Le point sur la dengue - Journées de Biologie Clinique

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54es Journées de biologie clinique Necker
thématique
– Institut Pasteur
à taper
Le point sur la dengue
Charlotte Renaudata,*
1. Introduction
La dengue, maladie virale sévissant
historiquement en zones tropicales
et subtropicale depuis le XVIIe siècle,
est actuellement l’arbovirose la plus
répandue dans le monde et celle qui
progresse le plus rapidement. L’OMS
estime que les deux cinquièmes de
la population mondiale sont exposés, qu’il y a chaque année dans
plus de 100 pays, 50 à 100 millions
de cas, dont 500 000 hospitalisés et
20 à 25 000 décès, essentiellement
chez des enfants. L’épidémiologie
de la dengue est elle aussi en pleine
évolution, avec l’apparition dans les
années 50 d’une forme sévère de la
maladie, et depuis quelques années
une émergence avec survenue de cas
autochtone dans des zones tempérées.
Figure 1 – Cycle de transmission du virus de la dengue.
Transmission
verticale
Moustique Aedes
(A. aegypti, A. albopictus…)
Homme
Hôte amplificateur
et hôte sensible
2. Épidémiologie
3. Clinique et physiopathologie
Les arbovirus, littéralement « arthropod borne virus »
(virus transmis par des arthropodes hématophages)
regroupent différentes familles de virus n’ayant comme
point commun que leur mode de transmission. Les virus
de la dengue appartiennent à la famille des fravividae,
genre Flavivirus. Il s’agit de virus à ARN, enveloppés, dont
on distingue 4 sérotypes différents : DEN-1, -2, -3, -4.
Après l’infection par l’un de ces sérotypes, l’immunité
conférée pour celui-ci est définitive, mais il n’y a pas
d’immunité croisée durable avec les autres sérotypes.
Le cycle de transmission de la dengue fait intervenir
l’homme, qui est hôte amplificateur et hôte sensible du
virus, et les moustiques du genre Aedes (Aedes aegypti,
Aedes albopictus…) qui sont vecteurs (figure 1).
Il existe différentes formes cliniques de la maladie. La classification OMS a été révisée en 2009 et l’entité « dengue
hémorragique » a disparu (figure 2) [3]. Après l’infection
par piqûre de moustique, 40 à 75 % des personnes infectées développent une forme asymptomatique. Après une
incubation de 4 à 7 jours, la maladie se manifeste sous
deux formes : dengue (avec ou sans signes d’alarmes) et
dengue sévère (1 % des cas symptomatiques). La maladie
se caractérise par l’apparition brutale d’une hyperthermie
intense à 39-40 °C, accompagnée d’un syndrome algique
(céphalées, douleurs rétro-orbitaires, myalgies, arthralgies).
Des troubles digestifs à type de nausées-vomissements
sont possibles, ainsi qu’un rash cutané. Au troisième jour,
on peut observer une rémission de la fièvre et des douleurs
donnant une courbe de température caractéristique en « V ».
Les examens complémentaires de laboratoires montrent
une leucopénie, de façon non exceptionnelle, une thrombopénie, et des enzymes hépatiques modérément élevées.
En l’absence de complication, on observe une rémission
spontanée de la symptomatologie en 3 à 7 jours et le
patient guérit sans séquelle, mais on observe parfois une
asthénie persistant plusieurs semaines. La phase critique
de l’évolution se situe à la fin de la phase fébrile, vers les
3e-7e jours. Deux à 4 pour cent des patients développent
un syndrome de fuite plasmatique de gravité variable,
qui dure 2 à 3 jours. Les signes d’alarme de la nouvelle
classification OMS sont (figure 2) : des douleurs ou une
sensibilité abdominale, des vomissements persistants,
a Centre national de référence des arbovirus
Unité de recherche des interactions moléculaires Flavivirus – hôtes
Institut Pasteur
25-28 rue du Docteur-Roux
75724 Paris Cedex 15
* Correspondance
[email protected]
© 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis //
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Dossier scientifique
Figure 2 – Classification OMS des cas de dengue et niveaux de sévérité.
Source : OMS [3].
des épanchements séreux (épanchement pleural, ascite),
des hémorragies muqueuses, une léthargie ou une agitation, un débord hépatique supérieur à 2 cm, et au niveau
biologique, une augmentation de l’hématocrite simultané
d’une chute rapide des plaquettes. Selon la nouvelle classification OMS, les formes sévères sont définies par (i) une
fuite plasmatique sévère entraînant un syndrome de choc
(hypovolémique), et/ou des épanchements séreux avec
détresse respiratoire, (ii) une/des hémorragie(s) sévère(s),
(iii) une défaillance viscérale sévère (foie avec transaminases
supérieures à 1 000, système nerveux central avec troubles
de la conscience, cœur ou autres organes). Dans les formes
sévères, la thrombopénie et l’hémoconcentration sont
constantes, avec des plaquettes inférieures à 100 000/mm3
et une élévation de l’hématocrite [3].
Au cours de la dengue sévère, deux modifications physiopathologiques principales sont observées : une augmentation de la perméabilité capillaire, et des troubles de
l’hémostase. Pour expliquer qu’un même inoculum puisse,
selon les individus, entraîner une infection asymptomatique, une fièvre indifférenciée, une dengue bénigne ou une
dengue sévère ayant une létalité de 1 à 5 %, deux axes de
recherche et de réponses cohabitent. L’hypothèse immunopathologique repose sur l’observation que les patients
développant une forme sévère souffrent plus souvent d’une
dengue secondaire. Ainsi, la cascade des événements
observés dans la dengue sévère serait provoquée par une
réaction immunologique liée à une infection antérieure
de l’organisme par un ou plusieurs sérotypes différents
du virus. Face à cette hypothèse, on retrouve également
l’hypothèse de l’existence de variants viraux (génotype)
à forte virulence. Les différentes études ont montré que
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les facteurs de risques de développer une forme sévère
étaient multiples, faisant intervenir des facteurs de risques
individuels (âge, sexe, ethnie, statut nutritionnel, infection
antérieure par un sérotype différent…), des facteurs de
risques épidémiologiques (nombre d’hôtes sensibles,
densité vectorielle, hyper endémicité…), et des facteurs
viraux (virulence de la « souche » virale, sérotype).
Il n’existe pas de traitement spécifique curatif de la dengue,
le traitement ne peut donc qu’être symptomatique. Pour
les formes sévères, des algorithmes de prise en charge
ont été publiés par l’OMS [3].
Devant une suspicion de dengue, la recherche d’un diagnostic
différenciel pour lequel un traitement curatif est éventuellement disponible est donc essentielle. A la phase aiguë,
selon la situation épidémiologique du lieu d’infection, on
évoquera un paludisme non compliqué, une primo-infection
VIH, une virose exanthématique (rougeole, rubéole, mononucléose infectieuse), d’autres arboviroses (chikungunya…),
ou une grippe. A la phase critique, un paludisme grave, une
gastro-entérite aiguë, une leptospirose, une salmonellose,
une rickettsiose, une méningo-encéphalite, un sepsis bactérien, une pathologie chirurgicale abdominale (appendicite,
cholécystite…), une maladie de Kawasaki.
4. Diagnostic biologique
Le diagnostic biologique de dengue fait appel à la détection
du virus, de son génome ou d’antigènes viraux, constituant le
diagnostic direct réservé au stade précoce de la maladie [1].
La détection d’anticorps, ou diagnostic indirect, est à privilégier à partir du 5e jour de maladie (figure 3).
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Le diagnostic direct comprend la détection du virus ou de une majorité des patients ne sont pas naïfs vis-à-vis des
son génome qui se font par l’isolement et les méthodes virus de la dengue mais aussi en zone d’émergence, car un
moléculaires. L’isolement est possible du premier au 7e jour diagnostic de certitude rapide est nécessaire pour la mise
de maladie (le premier jour correspondant au jour d’appa- en place des mesures de prévention d’une diffusion locale.
rition de la fièvre) (figure 3). Les virus de la dengue étant Le diagnostic indirect, ou diagnostic sérologique, de la
classés agents biologiques de classe 3, cette technique dengue repose sur la détection d’IgM et d’IgG spécifiques
ne peut être mise en œuvre qu’en laboratoire de sécurité en fonction de leur cinétique d’apparition au cours du temps
biologique de classe 3, c’est-à-dire en pratique seule- (figure 3). Au cours d’une infection primaire, les IgM appament dans les centres nationaux de références, et certains raissent 5 à 6 jours et les IgG 7 à 10 jours après l’apparition
laboratoires de recherche ou laboratoires hospitaliers. des symptômes. Les IgM atteignent leur maximum en 2
La culture se réalise sur lignées continues de cellules de à 3 semaines, et peuvent parfois persister jusqu’à 6 mois
moustiques AP61 ou C6/36. Le délai de réponse est de après le premier épisode infectieux. Lors d’une infection
3 à 10 jours. Les méthodes moléculaires sont basées sur secondaire, caractérisée par un contact avec un virus hétéla RT-PCR (reverse transcriptase-polymerase chain reac- rologue, les IgG apparaissent plus précocement et leur taux
tion). Elles permettent le diagnostic de la dengue en phase croît progressivement durant environ deux semaines. Les
symptomatique ainsi que la caractérisation des types de IgM sont détectées aux taux plus faibles et dans certains
virus de la dengue (surveillance épidémiologique). Des cas peuvent être fugaces voire absentes. Le titre global des
techniques de RT-PCR en temps réel se sont développées anticorps augmente très rapidement dès la phase aiguë de
récemment pour détecter les virus de la dengue ou le l’infection et ces anticorps présentent une réactivité croisérotype en cause. L’isolement associé au séquençage sée significative vis-à-vis d’autres antigènes de Flavivirus.
permet des études d’épidémiologie moléculaires utiles pour les
Figure 3 – Cinétique du virus et des anticorps de type IgM et IgG
autorités de santé et pour mieux
au cours d’une infection par un virus de la dengue.
comprendre la circulation des
Cas d’infection primaire et secondaire.
souches de virus de la dengue.
Le diagnostic précoce peut également se faire par détection
antigénique de la protéine non
structurale 1 (NS1) (figure 3).
Cette protéine, spécifique des
virus de dengue, est présente à
de fortes concentrations dans le
sérum des personnes infectées
entre le premier et le septième
jour de maladie. Le rôle de cette
protéine dans la pathogenèse
de la maladie n’est pas élucidé,
mais sa détection ouvre une nouvelle voie dans le diagnostic précoce de la dengue. La première
commercialisation d’un test
diagnostique par détection de
l’antigène NS1 remonte à 2006.
On dispose à l’heure actuelle de
tests ELISA, et de tests rapides
immunochromatographiques,
sous forme de bandelette ou de
cassette [1]. Ces tests ont globalement une bonne spécificité (86
à 100 % selon les études) mais
une sensibilité très variable, non
seulement selon les études, mais
aussi selon le sérotype du virus
en cause et en cas de dengue
secondaire [1]. Ces variations de
sensibilité posent des problèmes
d’utilisation restreignant les indications de ce type de tests et
faisant émettre des réserves lors
de leur interprétation, notamSource : Haut Conseil de la Santé publique [1].
ment en région endémique ou
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Dossier scientifique
Tableau I – Indications des différents tests de diagnostic biologique de la dengue en fonction de la
situation épidémiologique.
Zone géographique
Métropole
Zone Aedes +
Situation épidémiologique
Rare
Tests à réaliser
En fonction de la date de début, PCR ou sérologie
Tests NS1 si situation épidémique (débordement des CNR)
Océan indien
Sporadique
En fonction de la date de début, PCR ou sérologie
Tests NS1 si situation épidémique
Antilles
Hyper-endémique
En fonction de la date de début, PCR ou sérologie
Guyane
Hyper-endémique
NS1 (insuffisance infrastructure)
Source : Haut Conseil de la Santé publique [1].
Le diagnostic sérologique de la dengue peut se faire en
employant des trousses immunoenzymatiques, utilisant
pour la détection des IgM un ELISA de type capture, et
pour la détection des IgG un ELISA indirect. Le problème
majeur de ces techniques, que ce soit celles des tests commerciaux ou celles des laboratoires spécialisés type CNR,
est le manque de spécificité vis-à-vis des autres Flavivirus.
Il existe également sur le marché des tests immunochromatographiques (ICT, tests rapides). L’OMS a évalué en
2009 les principaux tests disponibles sur le marché pour
la détection des IgM dengue [4]. Les résultats montrent de
bonnes performances sur certaines trousses ELISA, mais
qu’aucun test ITC n’a de performance acceptable [2, 4]. Il
est important de souligner qu’un diagnostic sérologique
de dengue n’est jamais un diagnostic de certitude ; en
effet, il existe des réactions croisées systématiques pour
les IgG avec les complexes antigéniques de l’encéphalite
japonaise (auquel appartiennent le virus de l’encéphalite
japonaise, et le virus West Nile) et de l’encéphalite à tiques,
et pour les IgM des réactions croisées plus aléatoires et
plus faibles entre les antigènes dengue et West Nile. Il est
donc parfois nécessaire, pour confirmer la spécificité d’une
sérologie IgG positive, de mettre en œuvre les techniques
de séroneutralisation ou d’inhibition de l’hémaglutination.
Enfin, il est toujours difficile d’interpréter un résultat
sérologique en cas de dengue secondaire car les IgM sont
fugaces et les IgG rapidement augmentées.
Le choix de la technique diagnostique à mettre en œuvre
se fait en premier lieu selon la date de début des signes
cliniques : si le prélèvement est précoce (inférieur au 5e jour
suivant l’apparition des symptômes (J5)), ce sont les
méthodes directes, Rt-PCR et détection de l’antigène NS1,
qui sont indiquées. Entre J5 et J7, on utilisera les méthodes
directes et la sérologie. Après J7, seule la sérologie reste
indiquée. Interviennent ensuite dans le choix du test diagnostique, la zone géographique dans laquelle la contamination a eu lieu et dans laquelle se trouve le patient
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(qui peuvent être différentes, par exemple les infections
symptomatiques après un retour de voyage) (tableau I). Et
enfin, dans une zone géographique donnée, seront prises
en compte la situation épidémiologique, la disponibilité des
tests et la situation clinique du patient. Le Haut Conseil de
la Santé publique a déterminé en 2011 les algorithmes de
choix de la méthode diagnostique de dengue spécifiques à
chacune des zones suivantes : métropole, Antilles-Guyane
et Océan indien [1].
5. Conclusion
Le diagnostic biologique de la dengue est complexe. Au
niveau des techniques de laboratoires, même si l’offre de
trousses de tests sérologiques est importante, leurs performances disparates et les difficultés d’interprétations
des résultats nécessitent une attention particulière du
biologiste dans le choix de la trousse et dans l’interprétation des résultats. Les possibilités de diagnostic précoce
ont évolué ces dernières années avec l’apparition des
méthodes de détection de l’antigène NS1, permettant ce
diagnostic lorsque la RT-PCR ne peut être mise en œuvre
pour des raisons techniques ou de coût. En revanche, le
diagnostic par détection antigénique de la protéine NS1
présente aussi des limites avec un manque de sensibilité
dans certaines situations épidémiologiques. Le diagnostic biologique de dengue ne devrait pas être entrepris en
l’absence d’un minimum d’informations cliniques et épidémiologiques, notamment la date de début des signes, la
notion de voyage ou le lieu de séjour pendant la période de
contamination, les antécédents de vaccinations à d’autres
Flavivirus. Sans ces informations, il sera souvent difficile
de conclure.
Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références
DA, et al. Evaluation of commercially available anti-dengue virus immu-
[1] Haut Conseil de la Santé publique. Stratégies de diagnostic biologique de la dengue. Collection documents. Janvier 2011.
[3] WHO. Dengue: guidelines for diagnosis, treatment, prevention and
[2] Hunsperger EA, Yaksan S, Buchy P, Nguyen VC, Sakaran SD, Enria
[4] WHO. Diagnostic Evaluation Series n° 3, 2009.
// Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis
noglobulin M test. Emerg Infect Dis 2009;15:436-40.
control. New edition 2009.
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