TRANSMISSION TRANSGÉNÉRATIONNELLE DES TRAITS ACQUIS PAR L'ÉPIGÉNÉTIQUE Pauline Monhonval, Françoise Lotstra De Boeck Supérieur | « Cahiers de psychologie clinique » 2014/2 n° 43 | pages 29 à 42 ISSN 1370-074X ISBN 9782804189853 DOI 10.3917/cpc.043.0029 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2014-2-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- TRANSMISSION TRANS­ GÉNÉRATIONNELLE DES TRAITS ACQUIS PAR L’ÉPIGÉNÉTIQUE © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Résumé La découverte récente des mécanismes épigénétiques associés au stress précoce permet de questionner sous un nouvel angle la question complexe de l’étiologie des maladies mentales ainsi que la transmission transgénérationnelle des traits acquis. Cet article qui vise à informer les professionnels de la santé mentale passe en revue les données les plus actuelles sur ce sujet. Mots-clés épigénétique, héritage, transgénérationnel, stress précoce, syndrome de stress post traumatique. Abstract The recent discovery of epigenetic mechanisms associated to early life stress address the complex question of etiology of mental diseases and transgenerational inheritance of acquired features. This article aims to inform mental health professionals looking over more current datas on the subject. Keywords epigenetics, inheritance, transgenerational, early life stress, post traumatic stress disorder. DOI: 10.3917/cpc.043.0029 1 Pauline Monhonval est médecin assistante en psychiatrie et travaille au CHUV à Lausanne. Pauline. [email protected] 2 Françoise Lotstra est professeur de l’Université Libre de Bruxelles, 119 av F.D. Roosevelt Bte 9, Bruxelles 1050. 29 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Pauline MONHONVAL1, Françoise LOTSTRA2 30 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Des données épidémiologiques soutiennent la participation de composants héréditaires dans la survenue des maladies mentales. À l’heure actuelle, aucun gène n’a été identifié et la génétique de ces maladies s’annonce bien plus complexe qu’elle ne le fut annoncée dans les années septante. Les études sur l’identification de gènes soi-disant responsables de la maniaco-dépression et de la schizophrénie se sont avérées non reproductibles par des techniques de biologie moléculaire de plus en plus précises. Prudents, les généticiens préfèrent utiliser le terme de gènes candidats et seule une combinaison de milliers d’allèles serait nécessaire à l’émergence de la maladie. En ce qui concerne la schizophrénie, des facteurs de risque précoces et tardifs ont été clairement établis. Le manque de compréhension de l’étiopathogénie des maladies mentales constitue un obstacle pour la clinique, car la catégorisation des troubles et la désignation de facteurs de susceptibilité ou de marqueurs diagnostiques s’en trouvent compliquées. Le fréquent renouvellement des manuels de classification des maladies mentales et les débats complexes qui y sont associés témoignent par ailleurs de cette lacune. Si les facteurs génétiques ne suffisent pas à expliquer l’étiologie des troubles mentaux, la découverte récente de mécanismes épigénétiques a ouvert un nouveau champ de recherche qui pourrait offrir des éléments de réponse à cette question. Les résultats les plus parlants seront abordés dans cet article. Ceux-ci concernent principalement le stress précoce et le syndrome de stress post traumatique. Qu’est-ce que l’épigénétique ? L’épigénétique est généralement définie comme l’ensemble des modifications de l’expression d’un gène sans que la séquence d’ADN de ce gène ne soit modifiée. Elle fait l’objet de nombreuses recherches, qui ont commencé en biologie puis se sont étendues en médecine dans des domaines comme la cancérologie, l’endocrinologie, la neurologie et la psychiatrie. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Introduction Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique 31 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Les mécanismes épigénétiques sont des régulateurs dynamiques de l’expression des gènes. Ils interviennent donc non pas au niveau de la séquence d’ADN du gène mais au niveau des processus qui permettent au gène d’être exprimé. Ces processus sont la transcription et la traduction. La transcription est la transformation de l’ADN en ARN, et la traduction est la transformation de l’ARN en protéine. Les trois mécanismes épigénétiques les plus étudiés en psychiatrie sont la méthylation de l’ADN, les modifications post-traductionnelles des histones et la fonction des petits ARN non codants. Il en existe d’autres qui ne seront pas abordés ici. Voici comment ces mécanismes sont susceptibles de modifier l’expression des gènes. Pour commencer, une méthylation importante au niveau de l’ADN d’un gène, plus précisément au niveau de la partie promotrice qui se situe à l’avant du gène, peut empêcher sa liaison aux facteurs de transcription, car les groupements méthyls se lient à des groupements de protéines, ce qui rend la chromatine compacte3. Une fois la chromatine condensée, la machinerie transcriptionnelle n’est plus en mesure, par manque de place, d’approcher le promoteur du gène afin d’initier la transcription de ce gène, ce qui permettrait son expression. Le gène reste donc silencieux. Le second mécanisme épigénétique est caractérisé par des modifications des protéines histones. Ces réactions chimiques consistent en liaisons de certains groupements sur ces protéines, notamment des groupements acétyl, mais également méthyl ou phosphore, qui ont pour conséquence, comme la méthylation de l’ADN, de moduler l’expression des gènes en modifiant la structure de la chromatine qui se trouve autour, permettant ou empêchant l’accès de la machinerie transcriptionnelle à l’ADN, donc permettant ou non la transcription et donc l’expression du gène. Enfin, les petits ARNs non codants, qui sont issus de la transcription de l’ADN mais qui ne sont pas destinés à être traduits en protéines, sont des séquences d’ARN courtes qui ont été classées en différents types : les microARNs, les petits ARNs interférants, les ARNs interagissant avec les protéines piwi4 et les petits ARNs nucléolaires. Ils régulent des processus 3 La chromatine est un complexe que l’on retrouve dans le noyau de la cellule et qui est formé d’ADN et de protéines qui lui sont associées, histones ou non histones. 4 Les protéines piwi sont des protéines régulatrices responsables du maintien d’une différentiation incomplète au sein des cellules souches et d’un taux de division cellulaire stable des cellules de la lignée germinale. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Mécanismes épigénétiques 32 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique transcriptionnels ou traductionnels. Par exemple, les microARNs régulent l’expression génique par destruction des ARN messagers dont ils sont complémentaires. L’importance quantitative et fonctionnelle des petits ARNs non codants a longtemps été sous-estimée et fait aujourd’hui l’objet de recherches importantes, relatives notamment à leur rôle dans la régulation de l’expression des gènes. Epigénétique et psychopathologie L’existence de mécanismes épigénétiques a été observée dans différents processus physiologiques, tels que l’apprentissage et la mémoire à long terme, et étudiée dans une série d’affections psychiatriques comme les addictions, les troubles anxieux, la dépression, le trouble bipolaire, la schizophrénie, ou encore les troubles alimentaires. À ce stade de la recherche, les résultats les plus probants concernent les effets du stress précoce et le syndrome de stress post traumatique. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Le stress précoce a un impact démontré tant sur le plan somatique que sur le plan psychique. Il majore le risque de développer des troubles cardiovasculaires et métaboliques et favorise le développement de diverses psychopathologies. De nombreuses études ont cherché à démontrer l’existence de mécanismes épigénétiques associés à l’apparition de maladies mentales. Le domaine qui compte les résultats les plus probants à l’heure actuelle est celui du stress précoce. Contrairement aux maladies mentales qui sont représentées comme différents syndromes ou ensembles de symptômes et qui impliquent donc de multiples variables, le stress est moins complexe à étudier, dans le sens où les chercheurs se concentrent sur une seule variable, la réactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Cet axe est une boucle de régulation du stress, qui mène d’une part à la production des glucocorticoïdes, ou cortisol chez l’homme, mais qui peut également limiter leur production lorsque les taux sont trop élevés dans le sang, par le biais d’un rétro-contrôle initié par l’hippocampe qui est une structure cérébrale. Cet équilibrage © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Epigénétique et résilience © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) est très important, dans la mesure où des taux chroniquement excessifs de glucocorticoïdes sont délétères pour l’organisme et notamment abîment l’hippocampe en détruisant les neurones hippocampiques et en inhibant la neurogenèse. La première publication significative dans ce domaine date de 1985, lorsque Meaney5 illustre dans un rapport publié dans « Behavioral Neurosciences » que les taux de récepteurs aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe et le cortex frontal sont majorés dans le cerveau des rats adultes qui ont expérimenté le « handling » postnatal, ce qui entraine chez eux une plus grande réactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien6. Le « handling » correspond à la manipulation des nouveaux-nés. Dans les 10 années qui ont suivi cette publication, différentes voies ont été explorées dans le but de comprendre les mécanismes au travers desquels le « handling » modifie les taux de récepteurs aux glucocorticoïdes. Certaines études ont mis en évidence un rôle des hormones thyroïdiennes et du signalement sérotoninergique7, 8. Le « handling » a ensuite été associé à une majoration de la transcription du gène de ces récepteurs aux glucocorticoïdes, donc de leur production. De même manière que le « handling », les comportements maternels de « licking and grooming », ou léchage et toilettage, se sont montrés capables de modifier la réponse au stress de l’axe hypothalamo-hypophysaire9. Ensuite, les effets du stress précoce ont été étudiés grâce à un modèle animal de séparation maternelle, modèle dans lequel des rongeurs nouveau-nés sont séparés quotidiennement de leur mère, de manière imprédictible et pour des durées variables, en période postnatale précoce. Ce modèle induit chez le rat des changements physiologiques et comportementaux de longue durée, notamment des taux de corticoïdes plasmatiques plus élevés et des comportements de type anxieux qui persistent toute la vie du rat10. Ces changements ont été associés à des modifications épigénétiques qui persistent tout au long de la vie de l’animal et qui sont mises en parallèle avec une altération de sa résistance au stress. Précisément, Weaver11 a mis en évidence une modification épigénétique, en l’occurrence une plus grande méthylation de l’ADN, au niveau du promoteur du gène responsable de la production des récepteurs aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe des ratons stressés. En conséquence, les récepteurs aux glucocorticoïdes 33 5 MJ Meaney et al., “Early postnatal handling alters glucocorticoid receptor concentrations in selected brain regions”. 6 R. Adler, “The effecst of early experience on the adrenocotical response to different magnitudes of stimulation”. 7 MJ Meaney et al., Postnatal handling increases the expression of cAMP-inducible transcription factors in the rat hippocampus: the effects of thyroid hormones and serotonin”. 8 JW Smythe, WB Rowe et MJ Meaney. “Neonatal handling alters serotonin (5HT) turnover and 5HT2 receptor binding in selected brain regions: relationship to the handling effect on glucocorticoid receptor expression”. 9 D Francis et al. “Nongenomic transmission across generations of maternal behavior and stress responses in the rat”. 10 IC Weaver, “Epigenetic programming by maternal behaviour and pharmacological intervention. Nature versus nurture. Let’s call the whole thing off”. 11 IC Weaver et al. “Early environmental regulation of hippocampal glucocorticoi receptor gene expression: characterization of intracellular mediators and potential genomic target sites”. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) 12 PO McGowan et al. “Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse”. 13 EB Binder et al. “Association of FKBP5 polymorphisms and childhood abuse with risk of posttraumatic stress disorder symptoms in adults”. Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique y sont moins exprimés, c’est-à-dire qu’ils s’y retrouvent en moins grand nombre et ne peuvent plus exercer aussi efficacement leur rôle de rétro-contrôle, soit de frein à la sécrétion des corticoïdes en périphérie. Ce qui est associé chez les ratons à une moindre résistance au stress pendant toute leur vie. Il est important de préciser que ces différences de méthylation émergent lors de la première semaine de vie des rats et persistent à l’âge adulte. Par contre, au-delà des 8 premiers jours, la même expérience ne semble plus capable d’entraîner des modifications de l’épigénome, ce qui suggère l’existence d’une période plus vulnérable au stress, celle des premiers jours de vie. Chez l’homme, Mc Gowan12 et son équipe ont étudié en post mortem le cerveau de patients dépressifs suicidés qui d’une part avaient subi des traumatismes dans l’enfance, de type abus, négligence ou maltraitance, et d’autre part n’avaient pas vécu de tels traumatismes. Une méthylation importante du promoteur du gène des récepteurs aux glucocorticoïdes et une expression moindre de ces récepteurs ont été observées au niveau de l’hippocampe des patients suicidés ayant vécu des traumatismes infantiles, contrairement à ceux qui n’en avaient pas vécus. Ces résultats rejoignent donc les découvertes faites antérieurement chez les ratons privés de soins maternels adéquats. Dans la même lignée, une étude plus récente13 a été réalisée sur un échantillon de 900 personnes, issues d’une population afro-américaine défavorisée de la ville d’Atlanta. Cette population a été choisie pour son exposition fréquente à des traumatismes psychiques et pour son risque élevé de développer le syndrome de stress post traumatique à l’âge adulte. Ce syndrome est caractérisé par le DSM IV-TR, classification américaine des maladies mentales, comme un trouble anxieux qui survient en réaction à un traumatisme sévère, et comprend l’apparition d’un ensemble de symptômes tels que des reviviscences diurnes du trauma, des cauchemars, de l’hypervigilance et des comportements d’évitement. L’étude porte plus précisément sur un gène obtenu à partir de prélèvements salivaires, le gène FKBP5. Ce gène est responsable de la production de la protéine FKBP5, qui fait partie d’un processus de régulation du stress. Elle inhibe en effet l’activité du récepteur aux glucocorticoïdes en diminuant son affinité pour le cortisol et freine la transcription des gènes en amont et donc la production © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) 34 35 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) de glucocorticoïdes périphériques. Le gène FKBP5 possède plusieurs allèles et l’étude a montré que les porteurs homozygotes d’un certain allèle, nommé « allèle de risque », sont plus enclins à développer un syndrome de stress post traumatique que les porteurs d’un autre allèle du même gène, nommé « allèle de résilience », dans le seul cas où les patients avaient subi des traumatismes dans l’enfance. L’étude a donc permis d’établir un lien entre l’association de certains variants génomiques et d’un facteur environnemental, le traumatisme infantile, avec la survenue plus fréquente d’un trouble mental, le syndrome de stress post traumatique. Une seconde étude14 a validé ces résultats sur un échantillon de deux mille personnes en reprenant la même population et est allée un pas plus loin, démontrant que le taux de méthylation du gène responsable de la production de la protéine FKBP5 était significativement moindre dans les cellules sanguines des porteurs homozygotes de l’allèle de risque, si et seulement si la personne avait subi des traumatismes dans l’enfance. Pour la première fois, un lien clair est établi entre la présence d’une susceptibilité génétique, d’un stress précoce responsable d’une altération épigénétique, et de la survenue d’un trouble. La résistance au stress abordée tout au long de ces études fait largement penser au concept de résilience. Le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby avait déjà à l’époque insisté sur l’importance de la qualité des interactions précoces dans le développement de la résilience, et ses travaux ainsi que ceux de Donald Winnicot, René Sptiz, ou Harry Harlow relatifs aux dommages du stress ou de la séparation précoce ont certainement contribué à inspirer les chercheurs d’aujourd’hui. Epigénétique et transmission de traits acquis Bien que la génétique ait tenu une place centrale dans les théories de l’hérédité pendant près d’un demi-siècle, des scientifiques tels que Lamarck ont défendu la possibilité d’une transmission de traits acquis d’une génération à l’autre, concept soutenu également aujourd’hui par des données épidémiologiques. Chez le rat, Champagne a montré que les soins maternels de « licking and grooming » reçus dans l’enfance prédisent les futurs comportements de soins des femelles envers leur propre progéniture, 14 T Klengel et al., “Allele specific FKBP5 DNA demethylation mediates genechildhood trauma interactions”. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique 36 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique ce qui illustre l’existence d’une transmission transgénérationnelle des comportements maternels15. D’autres auteurs tels que Weaver, Saavedra-Rodriguez et Feig16 ont récemment démontré chez l’animal la possibilité d’une transmission d’un trait acquis, à savoir d’une vulnérabilité à développer des troubles psychiques, au travers de modifications épigénétiques. Il est important de distinguer d’emblée la transmission qui se fait au travers de l’exposition comportementale, avec apparition de modifications épigénétiques dans les cellules neuronales de la progéniture, de la transmission qui se fait au travers des cellules germinales, avec des modifications épigénétiques retrouvées également à ce niveau. Ce second type de transmission permet le passage de certains traits sur plusieurs générations sans que les différentes progénitures ne soient reexposées à un comportement délétère ou inadéquat. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) 15 FA Champagne et DD Francis. “Variations in maternel care in the rat as a mediating influence for the effects of environment on development”. 16 L. Daxinger et E. Whitelaw. “Understanding transgénérationnel epigenetic inheritance via the gamete mammals”. 17 IC Weaver. “Epigenetic programming by maternal behaviour and pharmacological intervention. Nature versus nurture. Let’s call the whole thing off”. Comme l’a démontré Weaver, la perturbation des soins maternels durant la période post natale précoce peut avoir un impact sévère et persistant à l’âge adulte17 au travers de modifications épigénétiques retrouvées dans le cerveau de la progéniture. La qualité des soins maternels, évaluée au travers des conduites de léchage et toilettage, peut altérer la méthylation de l’ADN au travers du génome. En particulier, de « bons » soins entrainent une réduction de la méthylation de l’ADN au niveau du site de liaison aux facteurs de transcription dans le gène qui code pour le récepteur aux glucocorticoïdes de l’hippocampe, augmentant ainsi l’expression de ce récepteur. Cet effet peut être transmis aux générations suivantes au travers des comportements maternels : en effet, les femelles qui ont reçu de « bons » soins durant la période post natale précoce deviennent elles-mêmes de « bonnes » mères, rétablissant un profil de méthylation d’ADN similaire dans le cerveau de leur progéniture. Inversement, les mères ayant elles-mêmes reçu des soins inadéquats développeront un comportement anxieux qu’elles communiqueront à leur progéniture qui développera un profil de méthylation excessive. Cet effet de transmission par le comportement n’est pas permanent et nécessite d’être ré-institué à chaque génération. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Transmission comportementale Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique Transmission germinale © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Comme expliqué plus haut, la transmission germinale d’altérations épigénétiques, contrairement à la transmission comportementale, ne nécessite pas d’être réinstallée à chaque génération par l’exposition à un comportement. Chez la souris, Saavedra-Rodriguez et Feig ont observé un phénomène qui devient de plus en plus évident dans les études épidémiologiques19 et les études de laboratoire20. Les pères exposés au stress transmettent de l’anxiété et des déficits sociaux aux générations suivantes sans qu’elles aient été elles-mêmes exposées à un stress, suggérant une contribution des cellules germinales, en l’occurrence des cellules spermatiques. En effet, des études basées sur des lignées paternelles ont observé des modifications épigénétiques, en particulier une méthylation de l’ADN au niveau des cellules du sperme21,22,23,24 des pères, avec des modifications similaires présentes dans le cerveau et dans le sperme des premières générations qui, dans certains cas, sont observées également dans les 2e et 3e générations. Malheureusement, il est très difficile, d’un point de vue expérimental, de démontrer la contribution isolée des cellules germinales, pour les raisons suivantes. 18 L. Saavedra Rodriguez et LA Feig. “Chronic social instability induces anxiety and defective socia interactions across generations”. 19 ME Pembrey et al. “Sex-specific, maleline transgenerational responses in humans”. 20 TB Franklin et al. “Epigenetic transmission of the impact of early stress across generations”. 21 TB Franklin et IM Mansuy. “Epigenetic inheritance in mammals: evidence for the impact of adverse environmental effects”. 22 E Jablonka et G Raz. “Transgenerational epigenetic inheritance: prevalence, mechanisms, and implications for the study of heredity and evolution”. 23 RL Jirtle et MK Skinner. “Environmental epigenomics and disease susceptibility”. 24 MD Anway et al. “Epigenetic transgenerationnal actions of endocrine disruptors and male fertility.” © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Si l’on modifie les soins maternels des nouveau-nés en les faisant passer d’une mère non anxieuse à une mère anxieuse lors des 8 premiers jours de vie (méthode de « cross fostering »), on observe chez eux une hyperméthylation du gène codant pour le récepteur aux glucocorticoïdes de l’hippocampe, ce qui démontre ici que la transmission est indépendante des cellules germinales. Il existe donc une période très précoce délimitée dans le temps qui est critique pour l’apparition de l’empreinte épigénétique. Saavedra-Rodriguez et Feig18 ont également exploré les effets du stress au travers des générations. Bien que les femelles des 1ères, 2e et 3e générations héritent des effets du stress parental en exhibant des comportements de type anxieux et des altérations de leur comportement social, cet effet n’est pas observé chez les mâles des mêmes générations. Ce point sera discuté plus loin. 37 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) 25 BG Dias, KJ Ressler. “Parental olfactory experience influnces behavior and neural structure in subsequent generations.” Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique Tout d’abord, il est difficile d’exclure fermement une influence, fût-elle minime, des mâles sur l’élevage des nouveaunés, impliquant des facteurs non germinaux. Par exemple, les interactions postnatales entre mâle, femelle et progéniture pourraient affecter indirectement l’élevage. Ce biais peut être évité en utilisant la méthode de "cross-fostering" après la naissance. Dans l’étude de Saavedra-Rodriguez et Feig, la transmission des déficits comportementaux de la première génération des pères à leurs filles est encore évidente quand le père est absent lors du développement postnatal. Malgré cela, le stress ou les interactions entre mâles et femelles peuvent également influencer le contexte hormonal prénatal et les conditions in utero peuvent moduler le développement des nouveau-nés et la transmission. Dès lors, un autre contrôle pourrait être la fertilisation in vitro, mais les méthodes de reproduction assistées peuvent elles-mêmes altérer l’épigénome, en interférant potentiellement avec la transmission germinale. Finalement, d’autres facteurs susceptibles d’influencer la transmission sont les évènements moléculaires caractéristiques de la maturation des gamètes. Une combinaison prudente de manipulations pré et post-natales s’avère donc nécessaire pour minimiser de tels biais. Dernièrement, des auteurs américains25 ont étudié également l’héritage de l’exposition parentale à un traumatisme au travers d’un design original qui utilise la spécificité moléculaire olfactive. En période pré-conceptionnelle, ils ont soumis des souris à un conditionnement à l’odeur de la peur, en utilisant l’acétophénone qui active un récepteur olfactif connu (Olfr151). Ils ont montré que les générations ultérieures présentaient une sensibilité comportementale majorée à l’odeur en question et pas aux autres odeurs. Cette sensibilité comportementale est associée à une augmentation de la représentation neuroanatomique des voies olfactives correspondantes. De plus, le séquençage de l’ADN spermatique des mâles de la génération conditionnée, ainsi que celui de la progéniture naïve de ces mâles a révélé l’existence d’une hypométhylation des ilôts CpG du gène concerné (Olfr 151) avec transcription majorée de ce gène chez les générations consécutives. Enfin, ces changements persistent également après fertilisation in vitro ou cross fostering, ce qui plaide en faveur d’une © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) 38 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique 39 transmission qui se fait au travers des gamètes parentaux et pas du comportement social. Ces résultats apportent de nouveaux éléments qui permettent d’interroger la transmission transgénérationnelle de l’information environnementale sur les plans comportementaux, anatomiques et épigénétiques. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Une des questions les plus déconcertantes soulevée par Saavedra-Rodriguez et Feig est celle de la spécificité sexuelle des effets du stress social, puisque ce sont les mâles qui sont capables de transmettre une susceptibilité au stress au travers de multiples générations sans que celles-ci soient à leur tour exposées au même stress, par le biais probable des cellules germinales. Le stress précoce induirait donc des modifications épigénétiques qui cibleraient plutôt les cellules somatiques chez les femelles et les cellules germinales chez les mâles. Les divergences sexuelles dans la susceptibilité à être influençable par le stress environnemental sont bien documentées et vraisemblablement la norme plutôt que l’exception. Par ailleurs, les données épidémiologiques montrent que les deux sexes ne sont pas égaux face à la survenue d’une maladie mentale. L’influence du sexe est également bien connue dans le phénomène d’empreinte génique, mécanisme épigénétique par lequel les copies de gènes sont exprimées différemment selon qu’elles sont d’origine maternelle ou paternelle. La variabilité épigénétique pourrait expliquer certaines différences sexuelles, qui sont peut-être en lien avec une temporalité variable de survenue des différents évènements moléculaires durant la maturation des gamètes. En effet, la méthylation de l’ADN de novo dans les cellules germinales, qui est une modification épigénétique critique pour la croissance et le développement, peut survenir à différents moments dans l’histoire de vie des mâles par rapport aux femelles et dans différentes phases cellulaires selon le sexe de l’individu26. La méthylation de l’ADN de novo est peut-être également un processus important pour l’intégration biologique des expériences, et les divergences sexuelles observées au niveau des évènements épigénétiques dans les cellules germinales pourraient expliquer les 26 CB Schaefer et al. “Epigenetic decisions in mammalian germ cells.” © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Spécificité sexuelle de la transmission 40 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique différents modèles d’hérédité observés dans les lignées maternelles et paternelles, mais ceci reste au stade des hypothèses pour l’instant. Les détails du déroulement de ces processus restent à éclaircir mais soulignent l’importance de considérer le sexe dans l’étude des susceptibilités à développer certains troubles. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Bien que le développement progressif de méthodes d’analyse de plus en plus poussées de l’épigénome promette de rapides progrès, la recherche en épigénétique reste un vrai défi à cause de la complexité des modèles expérimentaux, du temps nécessaire pour élever plusieurs générations d’animaux et de la nécessité d’une expertise interdisciplinaire. Tout en considérant prudemment dans les études à venir les facteurs pré et postnataux susceptibles d’influencer la transmission de traits au travers des générations, il sera crucial de déterminer comment, sur le plan moléculaire, un facteur environnemental peut altérer l’épigénome, que ce soit au niveau des cellules germinales matures ou des cellules cérébrales en développement, et quelles altérations dans celles qui persistent sont vraiment pertinentes fonctionnellement. Sur le plan clinique, l’intégration de l’épigénétique dans la compréhension de l’étiologie des maladies mentales pourrait remettre en question les classifications catégorielles et symptomatiques actuelles, au profit de classifications plus intégratives. L’étape ultime serait de mettre en évidence des marqueurs de susceptibilité et des cibles moléculaires pour le développement de produits capables de modifications épigénétiques à visée thérapeutique. Des produits pharmacologiques ciblant les méthylations de l’ADN et les modifications d’histones posttraductionnelles peuvent renverser les méthylations d’ADN et acétylations d’histone altérées in vivo et montrent déjà un bénéfice thérapeutique dans le cancer. En psychiatrie, des études ont montré que les inhibiteurs de la désacétylation d’histone peuvent mimer les effets des antidépresseurs et soulager des déficits cognitifs et neurologiques chez les animaux. Bien qu’encore à un stade pré-clinique, des dérivés de ces produits pourront peut-être dans le futur soulager ou traiter des symptômes de troubles psychiatriques complexes chez l’homme. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Perspectives Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique Bibliographie © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Adler, R. (1970). The effecst of early experience on the adrenocotical response to different magnitudes of stimulation. Physiology and Behaviour; 5, 837-839 Anway, M.D. et al. (2005). Epigenetic transgenerationnal actions of endocrine disruptors and male fertility. Science, 308: 1466-69 Binder, E.B. et al. (2008). Association of FKBP5 polymorphisms and childhood abuse with risk of posttraumatic stress disorder symptoms in adults. Journal of the american medical association; 299, 1291-305 Champagne, F.A. et Francis, D.D. (2003). Variations in maternel care in the rat as a mediating influence for the effects of environment on development. Physiology and Behavior 79;3, 359-71 Daxinger, L. et Whitelaw, E. (2012). Understanding transgénérationnel epigenetic inheritance via the gamete mammals. Nature Reviews Genetics; 13:153-62 Dias, B.G., Ressler, K.J. (2014). Parental olfactory experience influnces behavior and neural structure in subsequent generations. Nature Neurosciences, Janvier 17 (1) 89-96 Francis, D. et al. (1999). Nongenomic transmission across generations of maternal behavior and stress responses in the rat. Science; 286, 1155-1158 Franklin, T.B. et al. (2010). Epigenetic transmission of the impact of early stress across generations. Biological Psychiatry; 68: 408-15 Franklin, T.B. et Mansuy, I.M. (2010). Epigenetic inheritance in mammals: evidence for the impact of adverse environmental effects. Neurobiology of Disease; 39:61-65 Jablonka, E. et Raz, G. (2009). Transgenerational epigenetic inheritance: prevalence, mechanisms, and implications for the study of heredity and evolution. The Quarterly Review of Biology; 84:131-176 Jirtle, R.L. et Skinner, M.K. (2007). Environmental epigenomics and disease susceptibility. Nature Reviews Genetics; 8:253-262 Klengel, T. et al. (2013). Allele specific FKBP5 DNA demethylation mediates gene-childhood trauma interactions. Nature Neuroscience;16, 33-41 McGowan, P.O. et al. (2009). Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse. Nature Neuroscience ;12,3 Meaney, M.J. et al. (1985). Early postnatal handling alters glucocorticoid receptor concentrations in selected brain regions. Behavioral NeuroscienceVol 99.4; 765-770 Meaney, M.J. (2000). Postnatal handling increases the expression of cAMP-inducible transcription factors in the rat hippocampus: the effects of thyroid hormones and serotonin. The journal of Neurosciences; 20, 3926-3935; Pembrey, M.E. et al. (2006). Sex-specific, male-line transgenerational responses in humans. European Journal of Human Genetics; 14:159-66 Saavedra Rodriguez, L. et Feig, L.A. (2013). Chronic social instability induces anxiety and defective socia interactions across generations Biol Psychiatry; 73:44-53 41 42 Transmission trans­générationnelle des traits acquis par l’épigénétique Schaefer, C.B. et al. (2007). Epigenetic decisions in mammalian germ cells. Sciences; 316: 398-99 Smythe, J.W., Rowe, W.B. et Meaney, M.J. (1994). Neonatal handling alters serotonin (5HT) turnover and 5HT2 receptor binding in selected brain regions: relationship to the handling effect on glucocorticoid receptor expression. Developmental Brain Research; 80, 183-189 Weaver, I.C. (2007). Epigenetic programming by maternal behaviour and pharmacological intervention. Nature versus nurture. Let’s call the whole thing off. Epigenetics; 2:22-28 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 81.251.242.140) Weaver, I.C. et al. (2004). Early environmental regulation of hippocampal glucocorticoi receptor gene expression: characterization of intracellular mediators and potential genomic target sites. Annals of NewYork Academy of Sciences; 1024, 182-212