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REDP 151 0085

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PSYCHOLOGIE DE MARCHÉ ET ANOMALIES FINANCIÈRES
Le rôle des prophéties auto-réalisatrices
Édouard Challe
Dalloz | « Revue d'économie politique »
2005/1 Vol. 115 | pages 85 à 101
ISSN 0373-2630
DOI 10.3917/redp.151.0085
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Le rôle des prophéties auto-réalisatrices1
• ARTICLES
Psychologie de marché et anomalies
financières
Edouard Challe*
Cet article développe un modèle d’évaluation schématique dans lequel la dynamique
des prix d’actifs est influencée par les « prophéties auto-réalisatrices » des investisseurs. On dégage une famille de solutions susceptible d’engendrer simultanément
deux anomalies financières largement documentées par les études économétriques, à
savoir la volatilité excessive des prix d’actifs et la prévisibilité des rendements liés à
leur détention. Comme ces phénomènes apparaissent compatibles avec la rationalité
des anticipations, le modèle théorique remet en question l’opposition traditionnelle
entre l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés d’une part, et l’idée selon
laquelle les croyances arbitraires des investisseurs peuvent influencer les prix d’actifs,
d’autre part.
indétermination - prophéties auto-réalisatrices - anomalies financières
Market psychology and financial anomalies
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This paper constructs a simple dynamic asset-pricing model where asset prices are
influenced by investors’ self-fulfilling prophecies. A class of solution processes is analysed, that jointly reproduces two major financial anomalies, namely, the excess volatility of asset prices and the predictability of asset returns. Since these phenomena do
not rely on the irrationality of investors’ expectations, the model questions the traditional divide between the Efficient Market Hypothesis on the one hand, and the idea
that arbitrary beliefs may have an autonomous influence on asset prices, on the other.
indeterminacy - self-fulfilling prophecies - financial anomalies
Classification JEL: E32, E44, G12.
1. Une version antérieure de cet article a bénéficié des remarques des participants au
congrès annuel de l’Association Française des Sciences Economiques (Paris, septembre
2002). Je remercie tout particulièrement Michel Aglietta, Patrick Artus, André Cartapanis,
André Orléan et Georges Prat pour leurs commentaires sur ma thèse de doctorat, dont
le présent article est tiré. Je reste entièrement responsable des erreurs.
* Univeristé de Cambridge, Faculté d’Economie, Sidgwick Avenue, Cambridge CB39DD
Tel : +44 1223 335297, courriel : [email protected].
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The role of self-fulfilling prophecies
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Les tests de volatilité excessive de Shiller [1981] et de LeRoy et Porter
[1981], puis les tests de prévisibilité des rendements de Fama et French
[1988] et Poterba et Summers [1988], ont jeté un doute sur la validité de
l’hypothèse d’efficience des marchés. Ces tests, qui ont par la suite été
appliqués à un grand nombre de marchés et de pays, confirmant le plus
souvent ces premières études, ont conduit certains auteurs à attribuer la
volatilité observée des prix d’actifs à la propension des investisseurs à réagir
à des informations déconnectées des fondamentaux (voir, entre autres,
Summers [1986], Poterba et Summers [1988], Shiller [1989]). Cette influence
autonome de la volatilité des anticipations des investisseurs sur celle des
prix semble confirmée par les études expérimentales (Marimon et al. [1993],
Duffy et Fisher [2002]), et fait directement écho au jugement émis par Keynes [1936], selon lequel la valorisation des actifs par les investisseurs peut
fluctuer sans réel rapport avec les déterminants de la valeur fondamentale.
L’interprétation la plus courante de ces croyances arbitraires est qu’elles
résulteraient de l’irrationalité de certains groupes d’investisseurs, qualifiés
de manière un peu péjorative de « non sophistiqués » ou de « bruyants »
(noise traders), et susceptibles de rendre les marchés inefficients malgré la
présence en leur sein de spéculateurs rationnels en grand nombre (DeLong
et al. [1990]). Cette interprétation, qui est au coeur de la « finance comportementale », fait ainsi reposer la volatilité élevée des prix d’actifs sur des
erreurs d’évaluation, erreurs persistantes parce que difficiles à détecter ou à
exploiter par les spéculateurs rationnels (Summers [1986], DeLong et al.
[1990], Shleifer [2000]).
Une interprétation alternative de l’instabilité des prix d’actifs, ne reposant
pas sur l’irrationalité des acteurs, consiste à expliquer celle-ci non par des
erreurs d’évaluation mais par la multiplicité d’équilibres susceptible d’apparaître dans les modèles dynamiques à anticipations rationnelles. De ce point
de vue, la forme de multiplicité d’équilibres qui a retenu le plus l’attention
dans la littérature relative aux « anomalies financières » est celle qui est liée
à la présence de bulles rationnelles. Selon cette théorie, la croissance exponentielle des prix peut constituer un processus auto-réalisateur, parce qu’il
est soutenu par les anticipations des investisseurs quant aux gains en capital associés à la détention des actifs (cf. Blanchard [1979], Blanchard et
Watson [1984]). En dépit de sa cohérence logique et de son apparent attrait
empirique, la théorie des bulles rationnelles a été critiquée par de nombreux
auteurs. D’un point de vue théorique, la nature explosive des bulles spéculatives rend leur existence ténue dès lors que l’on raisonne en équilibre
général, et n’est garantie qu’au prix de certaines conditions très restrictives
sur la distribution des dotations et la participation des agents au marché
(Tirole [1985], Santos et Woodford [1997]). De manière peut-être plus problématique, les processus de prix engendrés par une bulle rationnelle s’accordent mal avec ceux qui sont révélés par les études économétriques. En
effet, ces dernières mettent en évidence non pas des trajectoires de prix
divergentes suivies de « krachs », comme le prévoit la théorie des bulles
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1. Introduction
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 87
rationnelles, mais des processus de déviations transitoires et stationnaires
des prix à leur tendance (Summers [1986], West [1987], Poterba et Summers
[1988], Fama et French [1988], Shiller [1989]). Cette apparente incapacité de
la théorie des bulles rationnelles à rendre compte de la « composante transitoire des prix » a conduit la plupart des chercheurs à se détourner d’une
explication de la volatilité financière en termes de multiplicité d’équilibres, et
à privilégier une approche comportementale centrée sur l’irrationalité des
anticipations.
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On peut enfin remarquer que, si les premiers travaux sur les équilibres
avec « prophéties auto-réalisatrices » cherchaient leur justification par une
référence répétée, mais toujours littéraire, aux marchés boursiers (voir, par
exemple, les articles fondateurs de Azariadis [1981], Cass et Shell [1983]),
ceux-ci ne furent pas formalisés de manière explicite. De la même manière,
les applications récentes de ce courant de la littérature se sont concentrées
presque exclusivement sur l’étude du cycle d’affaire, c’est-à-dire les fluctuations du niveau de l’activité ou de l’emploi (voir Farmer [1999] pour une
présentation synthétique de ces travaux), en laissant pratiquement inexplorés les effets des prophéties auto-réalisatrices sur les variables financières.
De ce point de vue, le modèle présenté dans cet article permet d’illustrer de
manière simple le type de dynamique des prix susceptible d’apparaître dans
cette classe de modèles.
La deuxième section présente le modèle théorique. La troisième section
analyse les propriétés de stabilité de l’état stationnaire non trivial et en
déduit les conditions qui conduisent à son indétermination. La troisième
étudie une famille de solutions du modèle susceptible de rendre compte des
anomalies financières précédement évoquées.
2. Le premier modèle intertemporel microfondé dont l’état stationnaire était indéterminé
fut construit par Calvo [1978]. La possible indétermination des variables macroéconomiques
dans un cadre linéaire et ad hoc avait été initialement démontrée par Black [1974] et Taylor
[1977].
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Cet article se propose d’étudier l’effet d’une autre forme de mulitiplicité
d’équilibres, liée à l’indétermination de l’état stationnaire et à l’existence
d’équilibres avec prophéties auto-réalisatrices (au sens de Azariadis [1981]
et Azariadis et Guesnerie [1986]), sur la volatilité du prix des actifs2. On
cherchera à montrer, à l’aide d’un modèle d’évaluation aussi simple et schématique que possible, que cette forme de multiplicité d’équilibres permet de
construire des processus de prix caractérisés par une composante transitoire analogue à celle qui est mise en évidence dans la littérature empirique.
De ce fait, les déviations des prix à leur valeur de long terme constituent des
processus non pas explosifs mais stationnaires, et ne sont donc pas soumis
aux mêmes apories que la théorie des bulles rationnelles. On montrera
notamment que la famille de solutions au modèle que nous étudions permet
de rendre compte conjointement de la volatilité excessive des prix et de la
prévisibilité intertemporelle des rendements, les deux anomalies financières
peut-être les mieux documentées dans la littérature économétrique.
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2. Un modèle d’évaluation d’actifs en
équilibre général
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Nous modifions le cadre théorique de base du cas classique pour y étudier
la formation des prix des actifs financiers. Nous supposons que les agents
ne reçoivent aucune dotation en première période de vie, et une dotation
e > 0 en seconde période de vie. Ils peuvent par ailleurs augmenter celle-ci
en acquérant un actif au cours de leur première période de vie, qui leur
rapporte un dividende constant d > 0 à la période suivante. Les dividendes
et les dotations constituent un bien homogène dont le prix nominal en t est
pt. Les agents nés à la date t s’endettent en première période de vie d’un
montant nominal mt pour financer leur consommation de première période
ct, ainsi que leur demande d’actifs xt qt (où xt est la demande individuelle
d’actifs et qt le prix des actifs en termes de celui des biens). On supposera
sans perte de généralité que le taux d’intérêt nominal est nul3. Au cours de
leur seconde période de vie, ils remboursent leurs dettes en revendant aux
jeunes de la génération suivante leurs actifs et une partie des biens qu’ils
détiennent, puis consomment le reste 共 c′t 兲. Les jeunes nés à la période t
sont en masse Nt, et leur nombre croît d’une période à l’autre au taux
constant n > 0. La première génération de jeunes est de masse normalisée à
t
N0 = 1 (de sorte que Nt = 共 1 + n 兲 ), et ne possède aucun actif. Celle-ci
achète des actifs et des biens à une génération composée exclusivement
d’agents vivant une période (la génération « -1 »), disposant de l’ensemble
des actifs et d’une dotation e, et dont nous supposons, à l’instar de Gale
[1973] et Benhabib et Day [1992], qu’elle doit rembourser à la banque une
dette nominale d’un montant m0 (La période 0 se caractérise donc par la
coexistence d’agents d’agents « jeunes » et d’agents vivant une seule période, ces derniers vendant le stock d’actifs et une partie de leur biens aux
agents jeunes pour un montant nominal total de m0). On commence par
3. Le fait que la dynamique n’est pas affectée par le taux d’intérêt nominal est une conséquence de la neutralité de la monnaie dans ce modèle élémentaire : un taux d’intérêt nominal i > 0 entraîne à l’équilibre une croissance de la monnaie d’un même montant, dont l’effet
inflationniste neutralise celui du coût nominal du crédit.
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Le modèle sur lequel s’appuiera l’analyse est une version du cas « classique » du modèle à générations imbriquées monétaire à deux périodes de
vie (voir Gale [1973], Benhabib et Day [1981]). A la différence du cas « Samuelson », le plus étudié dans la littérature théorique, le cas classique suppose que la distribution des dotations et les préférences des agents les
conduisent à exprimer une demande excédentaire de biens en première
période de vie. Les agents en première période de vie souhaitent alors
s’endetter auprès d’une institution monétaire (une « banque centrale ») afin
d’acquérir le pouvoir d’achat qui leur permet d’acheter une partie des dotations des agents en seconde période de vie. Ils pourront rembourser leurs
dettes lorsque, lors de leur seconde période de vie, une nouvelle génération
de « jeunes » leur achetera une partie de leurs biens.
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 89
caractériser le comportement des investisseurs (2.1), pour ensuite décrire les
relations d’équilibre de marché (2.2) ainsi que les prix d’équilibre (2.3). Enfin,
on dégage les équations qui définissent la dynamique agrégée du modèle
(2.4), puis on en calcule les états stationnaires (2.5).
2.1. Comportement des Investisseurs
Les agents entrant sur le marché à la date t ≥ 0 choisissent leur niveau
d’endettement nominal mt et leur demande d’actifs xt de manière à maximiser :
W 共 ct, c′t 兲 = Et 共 u 共 ct 兲 + v 共 c′t 兲 兲
où u 共 . 兲 et v 共 . 兲 représentent, respectivement, l’utilité de première et de
seconde période de vie. Il s’agit de fonctions croissantes, strictement concaves et dérivables deux fois. On fera par ailleurs l’hypothèse technique suivante, destinée à simplifier l’étude des solutions du modèle :
− cu″ 共 c 兲/u′ 共 c 兲 7 1 ∀c ≥ 0
[1]
Les contraintes budgétaires et de non-négativité s’écrivent :
ct + xt qt ≤ mt /pt
+ 1
+ d 兲 − mt /pt
+ 1
+e
ct, c′t , xt ≥ 0
[3]
[4]
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L’équation (2) signifie que la consommation de première période en valeur nominale 共 pt ct 兲 et le paiement des actifs 共 xt 共 pt qt 兲 兲 sont entièrement financés à crédit, dont le montant nominal par agent est mt. L’équation (3) représente l’équilibre budgétaire de seconde période : les ressources
nominales de l’agent, c’est-à-dire les gains nominaux liés à la détention des
actifs 共 xt 共 qt + 1 pt + 1 + dpt + 1 兲 兲 et à la collecte des dotations 共 ept + 1 兲
financent la consommation de seconde période (dont la valeur nominale est
c′t pt + 1) et le remboursement de la dette 共 mt 兲. La ligne (4) représente trois
contraintes de non-négativité ; elle implique à son tour que le prix nominal
des biens 共 pt 兲 et le prix réel de l’actif 共 qt 兲 sont eux-mêmes non négatifs.
La solution au programme des agents sous les contraintes (2) à (4) est
donnée par les conditions de premier ordre suivantes :
u′ 共 ct 兲 = Et 共 v′ 共 c′t 兲 pt /pt
u′ 共 ct 兲qt = Et 共 v′ 共 c′t 兲 共 qt
+ 1
+ 1兲
+ d兲兲
[5]
[6]
A la période 0, la génération d’agents vivant une seule période doit rembourser à la banque une quantité de monnaie m0. Ces agents acquièrent
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c′t ≤ xt 共 qt
[2]
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cette monnaie en vendant les actifs (en quantité 1 et au prix nominal p0 q0)
ainsi qu’une partie de leurs biens (en quantité e0 ∈ 共 0, e 兲 et au prix p0 e0)
aux agents « jeunes » qui entrent sur le marché à la date 0. Cet échange
initie le processus de croissance décrit par Gale [1973] dans le cas d’une
économie de dotations. Remarquons que c0 = e − e0 et q0 ne sont pas des
conditions initiales, mais dépendent des anticipations des agents sur l’évolution future de l’économie (équations (5) et (6)). L’importance de la nonprédétermination de c0 et de q0, centrale aux résultats du modèle, est clarifiée dans la section 3.
2.2. Relations d’équilibre de marché
A la date t + 1, la demande agrégée de biens est Nt + 1 ct + 1 + Nt c′t , et
l’offre agrégée d + Nt e. En divisant l’offre et la demande de biens par Nt,
l’équation d’équilibre du marché des biens s’écrit :
共 1 + n 兲c t
+ 1
+ c′t = d/Nt + e
[7]
L’équilibre sur le marché monétaire requiert que le volume de crédit
contracté par la génération t + 1 共 Nt + 1 mt + 1 兲 corresponde exactement à
la quantité de monnaie destinée à rembourser les dettes de la génération
t 共 Nt mt 兲. La relation d’équilibre correspondante s’écrit donc :
共 1 + n 兲 mt
+ 1
= mt
[8]
Nous supposons par ailleurs que les actifs réels sont en offre fixe, normalisée à 1. Comme la demande agrégée d’actifs est Nt xt, l’équation d’équilibre du marché des actifs est donc donnée par :
N t xt = 1
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2.3. Prix d’équilibre
L’équation d’Euler (6) qui caractérise l’évolution jointe de la consommation et du prix de l’actif engendre potentiellement une infinité de trajectoires
explosives. Nous excluons ces trajectoires par hypothèse en imposant la
condition de transversalité suivante :
lim Et
n→∞
冉
qt
+ n
×
n
兿
j=0
冉
v′ 共 c′t + j 兲
u′ 共 ct
+ j兲
冊冊
=0
[10]
L’équation (6), associée à la condition de transversalité (10), implique qu’à
toute date t le prix de l’actif est égale à sa valeur fondamentale, qui est
donnée par :
qt = Et
冉
d×
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∞
i
兺 j兿= 0
i=0
冉
v′ 共 c′t + j 兲
u′ 共 ct
+ j兲
冊冊
[11]
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[9]
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Tout comme dans le C-CAPM de Lucas [1978], le facteur d’escompte qui
actualise les dividendes est un rapport d’utilités marginales4. Nous montrerons que, dans l’économie que nous étudions, ce rapport peut varier en
l’absence d’incertitude fondamentale, et provoquer ainsi des fluctuations
cycliques des prix et des rendements d’actifs.
2.4. Dynamique
En utilisant la contrainte budgétaire de première période de vie (équation (2)) de deux générations consécutives, on peut réécrire le taux d’intérêt
réel d’équilibre comme suit5 :
pt
pt
+ 1
= 共1 + n兲
冉
ct
+ 1
+ xt
+ 1
qt
ct + xt qt
冊
+ 1
En introduisant cette équation dans la condition de premier ordre (5), puis
en utilisant les équations (6), (7) et (9), on peut résumer la dynamique de
l’économie par le système séquentiel non linéaire suivant :
ct u′ 共 ct 兲 + d/Nt =
共 1 + n 兲E t 共 c t
qt u′ 共 ct 兲 = Et 共 共 qt
+ 1
+ 1
v′ 共 e + d/Nt − 共 1 + n 兲 ct
+ d 兲 v′ 共 e + d/Nt − 共 1 + n 兲 ct
+ 1兲兲
+ 1兲兲
Les deux équations de récurrence ci-dessus ne forment pas un système
autonome, puisqu’elles contiennent le terme exogène d/Nt. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle n > 0 implique que :
lim d/Nt = 0
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En d’autres termes, la part du revenu des dividendes dans les ressources
des agents tend vers zéro, à l’instar de l’économie de rente décrite par Tirole
[1985]6. Dans la suite de l’article, on s’intéressera exclusivement aux distri4. Remarquons que l’on obtient une équation d’évaluation semblable à celle de Lucas en
étudiant le cas particulier v 共 c′t 兲 = βu 共 c′t 兲, où β ∈ 共 0, 1 兲 est le facteur d’impatience. La
fonction d’utilité intertemporelle devient alors Et 共 u 共 ct 兲 + βu 共 c′t 兲 兲, et le prix de l’actif (sous
condition de transversalité) :
冉
冊 冉兺
冊
u′ 共 c′t + j 兲
i
1 + i
β
d
兿
j = 0 u′ 共 c
u′ 共 ct 兲
i=0
t + j兲
5. L’introduction d’un taux d’intérêt nominal positif invaliderait l’identité du taux d’intérêt
réel et de l’inverse du taux d’inflation, mais, en raison de la neutralité de la monnaie, ne
modifierait pas les équations caractérisant la dynamique d’équilibre (équations (13) et (14)).
6. Nous faisons ici l’hypothèse simplificatrice selon laquelle la quantité totale d’actifs ne
croît pas au cours du temps. La dynamique des prix reste correctement définie tant que la
croissance de la quantité d’actifs (et donc le total des dividendes versés) croît moins vite que
le taux d’intérêt réel d’état stationnaire (le taux de croissance de la population). Dans une
version antérieure du présent article, c’était l’introduction d’un secteur public et de financeqt = Et
β
u′ 共 c′t 兲
共 qt
+ 1
+ d兲
= Et
∞
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[12]
t→∞
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butions asymptotiques des variables ct et qt. En vertu de l’équation (12), ces
distributions vérifient les deux équations de récurrence suivantes :
ct u′ 共 ct 兲 = Et 共 共 1 + n 兲 ct
qt u′ 共 ct 兲 = Et 共 共 qt
+ 1
+ 1
v′ 共 e − 共 1 + n 兲 ct
+ d 兲 v′ 共 e − 共 1 + n 兲 ct
+ 1兲兲
+ 1兲兲
[13]
[14]
2.5. États stationnaires
Les états stationnaires de cette économie sont tels que ct = ct + 1 et
qt = qt + 1 ∀t. On sait depuis Gale [1973] que le cas classique, tout comme
le cas Samuelson, comporte deux de ces équilibres. Le premier est l’équilibre autarcique, sur lequel, pour tout t,
ct = qt = 1/pt = 0
c′t = e
Le second état stationnaire est l’équilibre de « règle d’or » (Gale [1973]),
sur lequel les agents s’endettent en première période de vie afin d’acquérir
les actifs ainsi qu’une portion des dotations des agents en seconde période
de vie. Sur cet équilibre, le niveau de consommation de première période de
vie à l’état stationnaire, noté c*, est la solution unique de :
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La consommation de seconde période de vie à l’état stationnaire de règle
d’or est donc c′* = e − 共 1 + n 兲 c*, et le taux d’intérêt réel (brut) correspondant u′ 共 c* 兲/v′ 共 e − 共 1 + n 兲 c* 兲 = 1 + n. Le prix de l’actif est alors donné
par :
q* =
∞
兺 共1 + n兲 = n
i=1
d
d
i
3. Stabilité et détermination
de l’équilibre de règle d’or
Afin d’étudier la stabilité locale de l’état stationnaire de règle d’or, nous
définissons les variables q̂t = 共 qt − q* 兲/q* et ĉt = 共 ct − c* 兲/c*, puis linéariment par seigneuriage, dans un modèle à population constante, qui garantissait que le taux
d’intérêt réel moyen restait strictement positif. Le choix de l’une ou de l’autre des ces
spécifications n’altère pas substantiellement les conclusions de l’analyse.
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u′ 共 c* 兲 = 共 1 + n 兲 v′ 共 e − 共 1 + n 兲 c* 兲
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 93
sons les équations de récurrence (13) et (14) autour de 共 c*, q* 兲. Cette opération permet de décrire la dynamique des variables au voisinage de l’équilibre de règle d’or à l’aide des deux équations de récurrence suivantes :
共 1 − σu 兲 ĉt = 共 1 + ασv 兲 Et 共 ĉt
q̂t − σuĉt = Et 共 q̂t
+ 1 兲/ 共 1
+ 1兲
+ n 兲 + ασv Et 共 ĉt
+ 1兲
où
σu = −
c*u″ 共 c* 兲
c*v″ 共 c′* 兲
共 1 + n 兲 c*
, σv = −
et α =
u′ 共 c* 兲
v′ 共 c′* 兲
c′*
Les paramètres σu et σv sont donc les coefficients d’aversion relative pour
le risque, évalués à l’état stationnaire de règle d’or. En remplaçant ĉt par sa
valeur dans la seconde équation linéarisée, on peut représenter la dynamique du vecteur Yt = 关 ĉt q̂t 兴 ′ par le système séquentiel linéaire7 :
关 q̂ĉ 兴 = 冋 共共σ1 ++ ασασ 兲兲//共共11 −− σσ 兲兲 1/ 共 10+ n 兲册冋EE 共共 q̂ĉ
t
t
v
u
u
v
t
u
t
t + 1兲
t + 1兲
册
soit, sous forme matricielle :
+ 1兲
[16]
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A ce point, il est important de préciser que le recours à une approximation
de premier ordre, qui conduit à la réécriture de la dynamique du modèle au
voisinage de l’équilibre de règle d’or sous la forme du système (16), ne
permet pas d’analyser explicitement le rôle de la dynamique de la prime de
risque dans les fluctations des prix d’actifs. Une telle analyse requerrait en
effet la prise en compte de l’effet de la volatilité des variables sur les rendements requis, c’est-à-dire un phénomène de second ordre qui est
« gommé » par l’approximation linéaire. Le taux d’actualisation engendré
par le modèle, qui à son tour gouverne l’évolution des prix d’actifs, est donc
ici lié à des phénomènes de substitution intertemporelle et non de volatilité
variable dans le temps. La prise en compte additionnelle de la volatilité
variable dans le cadre du présent modèle représente un défi ambitieux, qui
se situe au-delà de l’objectif de cet article.
L’étude de la stabilité locale et de la détermination de l’équilibre de règle
d’or requiert de comparer le nombre de variables prédéterminées du modèle et le nombre de valeurs propres dont la norme est inférieure à 1.
Comme la matrice M est triangulaire, ses valeurs propres, notées λ et λ′,
sont données par ses éléments diagonaux. On a donc :
λ=
1 + ασv
1
, λ′ =
1 − σu
1+n
7. Rappelons que σu = − c*u″ 共 c* 兲/u′ 共 c* 兲 7 1 par hypothèse (équation (1)).
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Yt = MEt 共 Yt
94 ———————————————————————————————————————————————————————— Edouard Challe
Les deux variables ct et qt ne sont pas associées à une condition initiale,
alors que λ′ ∈ 共 0, 1 兲 puisque n > 0. L’équilibre de règle d’or est donc indéterminé si 兩 λ 兩 > 1 (voir Blanchard et Kahn [1980], Farmer [1999]). Une condition nécessaire et suffisante pour que tel soit le cas est donnée par :
σu < 2 + ασv
[17]
La condition (17) est vérifiée lorsque l’effet revenu ne domine pas « trop »
l’effet substitution8. Il existe alors un continuum de trajectoires de prévisions
parfaites 兵 ct, qt 其 t∞ = 0 convergeant vers l’équilibre de règle d’or 共 c*, q* 兲.
On peut clarifier l’importance de la non-prédétermination des variables c0
et q0 quant à l’apparition d’une multiplicité de trajectoires d’équilibre
convergentes en réécrivant la contrainte budgétaire nominale (saturée à
l’équilibre) des jeunes de la période 0 comme suit :
[18]
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A l’équilibre, cette relation fixe 共 c0 + x0 q0 兲 p0 (la quantité de monnaie)
ainsi que x0 (l’offre d’actifs), mais non c0, q0 ou p0. Supposons maintenant
qu’une « tache solaire » conduise les agents à sélectionner c0 > c*. Ceci
signifie qu’ils anticipent, dès lors que l’effet substitution domine, un taux
d’intérêt réel inférieur à sa valeur d’état stationnaire n. Ce faible taux d’intérêt réel implique à son tour un faible taux d’actualisation des dividendes et
donc un prix réel de l’actif q0 élevé. La contrainte (18) ne peut alors être
satisfaite que si p0 est faible. Pour que c0 > c* soit le point de départ d’une
trajectoire d’équilibre, il faut que les trois variables convergent ensuite vers
leurs valeur d’état stationnaire. pt doit donc croître plus vite 1/n, ce qui
valide l’anticipation d’un taux d’intérêt réel faible et conduit celui-ci à s’approcher de n au cours du temps. La remontée graduelle du taux d’intérêt
réel vers n provoque à son tour une baisse progressive de ct et de qt,
c’est-à-dire une convergence de ces grandeurs vers 共 c*, q* 兲. Le raisonnement exactement inverse s’applique si les agents se coordonnent sur une
trajectoire telle que c0 < c*. C’est donc la non-prédétermination de c0 et q0,
combinée à la convergence du processus dynamique d’équilibre, qui engendre la multiplicté de trajectoires caractéristique d’une indétermination de
l’état stationnaire.
La stabilité de la dynamique décrite par l’équation (16) est représentée sur
la figure 1. Les isoclines du système linéarisé se calculent aisément, et sont
données par :
∆ct
= 0 ⇒ ct = c*
∆qt = 0 ⇒ qt = q* + β 共 ct − c* 兲
où β = 共 q*/c* 兲 共 1 + n 兲 共 σu + ασv 兲/n 共 1 + ασv 兲 > 0. La convergence est
monotone lorsque λ ∈ 共 1, ∞ 兲, c’est-à-dire lorsque σu < 1, et oscillatoire lorsque λ ∈ 共 − ∞, − 1 兲, c’est-à-dire lorsque 2 + ασv > σu > 1.
8. Il s’agit là d’une différence importante d’avec le cas « Samuelson », dans lequel l’indétermination de l’équilibre repose sur la domination de l’effet substitution par l’effet revenu
(Azariadis [1981], Azariadis et Guesnerie [1986]).
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共 c0 + x0 q0 兲 p0 = m0
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 95
Figure 1. Stabilité locale de l’équilibre de règle d’or.
4. Prophéties auto-réalisatrices
et anomalies financières
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L’indétermination de l’équilibre de règle d’or rend le prix de l’actif sensible
aux prophéties auto-réalisatrices des investisseurs, car elle signifie que le
couple 共 ct, qt 兲 peut « sauter » d’une trajectoire de prévisions parfaites vers
une autre à chaque période. On montre dans l’annexe qu’une famille de
solutions au système décrit par l’équation (16) est donnée par :
qt = q* + wt
wt = wt
− 1
/λ + ξt
[19]
[20]
où 兵 ξt 其 t∞ = 0 est un processus de bruit blanc de moyenne nulle, de support
fermé et de variance σ2ξ , représentant des chocs sur les anticipations des
agents, c’est-à-dire des « taches solaires » n’affectant les grandeurs d’équilibre qu’en vertu de la croyance des agents en leur influence. Notons que ξt
représente l’innovation du processus stochastique et ne peut donc être autocorrélée (toute auto-corrélation violerait l’équation (23) de l’annexe). Cependant, le fait que 兩 λ 兩 > 1 révèle que ces chocs provoquent des déviations
transitoires des prix à leur valeur de long terme (il y a donc persistence
endogène des chocs d’anticipation), alors même qu’aucune incertitude sur
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4.1. La composante « transitoire » des
prix d’actifs
96 ———————————————————————————————————————————————————————— Edouard Challe
les fondamentaux de l’économie (dividendes, dotations et préférences) n’est
présente dans le modèle9. On peut également remarquer que l’équation (20)
a exactement la même forme que celle qui fut considérée par Summers
[1986], Poterba et Summers [1988] et Fama et French [1988] pour rendre
compte empiriquement des déviations des prix à leur valeur de long terme.
Cependant, à la différence des « lubies » (fads) irrationnelles évoquées par la
finance comportementale pour expliquer ces fluctuations cycliques des prix
autour de leur moyenne (voir, entre autres Summers [1986], Poterba et
Summers [1988], DeLong et al. [1990], Shleifer [2000]), l’existence de la
composante transitoire wt est ici tout à fait compatible avec la rationalité des
anticipations, lesquelles sont « auto-réalisées ».
On peut illustrer graphiquement l’effet des prophéties auto-réalisatrices
sur les prix en se référant au diagramme des phases présenté à la section
précédente (figure 1). Les chocs sur les anticipations des investisseurs 共 ξt 兲
engendrent des sauts du couple 共 ct, qt 兲 le long de la branche stable de
l’équilibre de point-selle, et l’éloignent temporairement de l’état stationnaire
共 c*, q* 兲. C’est la répétition de ces sauts à chaque période qui engendre le
processus de prix décrit par les équations (19) et (20).
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Dans la mesure où les prophéties auto-réalisatrices constituent une source
additionnelle de volatilité des variables macroéconomiques, elles forment
une explication naturelle de la volatilité « excessive » des cours boursiers,
telle qu’elle fut initialement documentée par LeRoy et Porter [1981] et Shiller
[1981]. Imaginons en effet qu’un économètre réalise un test de volatilité
excessive sur une série de prix engendrée par les équations (19) et (20),
mais choisisse, à l’instar de Shiller [1981], de tester un modèle d’évaluation
d’actifs à taux d’actualisation constant. Comme les dividendes sont euxmêmes constants, la borne de la variance serait alors nulle. Or, l’équation (20) implique que la variance du prix de l’actif est donnée par :
2
2
var 共 qt 兲 = var 共 wt 兲 = σξ / 共 1 − 1/λ 兲 > 0
La borne de la variance est donc systématiquement violée en raison des
fluctuations endogènes du taux d’actualisation (notons cependant qu’une
spécification de la borne de la variance permettant des variations de ce taux
dans l’équation (11) relativiserait ce résultat).
9. Par soucis d’exposition, et dans le but de comparer de manière simple les implications
du modèle aux études empiriques sur la composante transitoire des prix, nous restreignons
ici l’analyse à des équilibres stochastiques stationnaires en covariance. L’analyse des équilibres à taches solaires dans des modèles non linéaires suggère l’existence de familles
d’équilibres beaucoup plus vastes, comme par exemple des chaînes de Markov à variance
conditionnelle variable.
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4.2. La volatilité excessive
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 97
4.3. La prévisibilité des rendements
L’une des implications du modèle développé ci-dessus est qu’il engendre
une prévisibilité intertemporelle des rendements identique à celle qui fut
initialement documentée par Poterba et Summers [1988], Fama et French
[1988)], ainsi que Cutler et al. [1990]. Cette prévisibilité est due au phénomène de « retour des prix à leur moyenne » (mean reversion) après qu’ils
s’en sont temporairement écartés, les rendements positifs (négatifs) associés à une hausse (baisse) transitoire des prix étant, en moyenne, suivis de
rendements négatifs (positifs) à mesure que les prix retournent à leur valeur
de long terme q*. Pour s’en convaincre, appelons L l’opérateur de retard, et
calculons les rendements ex post et continuement composés ∆qt comme
suit :
∆qt =
=
共 1 − L 兲 wt
共 1 − L 兲 共 1 − L/λ 兲 ξt
= ξt − 共 1 − 1/λ 兲
∞
兺λ
− i
i=0
ξt
− 1 − i
L’équation (21) permet de calculer la fonction d’auto-covariance des rendements, qui est donnée par :
φ 共 n 兲 ≡ cov 共 ∆qt, ∆qt
共
2
σξ
1−λ
,
1 + λ λn − 1
兲
n = 1, 2, ...∞
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La fonction d’auto-covariance des rendements réalisés est non nulle dès
que σ2ξ > 0, ce qui signifie que les mouvements de prix futurs sont prévisibles sur la base des mouvements de prix présents et passés. Dans le cas
d’une convergence monotone de qt vers q* (c’est-à-dire lorsque λ > 1), les
rendements ex post sont négativement auto-corrélés à tous les horizons,
cette auto-corrélation diminuant avec le temps à mesure que l’horizon s’allonge et que l’effet des perturbations passées diminue. Ce schéma d’autocorrélation des rendements réalisés est analogue à celui qui fut mis en
évidence empiriquement dans les études précitées. Rappelons enfin que
cette prévisibilité n’engendre pas d’opportunités de profits « anormales »,
puisque la condition d’arbitrage (6) est toujours vérifiée. En effet, les rendements en excès du rendement requis suivent le processus de bruit blanc
suivant :
∆qt − Et
− 1 共 ∆qt 兲
= ξt
ce qui signifie que leur anticipation conditionnelle à l’information disponible
à la date t − 1 est nulle. Pour le dire autrement, les marchés sont informaREP 115 (1) janvier-février 2005
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=
− n兲
98 ———————————————————————————————————————————————————————— Edouard Challe
tionnellement efficients au sens de Fama [1970]10. Ce sont les fluctuations
transitoires du taux d’intérêt anticipé Et 共 pt /pt + 1 兲, c’est-à-dire du taux de
rendement ex ante auquel les dividendes sont actualisés, qui provoquent
celles des prix et des rendements ex post.
5. Conclusion
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Le fait que les anomalies financières puissent être expliquées sur la base
des propriétés de l’équilibre, et non par la nature « irrationnelle » des anticipations, n’est pas sans conséquence pour le concept d’efficience informationnelle des marchés. L’hypothèse d’efficience énonce en effet que les
cours boursiers incorporent l’intégralité de l’information disponible aux investisseurs. Le modèle présenté dans cet article illustre le fait que la réduction de l’information disponible à l’information fondamentale est une restriction qui ne découle pas directement de l’hypothèse d’efficience, laquelle
ne saurait exclure l’influence des croyances « arbitraires » des investisseurs
sur les prix qu’au prix d’hypothèses additionnelles garantissant l’unicité de
l’équilibre. Il n’existe aucune raison de présupposer que ces hypothèses
sont en général vérifiées, même si l’on considère que les investisseurs sont
parfaitement rationnels.
10. Rappelons que Fama [1970, p. 385] définit formellement un marché efficient comme un
marché sur lequel le processus des rendements en excès du rendement requis est un jeu
équitable (l’espérance conditionnelle des rendements en excès est nulle).
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Cet article a cherché à illustrer l’effet des prophéties auto-réalisatrices sur
les prix d’actifs, et à montrer que l’indétermination de l’équilibre stationnaire
engendrait certaines « anomalies financières » généralement attribuées à
l’irrationalité des investisseurs (réaction à des informations déconnectées
des fondamentaux, volatilité excessive, prévisibilité des rendements).
Quoiqu’elles furent déduites dans un modèle très simple, on peut conjecturer que ces propriétés se retrouveraient dans un grand nombre de modèles
macroéconomiques ayant la propriété d’indétermination de l’état stationnaire, puisque ceux-ci engendrent par construction des déviations transitoires des variables à leur valeur de long terme. Remarquons enfin que nous
avons fait l’hypothèse que les dividendes étaient constants, ce qui réduisait
l’incertitude agrégée aux seules prophéties auto-réalisatrices des agents.
Une extension intéressante du modèle consisterait à introduire des chocs
sur les dividendes, afin d’étudier l’effet croisé des deux formes d’incertitude
sur les prix d’actifs.
Psychologie de marché et anomalies financières ———————————————————— 99
Annexe
L’hypothèse (1) garantit que M est non singulière. Sa diagonalisation permet de réécrire (16) comme suit :
Yt = SΛS Et 共 Yt
+ 1兲
où Λ est la matrice des valeurs propres de M et S la matrice de vecteurs
propres correspondante. Nous normalisons les vecteurs propres de sorte
λ
s’écrive
avec
que
celui
qui
est
associé
à
关 β 1 兴 ′,
β = 共 λ − λ′ 兲 共 1 − σu 兲/ 共 σu + ασv 兲 共 7 0 兲, et celui qui est associé à λ′,
− 1
Yt le vecteur des variables transformées. Sa
关 0 1 兴 ′. Soit Z = 关 z′t zt 兴 ′ = S
dynamique est donnée par Z = ΛEt 共 Zt + 1 兲, et celle de ses éléments par :
z′t = λ′Et 共 z′t + 1 兲
[22]
zt = λEt 共 zt
[23]
+ 1兲
Comme 兩 λ′兩 < 1, la seule trajectoire non explosive de 兵 z′t 其 t∞ = 0 est z′t = 0
pour tout t. En revanche, le fait que 兩 λ 兩 > 1 signifie qu’il existe une infinité
de processus stationnaires 兵 zt 其 t∞ = 0 vérifiant l’équation (23). Considérons par
exemple la famille de processus suivante :
zt = zt
− 1
/λ + ηt
[24]
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Zt = JZt
− 1
冋 册
λ
+ Uηt , où J =
− 1
0
0
0
et U =
冋册
1
[25]
0
En prémultipliant cette dernière équation dynamique par S et en remplaçant Zt par S − 1 Y , on obtient Yt = SJS− 1 Yt − 1 + SUηt, soit :
关 q̂ĉ 兴
t
t
关 兴 冋λ 0
=
1 β0
β 11
=
冋
− 1
− 1
λ
0
− 1
共 βλ 兲 0
0
0
册关
册关
1 0
−1β
ĉt − 1
q̂t − 1
兴 关 q̂ĉ
t − 1
t − 1
兴 + 关 β1 兴 η
兴 + 关 β1 01 兴 关 10 兴 η
t
t
11. Seul un bruit blanc de moyenne nulle satisfait l’équation (23). Prenons en effet l’anticipation en t de l’équation zt + 1 = zt /λ + ηt + 1 pour obtenir λEt 共 zt + 1 兲 = zt + Et 共 ηt + 1 兲, ce qui
impose Et 共 ηt + 1 兲 = 0.
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où 兵 ηt 其 t∞ = 0 est un bruit blanc de moyenne nulle et de « petit » support
fermé, qui s’interprète comme un choc sur les croyances des agents11. Avec
z′t = 0 et (24), la dynamique de Zt s’écrit :
100 —————————————————————————————————————————————————————— Edouard Challe
En remarquant que ĉt = βq̂t, on trouve q̂t = q̂t − 1 /λ + ηt, ce qui est équivalent à (19) et (20) dans le corps du texte en posant ξt ≡ q*ηt.
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Références bibliographiques
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