1999,10,18,Le contrat didactique dans la TSD, Mercier, CONFERENCE, Doctorat Honoris Causa de Guy Brousseau, Montréal

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LE CONTRAT DIDACTIQUE, DANS LA THÉORIE DES
SITUATIONS.
Alain Mercier, Ecole Nationale de Formation Agronomique, Toulouse, France
Conférence aux Premières Journées de Didactique des Mathématiques de
Montréal,
prononcée à l’Université de Montréal le mercredi 4 juin 1997.
Remerciements
Je remercie l’Universite de Montréal pour son invitation, et toutes les personnes
qui ont travaillé opiniatrement pour que se tiennent ces Premières Journées de
didactique des mathématiques. Je remercie chaleureusement Jean Portugais, qui a
voulu ces Journées et veille à leur bon déroulement avec tant de soin, je remercie
encore Gisèle Lemoyne, qui sera demain la marraine de Guy Brousseau pour son
doctorat honoris causa, et Nadine Berdnarz, Benoît côté, Marie-Jeanne Haguel,
qui ont réalisé un dispositif de travail efficace avec l’aide de leurs collègues des
universités de Montréal, du Quebec, et du Canada. L'invitation qu'ils m'ont faite
me ravit, car on n'a pas tous les jours l'occasion de parler du contrat didactique ;
leur invitation m'honore, car elle est liée à la reconnaissance du travail de Guy
Brousseau, à qui je dois à la fois mon intérêt pour la didactique, et la direction
bienveillante de mon entrée dans le monde de la recherche. Je parlerai de ce que
vingt ans de frayage m’ont appris sur l’espace de problèmes que le concept de
« contrat didactique » a ouvert.
Ouverture
Car le projet, formulé par Guy Brousseau, d’étudier expérimentalement les
conditions d’une genèse artificielle des savoirs mathématiques, portait une
ambition qui nous fit rêver. Mais l’élève n’est pas seulement un sujet
connaissant : il produit des objets sociaux, les savoirs. A cet effet, il entre dans un
jeu coopératif avec l’enseignant, dans le but de produire des objets conformes à
une attente sociale. Le concept de contrat didactique rend compte de cette
coopération, et le projet initial de Guy Brousseau, transformé par l’irruption des
problèmes qui forment l’extension de ce concept, ouvre aujourd’hui sur une
théorie de la transmission intentionnelle des savoirs socialement désignés : la
théorie des situations didactiques. Les problèmes que porte cette théorie balisent
l’espace de ce que l’on nomme désormais le didactique. J’en proposerai une
visite, en centrant mon intérêt sur le contrat pour en donner une interprétation
venue des questions que j’ai pu étudier personnellemnent.
INTRODUCTION
La dimension humaine, et collective, des savoirs scientifiques
J’exprimerai ainsi le motif de mon adhésion profonde au programme de la
didactique des mathématiques : On ne peut comprendre comment les hommes
savent les sciences en tenant pour négligeable le fait que la science soit toujours le
produit d’une institution collective de recherche, quand bien même certains
progrès des sciences seraient attribués à des hommes en particulier. Pourtant,
l’étude de l’apprentissage des sciences a souvent été menée dans les laboratoires,
sur des “ sujets ” isolés. Travailler sur le développement de la compréhension de
la science en observant l’apparition ou la non-apparition d’un comportement
attribuable à la connaissance d'un des concepts de la science en ignorerant la
dimension sociale de l’activité scientifique et technologique caricature tout autant
la réalité qu'une recherche de métaphysique sur les religions chrétiennes qui
travaillerait sur le développement du sentiment religieux en observant l’apparition
d’un comportement attribuable à l’idée de consubstancialité chez de jeunes
communiants pris individuellement dans une situation bien contrôlée : le concept
est un objet de la théorie, il appartient au rapport de l’institution et non pas à celui
de la personne.
Cette affirmation, posée a priori pour les besoins de cette conférence, énonce
un des acquis - à mon avis essentiels - de la didactique des mathématiques. Je l’ai
prise comme a priori parce qu’elle ouvre de plain pied sur deux problèmes qui
introduisent mon sujet : Comment deux hommes pourraient-ils échanger à propos
d’une idée nouvelle si l’inventeur n’avait aucun moyen de réduire la nouveauté de
son idée pour l’autre ? Comment l’humanité pourrait-elle accumuler le savoir, si
les aînés n’avaient aucun moyen d’aider leurs successeurs à s’en saisir ?
L’inventeur d’une idée ou d’une théorie qui ne désire pas rester un savant
incompris pose, et tente de résoudre le problème que tout enseignant rencontre.
Cet inventeur dispose de deux types de stratégies (Je fais référence par exemple à
la conférence de Thurston Proof and progress in mathematics. New York, 21
octobre 1993).
Soit, il fait exister pour d’autres les conditions qui rendront son savoir
nécessaire c’est-à-dire, qu’il pose le problème même que résout son idée
nouvelle, et qu’il viabilise le terrain sur lequel la solution trouvée pourra être
construite à nouveau, par d’autres. Le balisage du territoire dont la connaissance
commune fondera la répétition de l’exploration première semble certes la solution
idéale, mais l’expérience montre que les touristes ne vivent pas exactement la
même aventure que l’explorateur, et qu’ils ne retirent pas le même bénéfice de
leur déplacement. Soit, il cache la nouveauté de son savoir c’est-à-dire, qu’il
minimise le problème et qu'il présente la solution comme une organisation
d’éléments connus. Il pose alors des problèmes partiels qui produisent une
familiarisation avec le nouveau, longtemps avant de montrer l’importance du
problème et l’originalité de la construction. L'existence d'un contrat didactique est
un des moyens de la résolution pratique et implicite de ces problèmes.
Le contrat didactique, dans l’enseignement des mathématiques
Une relation didactique, qui s’enracine dans la décision d’enseigner et celle
d’apprendre des savoirs précis, est sous-tendue par l’histoire didactique des
protagonistes qui produit un système réciproque d’attentes entre le maître et les
élèves : c’est cela que nomme le concept de contrat didactique. Dans une Ecole,
les savoirs, qui sont une production sociale, doivent leur reproduction à une autre
organisation sociale ; le concept de contrat didactique permet justement d’étudier
certaines des dimensions sociales nécessaires à l’apprentissage des savoirs. Nous
pensons et décrivons les responsabilités respectives du professeur et de l'élève au
regard du savoir traité, en classe comme en dehors des temps de l’interaction
scolaire proprement dite, et les conditions générales dans lesquelles ces
responsabilités pourront évoluer, sous le terme de contrat didactique.
La compréhension de ce que la connaissance du contrat didactique apporte à la
connaissance des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage, suppose une
certaine familiarité avec l’ensemble des champs de recherches didactiques dans
lesquels il intervient. C’est pourquoi je vous propose une série de vignettes
j’essaie de montrer en quelques minutes comment l’intervention du contrat a
semblé nécessaire, et les connaissances ou les problèmes qu’elle a produits. Ces
mises en situation introduiront donc chaque fois à un domaine ou à un thème de
recherches particulier. Elles m’aideront à présenter quelques-uns des problèmes
dont le concept de contrat didactique s’est nourri pour moi, ainsi que la manière
dont il a contribué à produire des solutions particulières dans des environnements
variés. Chacune constitue comme l’une des touches de couleur d’un portrait
impressionniste dont la connaissance suppose que l'on oublie les détails pour
prendre, enfin, un certain recul.
Je suivrai l’ordre que voici :
Introduction
1. Quel sens attribuer à un comportement observé ?
2. Le Contrat est-il pédagogique ou didactique ?
3. Le scandale des “ effets de contrat ”, Le cas du professeur
4. Le contrat didactique, moyen d’enseignement
5. Le scandale des “ effets de contrat ”, le cas de l’élève
6. Deux nouveaux problèmes, La dévolution et l’institutionnalisation
7. Les paradoxes de l’intention didactique
8. Le contrat et le milieu, la mémoire didactique
9. L’entrée dans un contrat, et le maintien de la relation didactique
10. Questions étudiées et questions vives de la recherche actuelle
Conclusion
1. QUEL SENS ATTRIBUER À UN COMPORTEMENT OBSERVÉ ?
Une série de techniques erronées produisent des réponses exactes
Je décrirai les phénomènes liés au contrat didactique en évoquant une
observation dont la publication a produit une surprise certaine chez le jeune
chercheur que j’étais, il y a vingt ans. Voici comment on pourrait présenter les
observations concordantes de nombreux chercheurs (Izorche, 1977), (Brousseau,
1980), (Margolinas, 1982), (Léonard et Sackur, 1986 et 1991) : Interrogée au
téléphone, une personne doit résoudre le problème 1 ci-dessous :
“ Déterminer la somme des deux nombres suivants : deux virgule trois et
quatre virgule un ” (problème 1)
Elle répond six virgule quatre. C’est juste, mais que sait-elle de l’addition des
décimaux ? On ne peut rien en dire, parce qu'on ne peut pas prévoir, de ce
comportement conforme, son comportement face au problème 2 qui lui serait
posé à la suite et dans les mêmes conditions :
“ Déterminer la somme des deux nombres suivants : deux virgule treize et
trois virgule sept (problème 2)
La réponse obtenue dépend des personnes interrogées, et plus précisément des
conditions matérielles et sociales dans lesquelles elles ont déjà rencontré de tels
problèmes, des techniques qui leur sont matériellement et intellectuellement
disponibles, des explications associées qu’elles connaissent : de leur biographie
relative à cet objet mathématique qu’est “ l’addition des décimaux ”. Ainsi, de
deux personnes qui répondaient unanimement six virgule quatre, Untel répondra
maintenant cinq virgule quatre-vingt-trois tandis que Telautre répondra cinq
virgule vingt. Ce dernier résultat s’obtient en ajoutant deux et trois, puis treize et
sept, agissant avec les décimaux ainsi que l’indique la manière dont on les lit :
comme un couple d’entiers constituant pour le premier, la partie entière du
nombre décimal, et pour le second, sa partie fractionnaire décimale.
La réponse exacte au premier problème pouvait être produite avec cette
technique, mathématiquement incorrecte. Le deuxième problème la disqualifie, en
principe. Mais il existe une règle pratique consistant à ramener les décimaux au
même nombre de décimales. Il suffit d'écrire les nombres “ en chiffres et
d'égaler les longueurs des parties décimales pour obtenir un problème de
substitution, “ Déterminer la somme des décimaux 2,13 et 3,70. ”, qui se résout
très bien par addition séparée de 3 et 2 d’un côté, 70 et 13 de l’autre. La somme
est 5,83, un résultat qui ne signe donc pas un rapport univoque aux décimaux.
Chacun le savait bien sûr : des problèmes relevant de conditions différentes
correspondent à des connaissances différentes. Mais personne n’en avait tiré des
observations aussi surprenantes, parce que personne n’avait pensé ceci : le savoir
est déterminé par une situation épistémologique.
L’attribution scolaire de réussite
On constate alors que dans les classes, de tels problèmes sont posés à des élèves
pour tester leur connaissance des décimaux. Et, les élèves qui ont juste se voient
attribuer la connaissance de l’addition des décimaux, tandis que les autres se
voient refuser cette attribution. Ma surprise devant l’observation était donc l’effet
de ma pratique d’enseignant : je pratiquais ainsi moi-même, sans en avoir
conscience. Car les chercheurs n'avaient pas repéré un phénomène cognitif
attribuable aux élèves, mais une contrainte à laquelle le professeur est soumis :
Pour enseigner des savoirs, et pour que les élèves apprennent à résoudre des
problèmes qui utilisent ces savoirs, le professeur est en droit de leur poser des
questions auxquelles ils pourraient ne pas répondre juste. En retour, les élèves
doivent impérativement répondre. (Cette obligation les dégage de celle de
répondre juste : ils doivent une réponse, même si elle doit être fausse.)
Cependant, si les élèves répondent juste, le professeur doit officiellement
considérer qu'ils maîtrisent le savoir correspondant.
Cela règle l’interprétation du comportement du professeur, qu’autrement nous
aurions donné l’impression de dénoncer : il semble en effet paradoxal qu’un
professeur attribue la connaissance à des élèves qui manifestement “ ne maîtrisent
pas le concept ”, comme dirait un mathématicien. Cette contrainte, Guy
Brousseau l’a nommée “ un élément du contrat didactique ”.
- du “ Contrat ”, parce qu’avec d’autres contraintes du même genre elle décrit et
caractérise le lien implicite du professeur et de l’élève ;
- “ Didactique ” parce qu’elle tient au savoir lui-même, à l’enjeu de la relation
des acteurs d’une situation didactique.
La contrainte que nous avons maintenant identifiée est une des lois
fondamentales du contrat didactique, du lien implicite qui tient ensemble
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1999,10,18,Le contrat didactique dans la TSD, Mercier, CONFERENCE, Doctorat Honoris Causa de Guy Brousseau, Montréal

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