PREMIÈRE PARTIE 0',7$7,2163+,/2623+,48(6 /$6$*(66($17,48( /8&5&( '(5(5801$785$ ,,ʘ /ś$87(85(7/śđ895( Nous ne connaissons pratiquement rien de Lucrèce (99/94-55/50), si ce n’est son œuvre épicurienne, le De rerum natura, tentative d’analyse de la nature du monde et des phénomènes naturels, pour libérer l’homme du fardeau de ses superstitions et de la peur de la mort. Dédié à Memmius, apprécié par Cicéron et son frère qui l’ont lu en -54 et l’ont fait éditer, le De rerum natura commence par un exposé sur les atomes et les formations de corpuscules (livres I et II). En effet, l’éthique découle d’une physique, comme le montre cet extrait : en comprenant notre état passager de conglomérats d’atomes, nous pourrons être libérés de l’angoisse et atteindre à cette tranquillité de l’âme (ataraxie) qui, pour les épicuriens, constitue le bonheur. Ź Kit de survie VOCABULAIRE ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ aevum, i, n : durée, temps de la vie, vie bellum, i, n : guerre campus, i, m : plaine, champ corpus, oris, n : corps cura, ae, f : soin, souci dies, ieiǡǣȋ±ǡ ϐ±ǡȌ dolor, oris, m : douleur, souffrance. dulcis, is, e : doux fruor, eris, frui, fruitus et fructus sum ȋΪȌǣ homo, inis, m : homme ingenium, ii, n : qualités innées, caractère, intelligence jucundus, a, um : agréable labor, oris, m : travail mare, is, n : mer mens, ntis, f : intelligence, esprit ȋȌ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ metus, us, m : crainte, inquiétude munio, is, ire, ivi, itumǣϐǡ protéger nonne ? est-ce que … ne … pas ? ȋ±ǣǡȌ nox, noctis, f : nuit (faux Ȍ ops, opis, f : pouvoir, moyen, force / au pl (opes, umȌǣ richesses periculum, i, n : danger quam (précédé d’un Ȍǣ quiaȋΪǤȌǣ sapiens, ntis : sage specto, as, are, avi, atum : contempler suavis, is, e : doux, agréable via, ae, f : route video, es, ere, vidi, visum : voir voluptas, atis, f : plaisir L’ÉPICURISME ■ ■ ■ Fondé par Épicure, il est désigné également comme philosophie du Jardin. Il attache une importance particulière à l’amitié et à la mémoire. Il adapte la théorie atomiste de Démocrite : chute des atomes dans le vide, déviation imperceptible (clinamenȌǡ ± ǯ corps et permettant la liberté. ϐ ǯ ± Ǥ ±ǯ ȋȌǤ LA LANGUE POÉTIQUE DE LUCRÈCE ° à ϐ ±ǣ * génitif sg, 1re déclinaison en –ai (et non aeȌǡʹe déclinaison en i pour les noms en –ius (au lieu de –iiȌǤ * génitif pl en –umʹe déclinaison (deum = deorum, attention aux confu ǯ ǨȌ * démonstratif olle au lieu de ille * quis = quibus * renforcement des pronoms : hasce, illaec, nosmet, tute * crase : suavest (et non suave estȌ * sum : siet, et non sitǢpote est, potis est, pote, plutôt que potest, ϐpotesse au lieu de posse. * ϐ±rier au lieu de ri * ±ǯǯϐ ±donnant et au relatif dans la phrase (souvent placé à l’intérieur de la ȌǤ Ź Texte et traduction Suaue, mari magno turbantibus aequora uentis E terra magnum alterius spectare laborem, Non quia uexari quemquamst iucunda uoluptas, Sed quibus ipse malis careas quia cernere suauest. 5 Suaue etiam belli certamina magna tueri Per campos instructa tua sine parte pericli ; Sed nihil dulcius est bene quam munita tenere Edita doctrina sapientum templa serena, Despicere unde queas alios passimque uidere 10 Errare atque uiam palantis quaerere uitae, Certare ingenio, contendere nobilitate, Lucrèce, De rerum natura, II, 1-19 1 7 Noctes atque dies niti praestante labore Ad summas emergere opes rerumque potiri. O miseras hominum mentes, o pectora caeca ! 15 Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis Degitur hoc aeui quodcumquest ! Nonne uidere Nihil aliud sibi naturam latrare, nisi utqui Corpore seiunctus dolor absit, mensque fruatur Iucundo sensu cura semota metuque ? Ź 9HUV Il est doux (suaue < estεȌǡȋmari magnoȌ ϐȋturbantibus aequora uentisȌǡȋe terra spectareȌǯȋmagnum alterius laboremȌ soit un plaisir agréable (non quia <e>st iucunda uoluptasȌǯ malmené (uexari quemquamȌǡ ǯȋsed quia suauestȌ percevoir (cernereȌ ± Ǧ² ȋquibus ipse malis careasȌǤ ȋsuaue etiam δ εȌ combats de la guerre (belli certamina magna tueriȌ± de bataille (per campos instructaȌǡ Ǧ² (tua sine parte pericliȌǤ Ş Première partie Méditations philosophiques. La sagesse antique REMARQUES GRAMMATICALES 8 Ş U turbantibus aequora uentis est un ablatif absolu (équivaut à une participiale en français). Ş U uexari quemquamOQNONRHSHNMHMƥMHSHUDRTIDSCD<e>st. Ş U quibus ipse malis careas KD RTAINMBSHE OQ¤RDMS K@ CDTWH£LD ODQRNMMD DWOQHLD KŗHMC¤ƥMH Kŗ@MS¤B¤CDMS malis) est COD de cernere ea mala) mais, comme il est intégré à la subordonnée, il prend le cas de quibus (ablatif voulu par le verbe careo). Ş U L¥LDBNMRSQTBSHNMUDQADKŗHMƥMHSHE RTIDSQ¤DKCDKŗ@CIDBSHE@T neutre suaue). Ź 9HUV Mais rien n’est plus doux (sed nihil dulcius estȌ ǯ espaces sacrés (quam tenere templa serenaȌǡ ±± ±ϐ± par l’enseignement des sages (bene munita edita doctrina sapientumȌǡǯî l’on peut regarder les autres d’en haut (despicere unde queas aliosȌǡ errer çà et là (passimque uidere errareȌ dispersant sans but (atque uiam palantis quaerere uitaeȌǡ d’intelligence (certare ingenioȌǡȋcontendere nobilitateȌǡ ǯ ǡȋnoctes atque dies nitiȌǡǡ intense, au faîte des richesses (praestante labore ad summas emergere opesȌ et de s’emparer du pouvoir (rerumque potiriȌǤ REMARQUES GRAMMATICALES Ş U templa C¤RHFMD OKTR PTD KDR SDLOKDR KŗDRO@BD R@BQ¤ PTH NƤQD un asile inviolable à quiconque le recherche. Les participes munita et edita renvoient à WHPSODʙ serena DRS @LAHFT DS ODTS PT@KHƥDQ K@ ENHR l’accusatif neutre pluriel templa K@ UNXDKKD ƥM@KD DRS @KNQR AQ£UD NT l’ablatif doctrinaK@UNXDKKDƥM@KDDRS@KNQRKNMFTD K@RB@MRHNML¤SQHPTD ODQLDSS@MS BDSSD @LAHFTªS¤ DM ƥM@KD CD UDQR L@HR KD SQ@CTBSDTQ DRS BNMSQ@HMSCDE@HQDTMBGNHW Ş U queas DRS TM RTAINMBSHE OQ¤RDMS CNMS K@ CDTWH£LD ODQRNMMD CT RHMFTKHDQSQ@MRBQHSTMHMC¤ƥMHUNHQcareas @TU Ş Despicere, qui est mis en relief par sa place avant le subordonnant (unde), transcrit le fait de regarder (-spicere) d’en haut (-de). Ş U queas a pour complément despicere et uidere, lequel gouverne KDR HMƥMHSHER PTH RTHUDMS errare, quaerere, certare, contendere, niti, emergere, potiri). Rerum est au génitif pluriel, cas que Lucrèce a préféré à l’ablatif traditionnel avec potior, iri, potitus sumHKC¤RHFMDK@OTHRR@MBD matérielle, la souveraineté, le pouvoir. 9HUV O malheureux esprits des hommes (o miseras hominum mentesȌǡ Ø à aveugles (o pectora caecaȌ Ǩ ±° ȋqualibus in tenebris uitaeȌ ȋquantisque periclisȌ consume la durée de notre existence, quelle qu’elle soit (degitur hoc aeui quodcumquestȌǨ REMARQUES GRAMMATICALES Ş U @BBTR@SHERDWBK@L@SHER Ş U @SSDMSHNM K@ MT@MBD CD RDMR DMSQD qualibus i CD PTDKKD RNQSDyDSquantus (porte sur la grandeur). Ş U KD C¤LNMRSQ@SHE hoc, complété par le génitif aeui (sur le modèle de quid noui), prend ici une valeur possessive de la première personne LNSLNSiBDK@PTHDRSMNTRDME@HSCDKŗDWHRSDMBDyquodcumquest est un pronom relatif (TXLFXPTXHʙ PTDKş PTD @TPTDK @ ¤S¤ @INTS¤ est (crase). Lucrèce, De rerum natura, II, 1-19 Ź 9 Ź 9HUV Ne voyez-vous pas (nonne uidereȌ ± rien d’autre pour elle que ceci (nihil aliud sibi naturam latrare, nisiȌ ǣ la douleur soit maintenue séparée et loin du corps (utqui corpore seiunctus dolor absitȌǡǯǯ±ȋmensque fruatur iucundo sensuȌǡ ȋcura semota metuqueȌǫ REMARQUES GRAMMATICALES Ş U XLGHUHʙHMƥMHSHECDM@QQ@SHNMHKRŗ@FHSKCDK@CDQMH£QDNBBTQQDMBD d’un verbe de vision, après spectare U PTH SQ@MRBQHS Kŗ@SSDMSHNM CT QDF@QCiQDF@QCDQRNTUDMS ¥SQDNQHDMS¤UDQR @UNHQKDRXDTWƥW¤RRTQy en lien avec spectaculum), cernereU PTHBNLONQSDTMDHC¤DCDBGNHW iCHRSHMFTDQDMSQDOKTRHDTQRNAIDSR SQHDQ UNHQy tueriU PTHBNMSHDMS TMD MNSHNM Cŗ@AQH i QDF@QCDQ UNHQ F@QCDQ OQNS¤FDQ y despicere U PTHDRSENQL¤RTQK@L¥LDQ@BHMDPTDspectare, avec apophonie et qui précise l’orientation du regard en prenant un sens moral, à travers le préverbe –de i QDF@QCDQ CŗDM G@TS y RDMR RTFF¤Q¤ O@Q unde, qui suit, i L¤OQHRDQ y videre U DS PTH HMCHPTD KD KHDM DMSQD K@ UTD DS K@ compréhension (race vid iUNHQONTQBNMM@©SQDy Ş U latrare RHFMHƥD i @ANXDQ y DS HK E@TS F@QCDQ KŗHL@FD C@MR K@ traduction. Ş utqui est un synonyme de ut RTAI HBH absit et fruatur), fréquent également chez les comiques latins (Plaute et Térence). Ş 1@OODK ut HMC PT@MC KNQRPTD BNLLD RTAI ONTQ PTD ATS RH AHDMPTDBNMR¤PTDMBD PTDBNMINMBSHUDBNLOK¤SHUD Ş Première partie Méditations philosophiques. La sagesse antique À revoir 10 Ş Les cinq déclinaisons Ş +DRBNMITF@HRNMRHMCHB@SHEDSRTAINMBSHE (175$1(=ʘ9286 Ź Objectif vocabulaire 6DXULH]YRXVUHFRQVWLWXHUSDUYRXVP©PHOHWH[WHODWLQHWVDWUDGXFWLRQHQYRXV DLGDQWGHV¨O¨PHQWVUHVWDQWV"/HYRFDEXODLUHHVWFHOXLTXLHVWP¨PRULVHU/H FRUULJ¨HVWGRQQ¨HQƩQGHYROXPH …………, mari magno turbantibus aequora …………, E terra magnum alterius spectare laborem, Non quia uexari quemquamst iucunda …………, Sed quibus ipse malis careas ………… cernere suauest. ………… etiam belli certamina magna tueri Per campos instructa tua sine parte ………… . Il est doux, quand sur la vaste …………ǡϐǡ …………, le dur effort d’autrui, non que ce soit un plaisir ………… de voir quelqu’un malmené, mais parce qu’il est doux de percevoir à quels ………… on échappe soi²Ǥ ………… organisés ǡǦ²Ǥ Ź 2EMHFWLIJUDPPDLUH PDQLHPHQWGHVG¨FOLQDLVRQVHWGHVFRQMXJDLVRQVQLYHDX 7UDGXLVH]OHVSKUDVHVVXLYDQWHVLQVSLU¨HVGXWH[WH Ş Il était doux de regarder depuis les terres les durs efforts d’autrui et de voir à ± Ǧ²Ǥ Ş ǯ ǡǡǯ par des labeurs intenses. Ź 9HUVOHFRPPHQWDLUH 0¨GLWDWLRQVVXUOśKRPPHHWODYLH * 3HULFXODXLWDHʙODWHPS«WH Ş La méditation philosophique est d’abord d’ordre physique (philosophie persuader avant de convaincre (le quia de l’argumentation rationnelle n’interǯǤͶȌǤ * 7HQHEUDHXLWDHʙYDLQHDJLWDWLRQGHOśKRPPH Ş Lucèce présente l’homme en perpétuel mouvement mais un mouvement impro- ductif, assimilé à une errance stérile, à rapprocher du divertissement pascalien (Penséesͳ͵ͻǡ ȌǤ Lucrèce, De rerum natura, II, 1-19 ȌǤ Ş ±ǣǯ ° Ǽǽǡ 11 Ş 2 ±±ǣ²ǯǡ ϐ ȋǤͳͳȌǡǤ * Vanité de l'héroïsme guerrier Ş ° ǯ ² ±± ȋ ǡǤͷǦnobilitasǡǤͳͳȌǤ Ş Le poète s’engage pour l’otium, la paix publique et individuelle (prise de position ϐ ±ǣ °±± er° ȌǤ /DVDJHVVH¨SLFXULHQQH * Le regard du sage Ş ±ȋ ǤǤͳȌ Ş La vue permet et lance la méditation qui est d’abord une prise de conscience de son propre bonheur (ipseǡǤͶȌϐ ±ǯȋalterius laboremȌǦ²ȋcareasȌǤabsence de maux une fois ±±ǡǯ²ǡserenaǡǯñ la scansion met en lien avec le champ lexical de la vue, dans sa double dimension, concrète (serena templaȌ ȋserena doctrinaȌǤ * Le plaisir selon Épicure Ş Ce passage annonce le développement sur la théorie épicurienne des plaisirs Ş Première partie Méditations philosophiques. La sagesse antique ȋǤʹͲǦ͵Ȍ±ǯ ±ǣsuauisȋǤͳǡͶǢ ±iucunda uoluptas, ͵ǡͷȌǡdulcisȋǤȌǡerenusǡȋǤͺȌǡiucundusȋǤͳͻȌǤ Ş Comme chez Épicure (Sentences vaticanesǡ͵͵Ȍǡǯ ȋǤͳȌǣ± ±ȋnaturam latrareȌ±±ȋ ǡAnnalesǡǤͷͺͶǡ±ǤȌȋ ǡǼ ǽȌǤ * /śDWDUD[LHªSLFXULHQQH ǡabsenceȋȽᬯȌtroublesȋɒȽƴɏȽɌɇɑȌǣ seiunctus, redondant par rapport à absit ȋǤ ͳͺȌ et semota ȋǤ ͳͻȌ insistent sur l’absence de souffrances physiques et psychologiques (cura et metuǡǤͳͻȌǤ Donc : L’ataraxie épicurienne est un état physique de tranquillité intellectuelle, source ǯ ȋfruaturǡǤͳͺǢ iucundo sensuǡǤͳͻȌǯ² tout entier. ➡ 3RXUDOOHUSOXVORLQVXU/XFU§FH Ş ǤǦǡLe miel et l’absinthe. Poésie et philosophie chez Lucrèce, ǡ 2ǡʹͲͲͺǤ Ş Ǥ Ǧ ǡ Templa serena. Lucrèce au miroir de Francis Ponge, °ǡǡʹͲͳ͵Ǥ