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anxiete sociale

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DE L'INHIBITION SOCIALE À L'ANXIÉTÉ SOCIALE
Frédéric Fanget
Martin Média | « Le Journal des psychologues »
2007/1 n° 244 | pages 24 à 28
ISSN 0752-501X
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Frédéric Fanget, « De l'inhibition sociale à l'anxiété sociale », Le Journal des
psychologues 2007/1 (n° 244), p. 24-28.
DOI 10.3917/jdp.244.0024
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Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2007-1-page-24.htm
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DOSSIER
Regard sur l’inhibition
De L’inhibition sociale
à l’anxiété sociale
Frédéric Fanget
La gamme des inhibitions reflète des troubles qui n’ont pas la même gravité,
allant de la simple gêne à la phobie sociale inquiétante en passant par
la timidité. La distinction entre l’inhibition sociale et l’anxiété sociale est ici
éclairante pour différencier les registres. S’il n’y a pas de rupture entre
le normal et le pathologique dans le domaine de l’inhibition, reste que le
diagnostic différentiel est souhaitable pour préconiser un traitement adéquat.
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Définitions, historique
Définitions de l’inhibition
L’inhibition est définie comme une restriction ou une interruption de l’activité d’un
organe par stimulation d’une partie éloignée par voie nerveuse ou hormonale.
L’autre définition étant un état caractérisé
par un ralentissement ou une diminution
d’une activité physique ou psychique. L’inhibition a été au départ un concept de
physiologie. Vers le milieu du XIXe siècle,
lors d’études sur le cœur, des physiologistes démontrent qu’une activité nerveuse stimulatrice peut entraîner une suspension d’activité, ce phénomène étant
actif et temporaire. Mais l’on peut dans
une approche purement sémantique repérer aussi d’autres significations. Au sens
latin originel, ce mot signifiait le fait de freiner. Cicéron utilisait également ce terme
pour désigner le mouvement d’un orateur
se dégageant de son texte écrit sans que
son auditoire s’en aperçoive. On voit à
quel point, lorsque l’on suit des patients
souffrant d’anxiété sociale, ces propos de
Cicéron étaient visionnaires et montraient
un sens de l’observation. On peut aussi
24 Le Journal des psychologues n°244-février 2007
trouver une signification plus récente dans
le domaine juridique ou ecclésiastique de
l’inhibition au sens proche d’interdiction
ou de prohibition désignant l’acte ou la
décision par lesquels on suspend les pouvoirs d’un individu.
Le terme d’inhibition ne fait pas partie au
départ du champ de la psychologie, il y
est apparu plus tard.
L’inhibition en psychologie
et en psychiatrie
Il faut attendre le début du XXe siècle pour
voir ce mot surgir dans la littérature en
psychologie. Pour Jackson, la notion d’inhibition est liée à celle d’une organisation
hiérarchique des fonctions cérébrales dans
lesquelles les fonctions situées à un niveau
supérieur, « phylogénétiquement » les plus
récentes, inhibent les fonctions situées
plus bas dans le système nerveux central.
Selon Janet (1909), « Les opérations mentales
semblent se disposer en une hiérarchie dans
laquelle les degrés supérieurs sont difficiles à
atteindre et inaccessibles à nos malades tandis
que les degrés inférieurs sont restés à leurs dispositions. » Pour lui, l’inhibition est active et
les excès d’inhibition appauvrissent les
fonctions supérieures sans libérer les fonctions inférieures.
Freud, en 1926, dans Inhibition, symptômes
et angoisse propose sa conception métapsychologique de l’inhibition qu’il dit
exprimer « la limitation fonctionnelle du
moi ». Freud (1965, p. 2) écrit : « Bien des
inhibitions sont manifestement des renonciations à une fonction motivée par le fait que
son exercice provoquerait un développement
de l’angoisse. »
Il a observé le rôle de l’inhibition au service du contrôle de l’angoisse que l’on
retrouve effectivement en clinique chez
les patients souffrant d’anxiété sociale.
L’approche éthologique s’est intéressée à
la notion d’inhibition comportementale.
Des auteurs, comme Bowlby, attirent
notre attention sur le fait qu’une inhibition
peut être volontaire et tout à fait utile. Les
éthologues prennent l’exemple d’un combat entre deux mouettes dans lequel chacune à tendance à attaquer ou à fuir. Pendant ce combat, elles inhibent des
comportements pour lesquels elles ont
pourtant de grandes compétences,
comme lisser leurs plumes ou bâtir un nid.
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Psychiatre,
psychothérapeute
Enseignant
à l’université Lyon-I
Centre hospitalier
spécialisé
Le Vinatier
On le voit, petit à petit, on passe d’une
conception physiologique de l’inhibition à
une conception plus dynamique et psychologique où l’on se rend compte que
l’inhibition sert à quelque chose pour le
sujet. Les éthologistes commencent de
plus à mettre l’accent sur l’utilisation de
l’inhibition dans un contexte de relation à
l’autre qui va nous amener progressivement à la notion d’inhibition sociale.
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C’est la diminution des contacts sociaux.
On introduit ici la notion d’altérité. Freud
emploie l’expression de l’inhibé quant au
but qu’il définit comme qualifiant une pulsion qui sous l’effet d’obstacles externes
ou internes n’atteint pas son mode direct
de satisfaction (ou but) et trouve une satisfaction atténuée dans des activités ou des
relations qui peuvent être considérées
comme des approximations plus ou
moins lointaines du but premier.
Les neurosciences modernes nous apportent des éléments de compréhension de
l’inhibition sociale avec en particulier les
travaux sur l’empathie et la cognition
sociale. Ces travaux montrent que les
mêmes aires cérébrales sont activées
selon que l’on bouge soi-même sa main
droite pour prendre un objet, qu’on imagine faire ce geste, mais sans le faire vraiment ou même que l’on regarde un sujet
face à nous faire ce geste. Cela signifie
que le cerveau active les mêmes régions,
que l’on fasse l’action, que l’on pense la
faire ou que l’on regarde un tiers la faire.
Notre cerveau réagit lorsque nous
sommes en relation avec l’autre.
Les définitions de l’anxiété sociale
Selon le DSM-IV, l’anxiété sociale est la peur
persistante et intense d’une ou plusieurs
situations sociales ou de situations de
performances durant lesquelles le sujet
est en contact avec des gens non familiers
ou peut être exposé à des observations
éventuelles d’autrui. Le sujet craint d’agir
(ou de montrer les symptômes anxieux de
façon embarrassante ou imminente).
La définition de la CIM10 est la suivante :
crainte d’être exposé à l’observation attentive d’autrui dans des groupes relativement
restreints et habituellement à l’origine d’un
évitement des situations sociales.
L’anxiété sociale est donc un trouble relationnel. Le point commun entre les deux
définitions est l’expression : « Exposer à
l’observation attentive d’autrui. »
Il faut distinguer l’anxiété sociale pathologique de l’anxiété de performances et du trac.
Historique de l’inhibition sociale
et de l’anxiété sociale
En 1846, Caspers publie le premier cas
d’éreuthophobie (phobie du rougissement en public dont on peut considérer
qu’il s’agit du premier cas d’inhibition
sociale pathologique décrit).
En 1893 et 1895, Freud évoque la terreur
des étrangers et des gens en général. En
1902, dans Les Obsessions et les impulsions,
« Observation 31 », Pitres et Régis décrivent l’obsession idéative, la peur de ne
plus savoir parler, et l’« éreuthose obsédante ». En 1909, Pierre Janet dans Les
Névroses identifie et décrit « les phobies des
situations sociales ». En 1970, Isaac Marks
(en Grande-Bretagne) précise la position
des phobies sociales parmi les autres
phobies. En 1974, Alberti et Emmons
développent les thérapies par affirmation
de soi pour les patients souffrant d’anxiété
sociale. En 1980, une classification des
troubles mentaux considère la phobie
sociale comme une entité clinique à part
entière. En 1985, Liebowitz utilise les antidépresseurs de la classe des IMAO dans les
phobies sociales.
Les mécanismes
de l’inhibition et de l’anxiété
sociale
La psychopathologie de l’anxiété sociale
ne peut plus se comprendre uniquement à
travers une vision intrapsychique de l’individu, mais à travers une psychodynamique
qui concerne à la fois l’individu dans son
rapport à lui-même et à son propre psychisme, mais aussi la vision qu’il a des
autres et surtout ce qu’il pense que les
autres pensent de lui. C’est à partir de là
que les travaux sur l’estime de soi vont se
développer. Elle est souvent basse chez
les patients souffrant d’anxiété sociale. On
va distinguer l’estime de soi personnelle et
l’estime de soi sociale. Schématiquement,
on peut dire que l’on peut avoir une estime
de soi envers soi-même dite « inconditionnelle » : « Je m’aime quoi que je fasse » ; et
Le Journal des psychologues
n°244-février 2007 25
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La définition de l’inhibition sociale
DOSSIER
une estime de soi conditionnelle à l’approbation par les autres : « Je m’aime lorsque je
me sens aimé par l’autre. » (Fanget, 2003.)
Sur le plan du mécanisme, l’inhibition
sociale ne peut pas se réduire, comme les
définitions de l’inhibition l’ont montré plus
haut, à un simple mécanisme de restriction, de ralentissement ou de diminution
d’une activité physique ou psychique.
Dans l’anxiété sociale, c’est l’intensité de
l’émotion anxieuse qui va inhiber le comportement en empêchant les contacts
sociaux. Cela n’est pas de l’ordre du désir,
mais plutôt de l’angoisse et de la peur de
l’autre. La stimulation du système neurovégétatif, en situation sociale, va entraîner
tachycardie, sueur, tremblement, rougissement… La stimulation du système cognitif
va faire percevoir les situations sociales
comme dangereuses (comme une invitation à dîner, une prise de parole en public
ou un entretien avec son supérieur hiérarchique) et entraîner des scenarii catastrophiques avant la situation avec des cognitions comme : « Je ne serai pas à la hauteur,
je ne saurai pas quoi dire, les autres vont mal
me juger, on va me licencier… » L’activation
neurovégétative serait probablement le
reflet d’une hyperactivité du système limbique émotionnel alors que l’activation
cognitive serait probablement le reflet
d’une hyperactivité corticale.
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De l’inhibition sociale
à l’anxiété sociale
pathologique
L’inhibition sociale adaptative
Toute inhibition sociale n’est pas pathologique. Pour des raisons éthologiques, en
cas de danger, un être humain peut décider
de se mettre en inhibition et de ne pas discuter. C’est le cas de l’incarcération par
exemple. C’est aussi le cas dans des expériences sensorielles où des chercheurs descendent volontairement dans une grotte
afin de mener des expériences. Ici l’inhibition d’isolement est volontaire. Cette inhibition peut être utile pour l’individu afin de
se protéger. On pourrait encore citer des
expériences plus proches de nous dans
le monde professionnel. Un subalterne
inhibant ses comportements en ne disant
pas ce qu’il a à dire afin d’éviter les sanctions d’un de ses supérieurs… ou plus globalement des populations opprimées qui
pour survivre se protègent par l’inhibition.
C’est aussi le cas du petit enfant qui, à l’arrivée du grand oncle qu’il n’a pas vu depuis
26 Le Journal des psychologues n°244-février 2007
des années et malgré l’insistance de sa
maman : « Dis bonjour à ton grand oncle », va
baisser le regard, la tête, arrêter de parler et
jouer tant il sera effrayé par cet inconnu.
Les adultes souffrant d’anxiété sociale
auront le même genre d’attitude lorsqu’ils
se retrouveront dans des situations sociales
inquiétantes pour eux. L’inhibition joue un
rôle donc essentiel dans l’homéostasie des
relations humaines.
Mais qu’en est-il du vécu de ces personnes qui extérieurement ne disent rien
et ne posent pas de problèmes ? On
retrouve ici une différence entre le comportement extérieurement visible (inhibition comportementale) et le comportement interne qui peut être fait d’émotions,
de souffrance, d’angoisse, d’anxiété, de
honte, et des cognitions négatives (« Je me
tais, mais je n’en pense pas moins »). Cette
inhibition « décidée » par le sujet pour se
protéger peut aussi l’aider dans sa progression et lui éviter des ennuis. Ces phénomènes d’inhibition adaptative sont
temporaires et disparaissent lorsque le
sujet sort de la situation évaluée comme
dangereuse pour lui.
L’anxiété sociale
Mais il existe aussi des états d’inhibition
permanente que l’on rencontre en pathologie. La fréquence de l’anxiété sociale
pathologique se situerait en France entre
2 % et 3 % de la population (Lépine J.-P.,
1999). Il s’agit dans ce pourcentage de
forme grave avec un véritable handicap
social et professionnel. Les femmes sont
légèrement plus touchées que les
hommes (guère plus de trois femmes
pour deux hommes). Le taux de célibat
est anormalement élevé chez ces
patients. L’âge de début des troubles
semble précoce, à l’adolescence entre
treize et quinze ans. Un début de l’anxiété
sociale après vingt-cinq ans est tout à fait
inhabituel et doit faire évoquer un autre
diagnostic.
Les causes de l’anxiété sociale nous permettent de dégager quatre grands facteurs. Le premier est la prédisposition avec
des tendances anxieuses face à la nouveauté, à l’inconnu, décrit par Jérôme
Kagan qui évoque le tempérament inhibé
et la mise en évidence de facteurs génétiques (travaux de Kendler, 1992). Le
deuxième facteur est un facteur éducatif.
On le retrouve fréquemment dans des
familles où tous les membres souffrent
d’anxiété sociale. Ils ont souvent reçu une
éducation peu affirmée. Le troisième facteur
est traumatique. Il semble très important
dans l’anxiété sociale. Une expérience
sociale traumatique est retrouvée plus
d’une fois sur deux. Elle a lieu le plus souvent à l’adolescence ou au début de l’âge
adulte lors des premières confrontations
au groupe social (exposé oral au lycée ou
premières réunions professionnelles ou
premières expériences de drague). Le
quatrième facteur étiologique est culturel.
Au japon le « Taijin-Kyofu-sho » est la peur
d’offenser ou d’embarrasser les autres, de
les mettre mal à l’aise, avec un regard trop
insistant, une expression faciale insolente
ou même une odeur désagréable.
Cinq grands types de situations sociales
peuvent déclencher l’anxiété. Il s’agit des
situations de performances, d’échanges
superficiels, d’échanges approfondis,
d’affirmation de soi (faire valoir ses droits
en respectant ceux des autres), et d’observation par autrui.
La sémiologie de l’anxiété sociale est
émotionnelle. D’abord le sujet est anxieux
avant la situation sociale qu’il redoute.
Après la situation, il va ressentir une émotion de honte. La sémiologie est aussi
cognitive et accompagne la précédente, il
y a une anxiété d’évaluation avant d’aller
dans la situation (« Je ne serai pas à la hauteur ») et une évaluation négative de soimême (« Je n’ai pas été à la hauteur »). Au
moment de la situation sociale, le sujet
anxieux a des cognitions de focalisation
sur lui-même avec auto-observation de
ses propres performances (« regarde, tu
n’es pas aussi intelligent que les autres, tu
n’arrives pas à prendre la parole ») et d’évaluation des autres sur lui, « ils se rendent bien
compte que tu es en train de rougir et que tu
n’as pas grand-chose à dire »…) La sémiologie est également neurophysiologique
avec des symptômes d’anxiété physique
intense et obsédante : palpitations, sueurs,
bouche sèche, pouvant aller jusqu’à la
panique. Insistons sur ce caractère neurophysiologique du trouble anxiété sociale,
le sujet pouvant aller à un véritable état de
panique qui va authentiquement lui faire
perdre ses performances comportementales. En effet, comment prendre la parole
en public lorsque l’on est soumis à une
véritable attaque de panique ?
Du normal au pathologique :
un continuum
L’inhibition sociale n’est donc pas un phénomène pathologique en soi. Il y a une
sorte de continuum allant de la simple
gêne à la timidité, à la phobie sociale
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Regard sur l’inhibition
Diagnostic différentiel
et troubles associés
En clinique, il est important de rechercher
des troubles associés.
En effet, l’anxiété sociale est très fréquemment comorbide et s’accompagne
d’autres troubles qu’il faudra rechercher et
mettre en évidence, car ils pourront
influencer le traitement.
Il s’agit essentiellement de l’anxiété de
séparation, il sera alors nécessaire d’explorer l’enfance. Un diagnostic différentiel difficile est l’anxiété généralisée. Ici
les situations qui angoissent le sujet ne
sont pas que sociales. Il est aussi
angoissé par l’argent, ses enfants, la
maladie, tous les sujets d’actualité et les
évitements sont faibles. Bien sûr, il faudra
distinguer l’anxiété sociale pathologique
de l’anxiété de performances et du trac
présent chez les musiciens, les chanteurs,
les sportifs, les conférenciers qui sont des
phénomènes adaptatifs normaux et ne
représentent pas en soi une anxiété
sociale pathologique, sauf si leur intensité paralyse le sujet et l’empêche de faire
sa prestation. En dehors de ces cas
extrêmes, ils n’éprouvent pas de
détresse, ils n’ont pas de handicap social,
ils n’ont pas la peur des autres, ils n’évitent pas les situations. L’agoraphobie est
relativement facile à différencier, le
désastre est ici intérieur, c’est la peur de
perdre le contrôle, de faire un malaise et
même d’en mourir. Alors que, dans
l’anxiété sociale, le désastre est extérieur,
c’est le regard des autres sur nous qui
nous préoccupe. La personnalité schizoïde est un diagnostic différentiel fondamental. Mais, ici, il n’existe pas de désir
d’entretenir des relations sociales avec
l’autre, le sujet ne recherche pas ces relations et il est relativement indifférent à la
critique, à la différence de l’anxieux social
qui lui est très sensible à la critique. Notons
que les dépressions sont fréquemment
Tableau I.
Ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.
Inhibition sociale normale
Anxiété sociale pathologique
Votre anxiété sociale ne vous oblige pas
à fuir les situations sociales.
Vous êtes obligé(e) d’éviter un grand
nombre de situations sociales.
Au bout d’un certain nombre de rencontres avec les personnes ou les situations, votre anxiété est moins forte.
Il arrive que vous ne soyez jamais rassuré(e) même auprès de personnes ou
de situations que vous rencontrez très
souvent.
Vous ressentez surtout de la gêne et de
l’embarras.
Vous prouvez souvent une véritable
panique et une grande honte.
Vous avez des amis et des relations même
sil vous faut du temps pour vous lier.
Vous avez peu d’amis et de relations.
Le Journal des psychologues
n°244-février 2007 27
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grave avec évitements sociaux multiples.
La gêne sociale concerne Monsieur ou
Madame Tout-le-monde. Qui ne s’est pas
retrouvé impressionné lors d’une situation
sociale ? Par exemple en prenant la parole
devant des professeurs éminents ? Ou pour
ceux qui ont l’expérience de passer devant
une caméra de télévision ? Ou lors des premières dragues au cours de l’adolescence ?
En soi, la gêne sociale est donc un mécanisme psychologique normal et même
adaptatif. D’ailleurs, elle permet en quelque
sorte d’éviter l’impolitesse et l’agressivité.
C’est parce que nous sommes parfois
impressionnés par l’autre que nous aurons
tendance à l’observer, mais aussi à le respecter et à tenir compte de lui. D’ailleurs, les
thérapies par affirmation de soi permettent
aux patients souffrant d’anxiété sociale de
développer à la fois l’intérêt envers soimême mais aussi envers les autres. On s’exprime et l’on exprime nos besoins pour sortir d’une passivité, mais on tient compte de
l’autre et des besoins des autres pour éviter
l’agressivité. À ce titre, le traitement de l’inhibition sociale, pathologique si elle doit
permettre aux sujets d’aller vers l’autre, doit
aussi éviter des comportements agressifs
qui ne respecteraient plus les autres.
La timidité peut, selon les enquêtes, représenter jusqu’à 40 % de la population. La
fréquence de la phobie sociale au sens
strict du terme est évaluée à 3 %. Elle s’accompagne alors de nombreux évitements
et représente un véritable handicap ayant
d’importantes conséquences dans la vie
sociale, professionnelle, amicale, affective
de l’individu, l’empêchant de mener une
vie normale. Elle justifie à ce titre une prise
en charge par les professionnels du soin.
Qu’est-ce qui relève de la timidité simple ou
de la gêne sociale normale et qu’est-ce qui
relève de l’anxiété sociale pathologique ?
On peut résumer les principales différences
sous forme d’un tableau (voir ci-contre).
On le voit, ce qui va donner le caractère
pathologique à l’inhibition sociale est
d’abord la force de l’évitement qui est une
obligation pour le sujet et non pas une
décision de sa part, l’absence d’habituation
lorsque le sujet se retrouve en situations
sociales, l’intensité du malaise émotionnel
en situations sociales, et l’appauvrissement
des relations.
DOSSIER
Regard sur l’inhibition
L’évolution de l’anxiété
sociale au long cours
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Il s’agit de sujets discrets qui consultent
peu et peuvent rester inhibés durant des
années, enfermés sans demander d’aide.
Ils ne sont pas toujours informés qu’il s’agit
d’une maladie que l’on peut améliorer
avec une prise en charge adaptée. Ils mettront souvent du temps à consulter, ils
pensent qu’il s’agit de leur tempérament et
que cela n’est pas modifiable. Il faudra
alors que le psychologue sache leur expliquer que l’anxiété sociale nécessite souvent une thérapie. L’évolution au long
cours la plus courante, en l’absence de
prise en charge, est une aggravation progressive de l’anxiété sociale avec complication vers la dépression ou vers la dépendance à l’alcool. L’alcool ou les drogues
sont utilisés comme des starters permettant au sujet d’affronter l’autre et de se
désinhiber socialement. Les bulles de
champagne bien connues de tous sont là
pour désinhiber au cours des soirées. La
bulle de gaz carbonique transporte rapidement la molécule d’alcool au cerveau et
permet aux plus timides d’aborder les
autres plus facilement. Une des raisons
probables du succès de cette boisson en
dehors de sa qualité bien sûr !
La psychothérapie
de l’anxiété sociale
Elle doit commencer par une bonne compréhension des mécanismes et des origines du problème (voir les détails de la
thérapie dans Fanget F. et Rouchouse B.,
2007).
Deux grands mécanismes peuvent se
rencontrer.
Certaines personnes n’ont jamais appris
les comportements sociaux adéquats
pendant leur enfance. Il s’agit là d’un état
déficitaire avec un véritable handicap
28 Le Journal des psychologues n°244-février 2007
social et relationnel que l’on va rencontrer
dans les formes les plus significatives de
phobie sociale et de troubles de la personnalité évitante.
Dans le deuxième cas, ce sont des cognitions évaluant la situation comme dangereuse qui inhibent le comportement de
l’individu. Ces cognitions concernent la
performance : « Je ne serai pas à la hauteur », l’opinion des autres sur lui : « Ils vont
voir mon malaise et me juger faible et incompétent. » C’est pour éviter ces catastrophes
redoutées que le sujet préférera éviter la
situation sociale et ne pas l’affronter. Souvent les deux mécanismes peuvent être
couplés chez un même patient.
Les débouchés thérapeutiques sont de
deux ordres. Dans le cas où le déficit en
compétences sociales prédomine, c’est
par l’apprentissage de ces dernières que
la thérapie devra commencer. Souvent la
prise en charge en thérapie de groupe
d’affirmation de soi, si elle est réalisable,
représentera la solution la plus adaptée
(Fanget F., 1999). Dans le deuxième cas de
cognitions inhibant le comportement,
c’est sur ces pensées dysfonctionnelles
que la thérapie devra débuter. Ici une
prise en charge individuelle sera préférée.
Elle mettra au jour des schémas cognitifs
sous-jacents à l’anxiété sociale, de soumission à l’opinion des autres (« je dois être
apprécié par tout le monde, ma valeur dépend
de ce que les autres pensent de moi »), des
schémas cognitifs de soumission à l’autorité (« je ne dois jamais refuser quelque chose
à quelqu’un qui me le demande ») et des
schémas cognitifs de soumission à la performance sociale (« pour prendre la parole
dans un groupe, il faut avoir quelque chose de
particulièrement intéressant à dire »). La thérapie permettra d’aider le patient à assouplir
ses schémas cognitifs (Fanget 2002 et 2006).
Les deux types de prise en charge pourront se succéder chez un même patient,
selon une séquence adaptée au cas selon
l’analyse fonctionnelle des problèmes de
la personne.
En conclusion
Le vieux débat entre le normal et le pathologique ressurgit avec acuité lorsque l’on
aborde le thème de l’inhibition et de
l’anxiété sociale. Deux pièges sont à éviter.
Le premier piège étant de vouloir normaliser tout le monde en traitant la moitié de la
population française, ce qui est à peu près la
fréquence de la timidité. À moins que cette
intervention ne constitue ce que l’on
appelle maintenant du « développement
personnel ». Mais cela ouvre un autre débat.
Le deuxième piège étant de laisser sans
soin, comme ce fut malheureusement le
cas pendant longtemps (même encore
actuellement parfois), des personnes présentant une anxiété sociale handicapante.
Cela est d’autant plus désolant que l’on
dispose actuellement de modalités de
prise en charge efficaces par les professionnels du soin.
J’espère que cette petite contribution
aidera le lecteur à éviter ces pièges. ■
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associées à l’anxiété sociale. Elles constituent le plus souvent une complication.
Selon les auteurs, entre 50 % et 75 % des
anxieux sociaux présenteraient des
dépressions secondaires à l’anxiété
sociale dans la majorité des cas. Toutefois, l’inverse peut exister, au cours de
certaines dépressions, les sujets ont tendance à se retirer des relations sociales.
Mais, dans ces cas, l’inhibition sociale va
disparaître au fur et à mesure que la
dépression s’améliore.
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