tout. Nous sommes ouverts à l'idée d'être spontanément guidés par l'univers, selon ses besoins. Nous respectons l'humanité et le caractère sacré de toute vie, même avec son existence illusoire, car nous percevons l'unité sous l'apparente diversité. En tant qu'êtres libérés, nous ne sommes plus divisés, parce que nous avons abandonné nos exigences et nos résistances à l'égard de ce qui est. Si une émotion surgit occasionnellement, nous n'avons aucune résistance ; nous lui faisons face et découvrons ses racines avec curiosité. Nous trouvons la liberté sans le besoin d'infliger aux autres nos éruptions internes, et elles passent, comme une forte bourrasque de vent. L'Eveil est à la fois un changement soudain (un saut quantique dans la perspective et dans le sens de qui je suis) et un changement progressif (au fur et à mesure que le reste de notre psyché et de notre corps-esprit se met au diapason pour soutenir le changement). Ce qui peut prendre le plus de temps, c’est la Libération. La réalisation nous libère des systèmes de croyances et des schémas émotionnels contraignants, mais la véritable Libération se traduit dans la manière dont nous vivons la réalisation, ce qu’on appelle communément l'incarnation, l’expression vécue de notre vraie nature. Lorsque nous sommes éveillés, le monde entier est une danse divine qui jaillit du néant, toujours fraîche et neuve, et il semble que notre ancienne vie n'était qu'un rêve. Il est possible que ce soit, comme si nous arrivions soudainement sur une autre planète et que, ne connaissant rien du territoire, nous ayons besoin d'une longue période d'orientation. Les bouddhistes zen appellent cela être un "bébé Bouddha", et certains disent que cela peut prendre jusqu'à douze ans. Nous nous déployons lentement dans une vie libérée.1 Au fur et à mesure que la réalisation s'incarne, nous participons au monde en nous coulant dans le flux naturel des choses, avec le sentiment d’y être appelés. Quelques-uns peuvent rester dans des grottes ou dans des monastères, mais la tendance moderne est de revenir et de rendre service. Il ne s'agit pas d'une directive ou d'une attitude mentale, mais d'un élan du cœur. Nous sentons que, si nous devons nous échapper du monde pour être libres, nous ne sommes pas aussi libres que çà, après tout. Si nous ne pouvons nous sentir heureux qu'en demeurant dans le vide de la pure Conscience, nous sommes tout aussi coincés que si nous étions accros aux attachements du monde.2 L'activité et la passivité, le fait de donner et de recevoir, de participer et de méditer, font partie de la manière dont nous évoluons globalement. Ce sont donc les deux étapes finales de la Libération : l'orientation et le retour. Bien sûr, rien n'est jamais définitif, lorsque nous vivons au bord de l'infini. Il y a plutôt un recyclage continu de nos modalités et de nos dons dans une danse avec les phénomènes. Le parcours peut se dessiner comme une spirale : la conscience bondit, puis revient recueillir davantage d'elle-même comme carburant pour l'Eveil, puis bondit encore plus loin dans la liberté de la réalisation. Après la Libération, il n'y a plus aucune motivation pour accumuler des expériences ou pour aller au-delà de ce que nous sommes. Il y a une simplicité qui accompagne le retour à la vie. 1 Il a fallu un ou deux ans à Eckhart Tolle pour digérer le processus en restant béatement assis dans des parcs, comme il le dit lui-même, et plusieurs années à Ramana Maharshi, qui est resté plusieurs années dans une grotte avant de revenir doucement vers la civilisation et d’enseigner, NDT. 2 C’est un point qui est bien mis en évidence dans le Sin-Sin-Ming de Seng Ts’an, le troisième Patriarche du zen, dont vous pouvez trouver ma traduction sur partage-pdf.webnode.fr, NDT. On m'a donné un jour une excellente métaphore pour décrire le fait d'être éveillé : c'est comme être une brise. J'adore cette métaphore, parce qu'elle reflète la liberté de se mouvoir dans la vie sans position rigide, avec fluidité, et dans l’acceptation totale de tout ce que nous contactons. C'est comme l'amour, qui caresse toute l’existence sans s'arrêter pour l'analyser. Il n’y a ni séparation, ni identification. C'est le mouvement de la Présence, avec ce qui est. En tant qu'humains, il y a beaucoup de choses auxquelles notre esprit résiste et beaucoup d'épisodes qui provoquent de la douleur, de la souffrance, de la déception et de la rage. Nous devons faire preuve de compassion à l’égard de notre humanité. Nous sommes un processus que nous ne contrôlons pas et que nous ne contrôlerons jamais.3 Quand nous nous détendons, nous pouvons commencer à vivre la vie comme une brise. L'incarner est ce genre de détente qui nous permet de ressentir l’unité et de l’émerveillement par rapport aux nombreuses expériences humaines qui se présentent. Voici comment des enseignants issus de trois traditions différentes le décrivent. Jiddu Krishnamurti, le brillant instructeur qui traversa une longue période d'émergence spirituelle qui dura de nombreuses années, écrivit à propos de cette extase qui ne l'a jamais quitté : "Je suis saturé par quelque chose d'immense ; je ne puis exprimer verbalement ce qui ressemble à une Joie pétillante, à un Silence vivant, à une Conscience intense, comme une flamme vive." Le Père Thomas Keating écrit que "la Présence de Dieu devrait devenir une sorte de quatrième dimension pour la vie entière. Notre monde tridimensionnel n'est pas le monde réel, puisqu’il lui manque la dimension la plus importante, à savoir celle à partir de laquelle tout ce qui existe émerge et retourne à chaque instant microcosmique du temps... L'état contemplatif est établi, lorsque la prière contemplative passe du statut d'expérience ou de série d'expériences à celui d'état de conscience permanent. L'état contemplatif permet de se reposer et d'agir en même temps, car on est enraciné dans la source du repos et de l'action." L'un des plus grands maîtres de la non-dualité, le sage advaitin, Ramana Maharshi, disait que seul demeurer dans le Soi cosmique pouvait nous libérer de la servitude. Mais distinguer ce qui est réel, en définitive, par rapport à ce qui est irréel "peut susciter un dégoût pour le transitoire". Ensuite, il ajouta : "Le jnani profond [adepte de la connaissance] est toujours enraciné dans le seul Soi [cosmique]. Il ne considère pas l'univers comme 'irréel' et il ne le voit pas non plus comme séparé de lui-même." Aussi longtemps que l'esprit n’est pas libéré de sa servitude, sa tendance est d'être égoïste, voire capable d'ignorer la souffrance des autres. Ceci fait prospérer la séparation, la compétition et l'anxiété. L'Eveil supprime ces divisions, et la Libération ouvre notre cœur d'une manière qui nous pousse à agir de façon à contribuer à l'ensemble. Cela entraîne la compassion, le service et la créativité comme forces positives de changement dans le monde. Si l'Illumination peut être décrite comme une paix profonde et la réalisation de la vérité derrière toutes les apparences, cela ne veut pas dire qu'elle exige un style de vie qui se retire du monde pour ne pas y participer. Au contraire, l’aspiration de connaître la vérité, une fois 3 Pouvez-vous choisir quelles seront vos prochaines sensations, vos prochaines émotions, vos prochains sentiments, vos prochaines pensées ou bien encore stopper votre respiration, par exemple ?, NDT. comblée dans la Libération, devient une aspiration à servir. Nous aspirons ardemment que nos dons uniques aient de la valeur pour les autres et qu'ils leur soient bénéfiques. Cet élan n'est pas une enflure du mental : il ne s'agit pas de sauver le monde ou d'attirer des foules de disciples. Il y a eu de grands guides spirituels sur la planète et pourtant, le monde n'est pas encore sauvé. Seul un esprit naïf, bouffi ou mentalement malade se chargerait d'une telle tâche. Cet élan à servir n’émane pas des vibrations ombrageuses de la colère, de la résistance ou de la pensée du bien et du mal qui poussent de nombreuses personnes à faire pression pour changer le monde. De telles forces avancent lentement, étant donné que leur agressivité produit de la résistance et des contrecoups. Si le changement social est soutenu par la reconnaissance de l'unité, il n'y a plus de séparation. Ainsi, avec la vision positive, l'amour et la compassion, l’étincelle d’un nouveau potentiel est allumée, que tout le monde peut explorer ensemble. Cela produit un véritable bénéfice. Le service est souvent une tâche individualisée, qui commence par soi-même, et puis qui suit une impulsion tranquille à faire ce qui peut être fait, avec la compréhension qui nous a été donnée. En voyant clairement que chaque chose est comme elle est, et en renonçant à résister à la vie, comme elle est, nous devenons plus capables de progresser vers ce qui peut être, et de transmettre cette possibilité aux autres, au fur et à mesure qu’ils deviennent disponibles pour l'entendre. Nous commençons également à écouter sans jugement les besoins des autres. Progressivement, collectivement, de nouveaux potentiels apparaissent dans notre monde de formes constitué d'opposés, et qui peuvent être sombres et angoissantes, ou légères et inspirantes. Nous embrassons la totalité car, en fin de compte, notre Libération n'est pas personnelle, mais elle existe pour les interactions qui servent l'ensemble. Elle peut servir l'évolution de notre grand esprit collectif, ainsi que le pensaient les mystiques, Sri Aurobindo et Teilhard de Chardin. La Libération n'est pas la perfection dans un corps humain. Elle ne rend pas non plus la vie parfaite et sans défis. Elle entraîne plutôt la vie dans un cours avec des imperfections que nous acceptons. Cette capacité de faire face à tout ce qui se présente en cours de route, avec acceptation, confère l'équanimité. La confusion mentale cède la place à une plus grande clarté. On perçoit les choses toujours plus fidèlement. Les cloisonnements du cœur se désagrègent, ce qui nous amène à considérer les démarcations entre "moi" et les autres comme illusoires. Même les frontières entre la vie et la mort s’effacent. Nous apprécions le miracle de l'existence qui se produit dans toute sa splendeur, et le miracle d'être capable d'être un être humain. Ce sont des dons précieux, même s'ils sont temporaires ou s’ils constituent un défi. L'Illumination est le retour au Soi, où nous avons toujours vécu, mais sans jamais le reconnaître jusqu'à ce que nous entreprenions le périple de l’Eveil et que nous le menions à bien. L'Esprit évolutif s'est offert depuis ses profondeurs pour être découvert, connu et vécu. 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