Telechargé par khalede1999

Définition et classification des maladies autoimmunes.

publicité
Définition et classification
des maladies auto-immunes
J. LONDON ET L. MOUTHON
Points essentiels
• Les maladies auto-immunes sont des pathologies en rapport avec une
dérégulation du système immunitaire.
• La preuve du caractère auto-immun d’une maladie est rarement obtenue
et le nombre des maladies auto-immunes prouvées – c’est-à-dire pour
lesquelles l’effecteur est identifié et peut transmettre la maladie – est
restreint.
• Au cours des maladies auto-immunes spécifiques d’organe, on observe
le plus souvent une perte de la fonction de l’organe cible qui relève
uniquement d’un traitement substitutif.
• Au cours des maladies auto-immunes systémiques, l’expression clinique
est très variée et le traitement fait le plus souvent appel aux corticoïdes,
quelquefois en association à des immunosuppresseurs et/ou des
immunomodulateurs.
• Devant la survenue d’un nouveau symptôme chez un patient atteint
d’une maladie auto-immune, il faut évoquer une poussée de la maladie,
une complication liée au traitement, en particulier une infection liée
à l’immunosuppression et une autre pathologie, qu’il s’agisse d’une
manifestation fréquente comme une pathologie thrombo-embolique ou
une autre maladie auto-immune associée.
Introduction
Les maladies auto-immunes (MAI) sont la conséquence d’une
dérégulation du système immunitaire entraînant une réponse
immunologique inadaptée de l’organisme contre les antigènes du
soi à l’origine d’un processus pathologique.
J. London et L. Mouthon ( ), Service de médecine interne, hôpital Cochin, 75014 Paris,
Centre de Référence pour les vascularites nécrosantes et la sclérodermie systémique, AP-HP
et Université Paris Descartes, Paris – e-mail : [email protected]
Sous la direction de Y.-E. Claessens et L. Mouthon, Maladies rares en médecine d’urgence
ISBN : 978-2-8178-0349-4, © Springer-Verlag Paris 2013
1
2
1
Maladies rares en médecine d’urgence
Les mécanismes à l’origine des MAI sont variés. En l’absence de
toute pathologie, il existe chez l’individu sain des lymphocytes B
et des lymphocytes T autoréactifs, ainsi que des autoanticorps.
L’apparition de manifestations auto-immunes est en règle la conséquence d’un défaut de vigilance/contrôle du système immunitaire entraînant une rupture de tolérance vis-à-vis des antigènes
du soi. Il peut s’agir d’un déficit quantitatif ou qualitatif de certaines populations de lymphocytes dont le rôle est de réguler le
système immunitaire (les lymphocytes T régulateurs ou Treg) ou
de l’émergence d’un clone lymphocytaire T ou B autoréactif, c’està-dire reconnaissant un autoantigène.
Il existe divers facteurs favorisant cette rupture de tolérance. On
retrouve souvent un terrain génétique prédisposé : un patient présentant une MAI a souvent des antécédents familiaux de MAI, et
un patient atteint d’une MAI est plus à risque de développer une
autre MAI. À titre d’exemple, un patient qui a une thyroïdite autoimmune ou un diabète de type 1 est plus à risque de développer une
maladie d’Addison. L’incidence de certaines MAI varie considérablement en fonction de la population ou de l’ethnie étudiée. De
même, il existe parfois une forte corrélation entre certains groupes
HLA et l’apparition d’une MAI comme dans la maladie cœliaque
où plus de 95 % des patients sont porteurs du HLA DQ2 ou DQ8.
Des études génétiques récentes ont mis en évidence des polymorphismes de plusieurs gènes impliqués dans le fonctionnement
du système immunitaire qui sont associés avec une ou plusieurs
MAI. On peut mentionner comme exemple le lupus érythémateux systémique (LES) au cours duquel on a mis en évidence des
polymorphismes de plusieurs gènes, notamment impliqués dans
la voie des interférons de type I comme IRF5 et dans la voie de la
transduction du signal du récepteur lymphocytaire B ou T comme
PTPN22 [1, 2]. D’autres facteurs favorisants, notamment environnementaux, sont impliqués à la fois dans la survenue des MAI (par
exemple la silice pour la sclérodermie systémique [ScS]) [3] et dans
le déclenchement de poussées (comme les rayons ultraviolets pour
le LES) [4]. Des toxiques et des médicaments peuvent favoriser
certaines MAI comme on peut le voir dans le LES induit. Les facteurs hormonaux sont probablement également importants, même
si cela n’a pas été formellement démontré, comme le suggèrent la
prédominance féminine des personnes atteintes de MAI, l’aggravation de certaines MAI lors de la grossesse et la diminution habituelle de l’incidence après la ménopause. Les facteurs infectieux
sont souvent retrouvés comme facteur déclenchant d’une MAI. Il
s’agît parfois même d’un mécanisme majeur du fait d’un mimétisme moléculaire entre antigène du pathogène et antigène du soi.
On peut prendre comme exemple le syndrome de Miller-Fischer,
une forme particulière de syndrome de Guillain-Barré faisant suite
à une infection à Campylobacter jejuni, au cours duquel ont été
Définition et classification des maladies auto-immunes
mis en évidence des anticorps anti-gangliosides de type Gq1b qui
reconnaissent à la fois la paroi de C. jejuni et des structures gangliosidiques au niveau des membranes de certaines neurones [5].
Classification de maladies auto-immunes
Critères de classification de Rose et Bona
En 1993, Rose et Bona, reprenant le postulat de Witebsky
de 1957, ont proposé trois types de critères permettant d’établir
l’origine auto-immune d’une maladie. Il s’agit de critères directs,
indirects ou circonstanciels (tableau I) [6, 7].
Tableau I – Critères de définition d’une maladie auto-immune (d’après Rose et Bona).
1. Critère
direct
Le critère direct est représenté par le transfert direct de la
maladie d’un être humain à un autre ou de l’homme à l’animal
(le receveur doit posséder un système immunitaire fonctionnel).
2. Critères
indirects
Les critères indirects, en faveur du caractère auto-immun d’une
maladie, sont observés grâce aux modèles animaux développant
des maladies ayant des caractéristiques cliniques identiques ou
proches de celles observées chez l’homme.
Ils définissent l’ensemble des données cliniques ou
expérimentales soulignant le caractère auto-immun d’une
3. Critères
maladie sans apporter la véritable preuve, comme la
circonstanciels
caractérisation d’une réaction auto-immune spécifique, ou
l’activation de lymphocytes T en culture par un autoantigène.
Le critère direct nécessite la transmissibilité directe des lésions
caractéristiques de la maladie d’un être humain à un autre ou de
l’homme à l’animal (tableau II). Ainsi, l’injection de sérum d’un
patient atteint d’un purpura thrombopénique immunologique
(PTI) à un sujet sain a entraîné l’apparition d’une thrombopénie
auto-immune chez ce dernier. Un mode de transfert particulier
consiste en un passage des autoanticorps à travers le placenta en
fin de grossesse, entraînant un transfert de la maladie de la mère
au fœtus et/ou au nouveau-né comme au cours de la myasthénie ou
de la maladie de Basedow. Dans certaines maladies bulleuses cutanées auto-immunes, le transfert d’anticorps de l’homme à la souris
permet de transférer la maladie à la souris. Enfin, certaines MAI
comme le diabète de type I peuvent être transmises à l’occasion
d’une allogreffe de moelle osseuse. Dans la très grande majorité
des cas, seules des MAI spécifiques d’organes remplissent le critère
direct.
3
4
1
Maladies rares en médecine d’urgence
Tableau II – Exemple de maladies auto-immunes ayant été transférées d’un individu
à un autre.
Maladies
Mécanismes
Donneurs Receveurs
impliqués
PTI
autoanticorps homme
Maladie de Basedow,
Myasthénie aiguë
PTI
MPA
Pemphigus vulgaire,
lupus cutané néonatal
BAV congénital associé
aux anticorps anti-SSA
autoanticorps
Pemphigus vulgaire
Pemphigoïde bulleuse
autoanticorps homme
PTI
Thyroïdite de Hashimoto lymphocytes
Myasthénie aiguë
autoréactifs
Diabète de type I
mère
homme
Méthode
de transfert
homme
perfusion
de sérum
fœtus
transplacentaire
animal
perfusion
de sérum
homme
allogreffe
de moelle
osseuse
BAV : bloc auriculo-ventriculaire ; MPA : polyangéite microscopique ; PTI : purpura thrombopénique
immunologique ; SSA : sicca syndrome A.
Le critère indirect consiste à reproduire dans un modèle animal
une MAI ayant des caractéristiques cliniques identiques ou proches
de celles observées chez l’homme. L’une des méthodes consiste à
isoler l’autoantigène cible d’une MAI, et à réaliser une immunisation expérimentale de l’animal contre l’autoantigène équivalent. Beaucoup de MAI répondent à ce critère. Entre autres, on
peut citer l’arthrite induite par le collagène de type II responsable
d’un tableau proche de la polyarthrite rhumatoïde chez la souris
et l’encéphalomyélite aiguë expérimentale induite par la protéine
basique de la myéline reproduisant chez le rat ou la souris une
sclérose en plaque (SEP).
Les critères circonstanciels consistent en la mise en évidence d’un
effecteur auto-immun, qu’il s’agisse d’un autoanticorps, d’un clone
lymphocytaire B ou T orientant vers une hypothèse auto-immune
d’une pathologie sans apporter la preuve du caractère pathogène
de cet effecteur.
Maladies auto-immunes systémiques et spécifiques d’organe
On distingue classiquement les MAI systémiques et les MAI
spécifiques d’organe. Les MAI spécifiques d’organe sont caractérisées par une réaction immunologique dirigée spécifiquement
contre un organe ou un tissu cible (par exemple, la maladie de
Biermer dont l’organe cible est la muqueuse gastrique, l’anémie
Définition et classification des maladies auto-immunes
hémolytique auto-immune dont la cible est le globule rouge, ou le
syndrome de Goodpasture lorsque les anticorps sont dirigés contre
le collagène de type IV, présent à la fois dans la membrane basale
glomérulaire et alvéolo-capillaire, réalisant le syndrome pneumorénal). Les principales MAI spécifiques d’organe figurent dans le
tableau III. Au cours des MAI non spécifiques d’organe, ou MAI
systémiques, le processus auto-immun est dirigé vis-à vis de multiples organes ou de structures antigéniques retrouvées dans de
nombreux organes. Dans ce groupe, on trouve en particulier les
vascularites et les connectivites dont le chef de file est le LES.
Maladies auto-immunes spécifiques d’organe
Les mécanismes d’action dans les MAI spécifiques d’organe sont
variés, faisant appel à l’immunité l’immunité humorale et/ou cellulaire aboutissant à la destruction ou la dysfonction d’un tissu ou
d’un organe cible. Les organes cibles sont le plus fréquemment les
glandes endocrines, les éléments figurés du sang, le tissu conjonctif
(peau essentiellement) et le système nerveux. Il peut s’agir d’une
insuffisance de fonctionnement d’un organe, notamment d’une
glande endocrine comme dans la thyroïdite de Hashimoto, ou d’une
stimulation de sa fonction comme dans la thyroïdite de Basedow.
Il est fréquent que des MAI spécifiques d’organe s’associent chez un
même patient, ou que l’on retrouve des antécédents familiaux d’une
ou plusieurs MAI. Des associations de MAI spécifiques d’organe
peuvent parfois s’intégrer dans le cadre d’une véritable polyendrocrinopathie auto-immune (PEAI). Un cas particulier est la PEAI
de type 1 ou syndrome APECED associant une PEAI (maladie
d’Addison, hypoparathyroïdie, diabète de type 1…), une candidose
et une dystrophie ectodermique survenant chez l’enfant. Il s’agit-là
d’une maladie monogénique par mutation du gène codant pour la
protéine AIRE (Autoimmune Regulator) dont le rôle est d’activer la
transcription des antigènes du soi qui seront présentés par les cellules
épithéliales thymiques lors de la sélection négative des lymphocytes
T autoréactifs dans le thymus (mécanisme de tolérance centrale).
La mutation du gène AIRE, en empêchant la sélection négative des
lymphocytes T autoréactifs est responsable de la survenue de plusieurs MAI spécifiques d’organe [8, 9]. Un autre modèle de mutation
monogénique responsable d’une association de MAI est le syndrome
IPEX (immunodérégulation, poly-endocrinopathie, entéropathie
auto-immune, liées au chromosome X) qui se manifeste chez de
jeunes enfants de sexe masculin. La mutation du gène FOXP3 situé
sur le chromosome X est responsable de la maladie [10, 11]. Ce gène
code pour un facteur de transcription indispensable au développement des lymphocytes T régulateurs, dont le défaut est à l’origine
des très nombreuses MAI chez ces patients [12].
5
6
1
Maladies rares en médecine d’urgence
Tableau III – Liste des maladies auto-immunes spécifiques d’organe.
Pathologie
auto-immune
Cible antigénique
Conséquence
Glandes endocrines
Diabète
type 1
GAD, îlots de Langerhans, insuline
et IA2 (Tyrosine phosphatase)
Destruction des cellules
bêta des îlots de
Langherans, insulinopénie, diabète sucré
Thyroïdite
de Hashimoto
Thyroglobuline
et thyroperoxydase
Hypothyroïdie
Maladie de Basedow
Récepteur de la TSH
Hyperthyroïdie
Maladie d’Addison
Enzymes de la glande surrénale impliquées dans la synthèse des stéroïdes :
P45oc21, P45oscc et P45oc17
Insuffisance surrénalienne
lente
Hépato-biliaire et digestif
Maladie cœliaque
Transglutaminase
Diarrhée chronique en
présence de gluten
Cirrhose biliaire
primitive
Composant E2 du complexe pyruvate
déshydrogénase de la mitochondrie
(cible des anticorps anti-mitochondrie
de type II)
Cirrhose
Hépatite
auto-immune
Type I : muscle lisse (actine)
Type II : cytochrome CYP2D6
(cible des anti-microsomes de foie
et de rein ou anti-LKM1)
Hépatite aiguë
Cirrhose
Maladie de Biermer
Facteur intrinsèque
Carence en vitamine
B12, anémie, syndrome
cordonal postérieur
Hématologie
PTT acquis
auto-immun
ADAMTS 13
Microangiopathie
thrombotique
AHAI
Rhésus, bande 3, glycophorine A (si
anticorps chaud), antigène I
(si agglutinine froides)
Anémie hémolytique par
lyse des hématies
PTI
Glycoprotéines de la membrane
plaquettaire (souvent GP IIb-IIIa)
Destruction des
plaquettes, syndrome
hémorragique
Neutropénie autoimmune
Récepteur pour le fragment Fc des IgG
de type 3b ou CD16
Neutropénie, infections
opportunistes
Érythroblastopénie
auto-immune
EPO
Érythroblastopénie
Neuromusculaires
Myasthénie
Récepteur de l’acétylcholine et MUSK
Fatigabilité musculaire
à l’effort
Définition et classification des maladies auto-immunes
Pathologie
auto-immune
Cible antigénique
Conséquence
Syndrome
myasthéniforme
de Lambert-Eaton
Canaux calciques voltages-dépendants
(VGCC) de type P/Q
Fatigabilité musculaire
à l’effort
SEP
Canal potassique KIR4.1
Lésions démyélinisantes
du système nerveux central
Syndrome de la
personne raide
Glutamic acid decarboxylase (GAD),
amphiphysine
Rigidité musculaire
Syndrome de
Guillain-Barré
Gangliosides (GM1, GM1b, GD1a et
GalNAc-GD1a)
Neuropathie démyélinisante ou axonale
Polyneuropathies associées à une IgM mono- MAG
clonale anti-MAG
Neuropathie
démyélinisante
Neuropathie
paranéoplasique
Neuropathie,
encéphalopathie
Hu, Ri, Yo
Cutanée
Vitiligo
Antigènes des mélanocytes
Dépigmentation
Pemphigoïde
bulleuse
Protéine de 180 (BP180) ou de 230 kDa Lésions cutanées
(BP230) de l’hémidesmosome
bulleuses
Pemphigus vulgaire
Desmogléine 3
Pemphigus superficiels (séborrhéique
et foliacé)
Desmogléine 1 (ou cadhérine épithéliale Lésions cutanées
de 160 kDa)
bulleuses
Pemphigus
paranéoplasique
Desmoplakines, desmogléines, autres
Lésions cutanées
bulleuses
Pemphigoïde
gravidique (ou
Herpes gestationis)
Antigène de 180 kDa de
l’hémidesmosome
Lésions cutanées
bulleuses
Épidermolyse
bulleuse acquise
Collagène VII
Lésions cutanées
bulleuses
Dermatose linéaire
à IgA
fragment protéolytique de la BP180, de Lésions cutanées
poids moléculaire 97 ou 120 kDa
bulleuses
Lésions cutanées bulleuses
Pneumo-rénal
Syndrome
de Goodpasture
Domaine non collagène de la chaîne D3 Glomérulonéphrite,
hémorragie intra-alvéolaire
du collagène de type IV
Ophtalmologique
Rétinochoroïdopathie de Birdshot
Antigène S rétinien
Baisse de la vision
ADAMTS13 : A disintegrin and metalloprotease with thrombospondin type 1 number 13.
AHAI : anémie hémolytique auto-immune ; EPO : érythropoïétine ; GAD : Glutamic Acid
Decarboxylase ; MAG : glycoprotéine associée à la myéline ; MUSK : récepteur tyrosine-kinase
spécifique du muscle ; PTT : purpura thrombotique thrombocytopénique ; SEP: sclérose en plaques.
7
8
1
Maladies rares en médecine d’urgence
Dans les MAI spécifiques d’organe, s’il s’agit d’une atteinte glandulaire endocrine, dans la majorité des cas, au moment où le diagnostic est posé, la glande est détruite et la maladie n’est pas accessible
à un traitement corticoïde ou immunosuppresseur. Ainsi, le traitement d’une MAI spécifique d’organe va constituer en une opothérapie substitutive : hormones thyroïdiennes dans le Hashimoto,
insuline dans le diabète, hydrocortisone dans la maladie d’Addison. De même, lorsqu’il s’agit d’une stimulation de la fonction de
l’organe, on utilise des traitements spécifiques inhibant sa fonction : antithyroïdiens de synthèse dans la maladie de Basedow.
Dans certaines MAI spécifiques d’organe, la SEP ou dans les cytopénies auto-immunes, un traitement substitutif n’est pas possible
ou inefficace et un traitement corticoïde et/ou immunosuppresseur
est nécessaire.
Maladies auto-immunes systémiques
Dans les MAI systémiques, les mécanismes mis en jeux sont
souvent plus complexes, et les mécanismes lésionnels peuvent différer en fonction de l’organe touché. En effet, on ne retrouve pas une
cible antigénique unique comme c’est le cas des MAI spécifiques
d’organe.
Parmi ces MAI non spécifiques d’organe, on distingue le groupe
des vascularites systémiques. Le processus auto-immun dans ce cas
touche la paroi des vaisseaux et va être responsable du caractère
systémique de la maladie, pouvant affecter n’importe quel organe.
On classe classiquement les vascularites selon la taille des vaisseaux
atteints et selon le caractère primitif ou secondaire de la vascularité
[13]. Le tableau clinique varie considérablement selon le calibre des
vaisseaux atteints, le caractère granulomateux ou non de l’infiltrat
inflammatoire, le type cellulaire impliqué dans l’inflammation
vasculaire (par exemple, mise en jeux des polynucléaires éosinophiles dans la vascularite de Churg et Strauss). Certaines vascularites sont associées de manière forte à la présence de marqueurs
d’auto-immunité. Il peut s’agir des vascularites associée aux anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA)
comme la granulomatose avec polyangéite (GPA) (anciennement
nommée maladie de Wegener), la polyangéite microscopique
(MPA), et parfois la granulomatose éosinophilique avec polyangéite (EGPA) (anciennement nommée maladie de Churg et Strauss)
[13, 14]. Dans ce groupe de vascularites, la cible antigénique des
ANCA est associée à un tableau clinique préférentiel : ANCA antiprotéinase 3 (PR3) dans la GPA, et ANCA anti-myéloperoxidase
(MPO) dans la MPA ou dans l’EGPA. Un autre groupe de vascularites s’associant à des marqueurs d’auto-immunité est constitué
Définition et classification des maladies auto-immunes
par les vascularites associées aux cryoglobulinémies. Il s’agit dans
ce cas des cryoglobulinémies mixtes dans lesquelles on retrouve au
sein d’un composant polyclonal une immunoglobuline monoclonale (cryoglobulinémie de type II) ou polyclonale (type III) précipitant au froid, en règle générale une IgM avec activité facteur
rhumatoïde, c’est-à-dire avec activité autoanticorps dirigée contre
une IgG [15]. La présence de complexes immuns circulants est à
l’origine de la vascularite. Dans les trois quarts des cas, les vascularites des cryoglobulinémies surviennent dans le contexte d’une
infection par le virus de l’hépatite C.
Parmi ces MAI non spécifiques d’organe, on trouve également les
connectivites. Elles sont en général caractérisées par la présence
d’autoanticorps : anticorps anti-nucléaires et, selon leur spécificité, anticorps anti-ADN natif, anti-Sm, anti-nucléosome ou antihistones (dans le LES), anti-SSA ou SSB (dans le syndrome de
Gougerot-Sjögren), anticorps anti-topoisomérase 1 (anti-Scl70),
anti-centromère ou anti-ARN polymérase III (dans la ScS), antiribonucléoprotéine (RNP) (dans les connectivites mixtes), antisynthétases (dans les myopathies inflammatoires). L’expression
clinique varie considérablement d’une maladie à l’autre avec
cependant des recoupements et des formes frontières, notamment
dans les connectivites mixte. Une même maladie peut avoir une
présentation très différente d’un patient à l’autre.
Dans les MAI systémiques, selon le moment de la prise en charge,
l’organe cible est plus ou moins détruit par le processus autoimmun et sa fonction plus ou moins préservée. Lorsque la fonction
de l’organe atteint est conservée, ou qu’elle peut récupérer, il y a un
intérêt majeur à l’emploi d’un traitement immunosuppresseur ou
corticoïde. Ainsi, la survenue d’une glomérulonéphrite rapidement
progressive au cours des vascularites associées aux ANCA est-elle
une indication à un traitement immunosuppresseur en urgence
dans le but de préserver la fonction rénale [16]. En revanche, une
atteinte rénale classe VI dans un LES, c’est-à-dire une gloméruloscléose, ne bénéficiera pas de l’effet potentiel d’un traitement
immunosuppresseur ou corticoïde car le rein est détruit et sa fonction définitivement compromise, sous réserve bien entendu que la
maladie ne soit pas active par ailleurs. Le principe du traitement
est alors symptomatique, c’est-à-dire de limiter la progression inéluctable vers l’insuffisance rénale chronique terminale (mesures de
néphroprotection), et le cas échéant de réaliser un traitement de
suppléance (dialyse ou transplantation rénale).
L’objectif du traitement corticoïde ou immunosuppresseur est de
contrôler la réponse immunitaire, pour diminuer les manifestations cliniques liées à l’auto-immunité. Il peut s’agir d’un traitement ayant une action globale non spécifique sur le système
immunitaire comme les corticoïdes, ou plus ciblée, comme le
rituximab qui cible spécifiquement le lymphocyte B [17] ou encore
9
10
1
Maladies rares en médecine d’urgence
des traitements immunomodulateurs comme l’hydroxychloroquine ou les immunoglobulines intraveineuses [18, 19]. Dans les
cas les plus graves, les échanges plasmatiques peuvent s’avérer très
utiles, permettant une élimination transitoire des autoanticorps et
des cytokines pro-inflammatoires.
Principes de prise en charge des maladies auto-immunes
En dehors des MAI spécifiques d’organe touchant une glande
endocrine, pour lesquelles le traitement se limite souvent au traitement substitutif de l’insuffisance fonctionnelle de l’organe atteint,
le traitement des MAI consiste en règle générale en une corticothérapie en association à un traitement immunosuppresseur et/ou
immunomodulateur en fonction de la sévérité. L’objectif à court
terme est la prise en charge de la poussée et le contrôle de la maladie. À long terme, il s’agit de diminuer la fréquence et l’intensité
des poussées en introduisant un traitement de fond et de limiter les conséquences fonctionnelles et la morbidité. L’éviction des
facteurs aggravants, notamment environnementaux, est également
primordiale.
Devant l’apparition de nouveaux symptômes chez un patient
suivi pour une MAI, il faut savoir discuter trois principales étiologies : une poussée de la MAI, une complication liée au traitement
immunosuppresseur et une autre pathologie.
Un nouveau symptôme doit faire évoquer une poussée de la maladie. Par exemple, chez un patient avec antécédent de néphropathie
glomérulaire secondaire à une vascularite ANCA-positive qui présente un déficit neurologique focal brutal, une poussée de sa vascularite est un diagnostic à éliminer. Mais le diagnostic de poussée
de la MAI n’est pas toujours évident. Par exemple, un patient suivi
pour une atteinte rénale de vascularite ANCA-positive qui se présente aux urgences avec une toux et de la fièvre peut avoir aussi
bien une complication infectieuse qu’une poussée de la maladie
sous la forme d’une hémorragie intra-alvéolaire.
Il faut toujours se poser la question d’une complication liée au
traitement immunosuppresseur devant l’apparition d’un nouveau symptôme. En premier lieu, du fait de l’immunodépression
induite, une infection doit systématiquement être évoquée et des
germes opportunistes doivent être recherchés selon le degré d’immunosuppression. Il est parfois très difficile de faire la part des
choses entre poussée de la maladie et complication secondaire au
traitement comme lors de l’apparition d’une pneumopathie interstitielle chez un patient traité par méthotrexate [20]. Dans ce cas, il
peut s’agir d’une atteinte spécifique de la maladie de fond (s’il s’agit
Définition et classification des maladies auto-immunes
d’une ScS ou d’une myopathie inflammatoire), d’une complication infectieuse (germes intracellulaires, pneumocystose, etc.)
ou d’une complication spécifique du traitement que représente la
pneumopathie interstitielle induite par le méthotrexate.
La troisième étiologie à évoquer est une autre pathologie, qu’il
s’agisse d’une autre MAI ou d’une complication fréquemment rencontrée dans la population générale. On peut citer l’exemple du
LES où une dyspnée peut faire suite à une poussée de la maladie
(pleurésie, péricardite), à une MAI associée (anémie hémolytique
auto-immune ou embolie pulmonaire dans le cadre d’un syndrome des anticorps anti-phospholipides) ou à une complication
infectieuse liée au traitement immunosuppresseur (pneumopathie infectieuse). Il est important de mentionner que même dans
des pathologies au cours desquelles les embolies pulmonaires ne
sont pas plus fréquentes que dans la population générale, comme
par exemple dans la ScS, une dégradation de la fonction respiratoire devra amener dans certains cas à évoquer la possibilité d’une
embolie pulmonaire pour l’éliminer.
Conclusion
Les MAI sont des pathologies en rapport avec une dérégulation
du système immunitaire. La preuve du caractère auto-immun est
rarement obtenue et le nombre des MAI prouvées est restreint. On
distingue les MAI spécifique d’organe des MAI systémiques. Dans
le premier cas, il existe le plus souvent une destruction de la fonction de l’organe pouvant parfois bénéficier d’un traitement substitutif seul. Dans le deuxième cas, l’expression clinique est beaucoup
plus variée et le traitement fait toujours appel aux corticoïdes, aux
immunosuppresseurs ou aux immunomodulateurs. Devant la survenue d’un nouveau symptôme chez un patient atteint d’une MAI,
il faut toujours savoir évoquer une poussée de la maladie, une complication notamment infectieuse liée au traitement et une autre
pathologie, qu’il s’agisse d’une manifestation fréquente comme une
manifestation thrombo-embolique ou une autre MAI associée.
Références
1. Graham RR, Kozyrev SV, Baechler EC et al. (2006) A common haplotype of
interferon regulatory factor 5 (IRF5) regulates splicing and expression and is
associated with increased risk of systemic lupus erythematosus. Nat Genet 38:
550-5
2. Kyogoku C, Langefeld CD, Ortmann WA et al. (2004) Genetic association
of the R620W polymorphism of protein tyrosine phosphatase PTPN22 with
human SLE. Am J Hum Genet 75: 504-7
11
12
1
Maladies rares en médecine d’urgence
3. McCormic ZD, Khuder SS, Aryal BK, Ames AL, Khuder SA (2010)
Occupational silica exposure as a risk factor for scleroderma: a meta-analysis.
Int Arch Occup Environ Health 83: 763-9
4. Kuhn A, Beissert S (2005) Photosensitivity in lupus erythematosus.
Autoimmunity 38: 519-29
5. Yuki N (2001) Infectious origins of, and molecular mimicry in, Guillain-Barré
and Fisher syndromes. Lancet Infect Dis 1: 29-37
6. Rose NR, Bona C (1993) Defining criteria for autoimmune diseases
(Witebsky’s postulates revisited). Immunol Today 14: 426-30
7. Witebsky E, Rose NR, Terplan K, Paine Jr, Egan RW (1957) Chronic
thyroiditis and autoimmunization. J Am Med Assoc 164: 1439-47
8. Nagamine K, Peterson P, Scott HS et al. (1997) Positional cloning of the
APECED gene. Nat Genet 17: 393-8
9. Finnish-German APECED Consortium (1997) An autoimmune disease,
APECED, caused by mutations in a novel gene featuring two PHD-type zincfinger domains. Nat Genet 17: 399-403
10. Bennett CL, Christie J, Ramsdell F et al. (2001) The immune dysregulation,
polyendocrinopathy, enteropathy, X-linked syndrome (IPEX) is caused by
mutations of FOXP3. Nat Genet 27: 20-1
11. Wildin RS, Ramsdell F, Peake J et al. (2001) X-linked neonatal diabetes
mellitus, enteropathy and endocrinopathy syndrome is the human equivalent
of mouse scurfy. Nat Genet 27: 18-20
12. Hori S, Nomura T, Sakaguchi S (2003) Control of regulatory T cell
development by the transcription factor Foxp3. Science 299: 1057-61
13. Jennette JC, Falk RJ, Andrassy K et al. (1994) Nomenclature of systemic
vasculitides. Proposal of an international consensus conference. Arthritis
Rheum 37: 187-92
14. Van der Woude FJ, Rasmussen N, Lobatto S et al. (1985) Autoantibodies
against neutrophils and monocytes: tool for diagnosis and marker of disease
activity in Wegener’s granulomatosis. Lancet 23: 425-9
15. Brouet JC, Clauvel JP, Danon F, Klein M, Seligmann M (1974) Biologic and
clinical significance of cryoglobulins. A report of 86 cases. Am J Med 57:
775-88
16. Guillevin L, Pagnoux C, Seror R, Mahr A, Mouthon L, Le Toumelin P
(2011) The Five-Factor Score revisited: assessment of prognoses of systemic
necrotizing vasculitides based on the French Vasculitis Study Group (FVSG)
cohort. Medicine (Baltimore) 90: 19-27
17. Boross P, Leusen JHW (2012) Mechanisms of action of CD20 antibodies. Am
J Cancer Res 2: 676-90
18. Kazatchkine MD, Kaveri SV (2001) Immunomodulation of autoimmune and
inflammatory diseases with intravenous immune globulin. N Engl J Med 345:
747-55
19. Durandy A, Kaveri SV, Kuijpers TW et al. (2009) Intravenous
immunoglobulins--understanding properties and mechanisms. Clin Exp
Immunol 158 (Suppl 1): 2-13
20. Zisman DA, McCune WJ, Tino G, Lynch JP 3rd (2001) Drug-induced
pneumonitis: the role of methotrexate. Sarcoidosis Vasc Diffuse Lung Dis 18:
243-52
Téléchargement