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DROIT DES BIENS

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COURS DE DROIT DES BIENS / M. AÏDARA / 2018-2019
Quelle pertinence à maintenir aujourd’hui le domaine public ?
La pertinence du maintien du domaine public en question constitue le fil conducteur ou le
thème de notre travail. Parce que l’actualité législative, jurisprudentielle et doctrinale poussent
à revisiter un tel sujet.
➢ Au plan législatif
▪
Le Sénégal a adopté récemment la loi N°2011-07 du 30 mars 2011 portant
réorganisation du régime de la propriété foncière. En 2008, avec la loi du 20 août
portant code de l’urbanisme, le législateur sénégalais prévoit l’approbation de schéma
directeur d’aménagement et d’urbanisme par la région.
L’élaboration de plan directeur d’urbanisme par la commune qui dispose également de
l’initiative pour entreprendre des opérations d’urbanisme telle que la rénovation urbaine, le
remembrement urbain ou les ZAC.
D’une manière générale, la domanialité reste protéiforme au Sénégal. Il existe 3 grands
ensembles :
✓ Le domaine national institué par la loi 64-66 du 17 juin 1964 constitué plus de 90/° du
sol sénégalais et dont le régime est marqué par la gratuité de l’accès à la terre et
l’absence de propriété.
✓ Le domaine de l’Etat, régi par la loi 76-66 du 2 juillet 1976 qui distingue entre un
domaine public et un domaine privé. Le domaine privé comprend les biens et droits
mobiliers et immobiliers appartenant à l’Etat ; alors que le domaine public comprend
les biens insusceptibles d’appropriation.
✓ Le domaine des particuliers : les titres fonciers des particuliers régis par un décret du
26 juillet 1932 remplacé par la loi du 30 mars 2011 précitée.
▪
En France, c’est en 2006 que le législateur affirme que les personnes publiques restent
propriétaires de leurs domaines. Il a adopté le code général de la propriété des
personnes publiques qui date de l’ordonnance du 20 avril 2006 ratifiée par la loi 2009-
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526 du 12 mai 2009. Avec ce code, le législateur français réintroduit une certaine unité
dans le régime applicable aux biens du domaine publique. Mais il a surtout développé
une approche propriétariste des biens publics.
➢ Evolution jurisprudentielle
▪
Au Sénégal
La Cour Suprême issue de la réforme judiciaire de 2008 a rendu récemment plusieurs décisions
importantes relatives à la domanialité. L’arrêt du 21 septembre 2015 entre la SONATEL et la
Commune de Mboumba (près de Podor). Le juge suprême sénégalais considère à travers cet
arrêt que les autorités locales disposent de la compétence d’accorder des permissions de voirie
en vertu du CGCL et en conséquence ont le pouvoir de fixer les modalités de paiement de la
redevance qui en est la contrepartie. La CS a aussi considéré que la cession des biens de l’Etat
à une entreprise privée ne saurait concerner le domaine sur lequel la personne privée ne dispose
d’aucun droit ou titre.
En 2009, le 27 janvier da la même année, la CS a précisé l’intérêt à agir du requérant en matière
de contestation de biens domaniaux. En effet, il a jugé que « la délibération attaquée en
affectant le même terrain à Issa POUYE CISS, vaut décision implicite de désaffectation à
l’égard du requérant qui a aussi intérêt à agir ».
Dans une autre affaire du 11 mars 2010 opposant Charles Mouhamed FAYE à la Commune
Malikounda, la CS considère que la décision du conseil rural encoure l’annulation dès lors
« qu’il n’est pas établi une mise en demeure a été régulièrement adressé au requérant pour
enclencher la procédure de désaffectation d’office.
Dans la même veine, la Chambre Administrative de la CS dans un arrêt rendu le 12 août 2010
à annulé la décision du sous-préfet de Mbaane qui exigeait la mise en demeure préalable à
toutes les affectations au motif que « dans sa délibération le conseil rural a relevé que les terres
désaffectées sont inexploitées depuis une dizaine d’année ». Il faut rappeler que le régime de
désaffectation d’office est destiné aux terres abandonnées sans mise en demeure.
Dans l’affaire opposant Ahmadou SYLLA au CR de Sangalkam, la CS a rendu une décision le
23 novembre 2010 pour rappeler « qu’aucune action judiciaire autre que les actions
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possessoires ne peuvent à peine d’irrecevabilité être tentée contre une CL qu’autant que le
demandeur a préalablement adressé au représentant de l’Etat par lettre recommandée un
mémoire exposant l’objet et les motifs de sa réclamation.
Toutes ces décisions mettent en exergue les difficultés d’application du régime de la
domanialité. Dans un rapport d’activité ressent du médiateur, 90/° des saisines de l’institution
ont un rapport plus ou moins étroit avec la domanialité. Le régime est devenu désuet, obsolète,
et inadapté. Il ne permet ni aux personnes publiques ni aux particuliers de valoriser les terres
du domaine.
▪
En France
Dès 1986, le Conseil Constitutionnel a considéré que la constitution « s’oppose à ce que des
biens ou des entreprises faisant partie des patrimoines publiques soient cédées à des personnes
poursuivant des fins d’intérêts privés pour des prix inférieurs à leurs valeurs ; que cette règle
découle du principe d’égalité invoquée par les autorités auteurs de la saisine ; qu’elle ne
trouve pas moins un fondement dans les dispositions de la déclaration des droits de l’homme
de 1989 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ; que cette protection
ne concerne pas seulement la protection des propriété privées des particuliers mais aussi à
titre égal la propriété de l’Etat et des autres personnes ».
Voir : décision N° 86-2007 DC loi autorisant au gouvernement à prendre diverses mesures
d’ordre économique et social.
A travers cette décision, le juge constitutionnel fait bénéficier la propriété de l’Etat et des autres
personnes morales de droit public que la propriété des particuliers. Ainsi tout transfert d’un
bien de l’Etat ou d’une personne publique doit être précédé d’une indemnité juste versée à la
personne publique qui sera privée de son bien.
Quelques années plus tard dans sa décision N°94-346 du 21 juillet 1994, les commentateurs
ont considéré que l’existence du domaine public serait constitutionnalisée par le juge
constitutionnel. En effet ce dernier considère qu’« il incombe au législateur lorsqu’il modifie
les dispositions relatives au domaine public de ne pas priver les garanties légales les exigences
constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics ».
En clair, lorsque le domaine public est affecté à un service public le législateur doit respecter
les exigences constitutionnelles que le juge attache à l’existence et à la continuité du service
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public. Cependant dans ses décisions, le Conseil Constitutionnel refuse d’admettre une valeur
constitutionnelle au principe de l’inaliénabilité des biens du domaine public.
Quant à la jurisprudence administrative, depuis l’arrêt rendu par le CE 17 janvier 1923
PICCIOLI RDP 1923, conclusion CORNEILLE NOTE GEZE. Dans cette affaire du charbon
avait été trouvé au fond de la mer au bord d’ORAN, le conseil de préfecture a condamné
l’Algérie à payer à Piccioli une somme d’argent pour le sauvetage du charbon. Le CE saisi a
considéré que le terrain qui eut descendance du domaine public que le terrain appartient à
l’Etat. Dès lors, le débat posé sur la possibilité des personnes publiques d’être propriétaire de
leur domaine trouve pour la 1ère fois une solution.
➢ Le Débat doctrinal
Il est aujourd’hui plus vif que jamais et met en évidence cette belle formule de jean RIVEREAU
selon laquelle le domaine public est la terre d’élection des constructions doctrinales, « des
faiseurs de systèmes promptes à idéaliser et à rendre de la complexité présumée être de notre
époque ».
Ce débat a été lancé au début du 20ème siècle. Il se rapportait en grand partie sur la
problématique de la propriété des biens domaniaux. Selon une partie de la doctrine, la notion
de propriété qui est assimilé au code civil est antinomique aux dépendances du domaine public
parce que l’affectation à l’usage du public postule une ouverture au lieu d’une exclusivité.
L’affectation interdit l’abusus affirme Barthélemy dans son traité élémentaire de droit
administratif paru en 1963.
Cette conception est rejetée par AURIOU qui défend la thèse proprétariste. Selon lui la
propriété public est une propriété de même nature que la propriété privée. Son originalité réside
en ce qu’elle est régie par 2 principes : l’insaisissabilité et l’incessibilité. Il évoque une
propriété administrative. C’est-à-dire une propriété grevée d’une servitude d’affectation
publique. Il faut dire que le contexte était dominé par la théorie de PROUDON depuis 1830
soit dès l’apparition du code napoléonien avait distingué entre un domaine public et un domaine
privé. PROUDON a développé la thèse selon laquelle le fondement de la distinction entre
domaine public et domaine privé repose sur la nature du bien. C’est selon que le bien est
susceptible de propriété privée ou non qu’il appartienne à l’un des domaines. Et pendant près
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d’un siècle 1830 jusqu’à 1920, la jurisprudence a suivi le raisonnement de PROUDON pour
déterminer le régime des biens. Mais à partir de 1902, HENRY BARCKAUSEN (AUTEUR
DE BORDEAU) dénonce le rattachement des autorités publiques à ce qu’il qualifie
d’errements de PROUDON. Il souligne dans article intitulé « étude sur la théorie générale
du domaine public 1902 page 401. Que la distinction domaine public domaine privé opérée
par la jurisprudence n’a aucun fondement textuel mais repose sur la position doctrinale de
PROUDON et il appelle les autorités a voté une loi sur le domaine public ».
C’est à sa suite que LEON DUGUIT « constate qu’en vérité jusqu’ici (1923) aucune théorie
satisfaisante du domaine public n’a été élaborée ». DUGUIT explique cette carence par la
vision ou la représentation binaire du domaine. L’on s’enferme dit-il dans un raisonnement
rigide consistant à intégrer de gré ou de force toutes les dépendances du domaine dans deux
catégories : domaine public ou domaine privé. Et dans chaque catégorie, l’on persiste à
soumettre tous les biens aux mêmes règles juridiques. Voilà l’erreur dit DUGUIT ! rejetant la
représentation classique, LEON DUGUIT avance une nouvelle conception de la domanialité
fondée sur une échelle : c’est l’échelle de la domanialité. Qui dit échelle dit l’image d’une
succession de strate de degré de niveau et donc forcément absence de toute unité ou uniformité.
Les biens domaniaux dans la logique de DUGUIT ne sont pas soumis aux mêmes règles. Il
n’existe pas une unité de régime applicable aux biens relevant du domaine public.
Plus tard MAURICE DUVERGER optera pour une distinction tripartite. Il va distinguer entre
le domaine affecté à l’usage du public, le domaine affecté au service public et le domaine privé.
Le débat va évoluer avec la position défendue par JEAN MARIE AUBY qui entre en
opposition avec DUGUIT mais sur un autre front. Alors que dans la construction de DUGUIT
l’échelle ne concerne que la domanialité publique. AUBY s’attaque aux idées principales qui
régissent le domaine privé. Ces idées concernent la fonction patrimoniale du domaine
privé ; sa soumission à un régime de droit privé ; et la compétence du juge judiciaire pour
connaître les litiges.
Jean marie AUBY considère au contraire que la gestion du domaine privé constitue une activité
d’intérêt général pouvant être qualifiée de service public. Il soutient ainsi que le régime
juridique du domaine privé n’est pas exempt des règles exorbitantes du droit privé des biens.
Ce débat classique a abouti à des controverses doctrinales encore plus vives concernant cette
fois-ci non plus la pertinence de la distinction domaine public-domaine privé mais plutôt la
notion de propriété publique elle-même. La question s’est posée de savoir si les principes qui
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régissent le domaine public (inaliénabilité, imprescriptibilité, gratuité…) s’appliques t-ils à la
propriété ou pas.
RENE CAPITAN dans une note sous l’arrêt rendu par le CE le 17 février 1932 Commune de
BARRAN DALOZ 1933, soutient que c’est l’affectation qui est protégée par les règles
d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité et non la propriété. Il affirme « le régime de la
domanialité publique, si l’on entend par là un régime exorbitant du droit commun s’applique
non pas à la propriété du domaine mais seulement à la servitude qui le frappe ; autrement dit
l’affectation qui le grève ; c’est non le domaine lui-même mais seulement la servitude
d’affectation qui est inaliénable et imprescriptible ». Cette position est restée dominante dans
la doctrine pendant très longtemps. Des auteurs contemporains défendent cette conception
parmi lesquels IVES GAUDEMET. Il soutient dans la préface de la thèse publiée par
PHILIPPE YORKA sur la propriété publique « que la propriété est un aménagement, une
adaptation de la propriété au propriétaire public. La domanialité publique est un simple
régime fonctionnel exorbitant, commandé par l’affectation du bien en cause à une utilité
publique et par les exigences de cette dernière.
YVES GAUDEMET utilise une allégorie : la domanialité publique est un voile, c’est le
voile de l’affectation à l’utilité publique qui s’étend sur la propriété publique par son
caractère exigeant, ses manifestations régaliennes ; elle peut dissimuler voire modifier
certains aspects du droit de la propriété. Mais la propriété, dit YVES GAUDEMET, reste
sous-jacente, elle est la condition de la domanialité. Et en cas de désaffectation, elle est la
condition de la domanialité ; et en cas de désaffectation elle survit à la domanialité et
réapparait dans ses caractéristiques essentielles que révèle beaucoup mieux le régime du
domaine privé.
Alors que jusqu’ici on pouvait penser que cette position emportant par sa clarté l’adhésion ;
voilà que l’édifice révèle certaines fissures avec l’avènement du code général de la propriété
des personnes publiques. Il est aisé de constater que la condition de l’affectation pour justifier
la domanialité du bien n’est plus générale parce que le code a introduit un régime de
détermination des biens du domaine public par la loi. Qu’ils répondent ou non aux critères de
l’affectation, il suffit que le code les énumère dans la catégorie des biens publics pour qu’ils y
entrent indépendamment de leur affectation.
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Ensuite l’affectation elle-même n’est plus opérante car son champ d’application est de plus en
plus réduit. Ce sont les caractéristiques propres aux biens qui bien souvent justifient leur
domanialité et non leur affectation.
Enfin, contrairement à ce que l’on pouvait penser jusqu’ici, l’affectation n’est pas exclusive à
la domanialité. En effet, des dépendances du domaine privé sont affectées à des services publics
sans compter qu’il arrive que des biens publics cessent d’être affectés à l’usage du publique
tout en continuant de conserver leur domanialité publique.
La question qui se pose alors est de savoir si le domaine public ne serait-il pas en crise ? Que
faut-il entendre par crise ?
Il existe aujourd’hui un changement de perspective du domaine public. En effet depuis
quelques décennies suite à une conception de plus en plus pragmatique de la domanialité
publique, il s’est posé la question de la capacité des formules de droit public à mobiliser les
investisseurs privés sur le domaine public. Le régime de la domanialité publique serait en
quelque sorte désuet en ce sens qu’il ne permettrait pas une mise en valeur des biens
domaniaux. Pour y remédier, des « montages juridiques » ont rendu la frontière très poreuse
entre le domaine public et le domaine privé. On peut donner l’exemple des pratiques de
déclassement des baux amphitéotiques, des contrats de partenariat. Dès lors il est légitime de
se demander si le domaine public ne serait pas victime des exigences de l’exploitation
domaniale. Certes la crise est réelle, mais pour autant devrait-elle être analysée comme un signe
de disparition ou une occasion de rénovation du domaine public. La notion survit malgré tout.
Il faut se méfier des morts qui ressuscitent
L’accent sera mis sur la crise de la domanialité (CHAPITRE 1) et sur sa reconstruction
(CHAPITRE 2).
CHAPITRE PREMIER : La crise de la domanialité
Rapportons que ce sont les articles 538, 539, 540 et 541 du code civil français qui distinguent
le domaine public du domaine privé. ils disposent que « toutes les portions du territoire qui ne
sont pas susceptibles d’une propriété privée sont considérées comme des dépendances du
domaine public. »
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Le législateur sénégalais a repris sous une autre formule ces dispositions dans le code du
domaine de l’Etat régit par la loi du 2 juillet 1976.
Mais le code civil est limité en ce sens qu’il ne permet pas d’établir sur une base claire la
distinction entre domaine public et domaine privé. Il se contente d’énumérer les biens
appartenant à l’Etat et paradoxalement l’article 541 dispose que « les terrains, fortifications et
remparts appartiennent à l’Etat s’ils n’ont pas été valablement aliénés ou si la propriété n’eu a
pas été prescrite contre lui. » En clair, le code envisage l’hypothèse que certains biens du
domaine public peuvent être aliénables et prescriptibles.
En revanche, le code garde le silence sur les autres catégories de biens quant à leur aliénabilité
ou prescriptibilité.
La raison de cette carence du législateur réside selon certains historiens sur le fait qu’à l’époque
de l’adoption du code administratif qui clarifierait le régime de la domanialité, mais ce code
n’a jamais été adopté. (MAURICE LAGRANSE « l’évolution du droit de la domanialité »
RDP 1974, p.5.
Face au silence du législateur, l’orientation générale est à la recherche de critères pour
distinguer le domaine public du domaine privé. ce sera l’œuvre à la fois de la jurisprudence
(civile et administrative) et de la doctrine. Cependant, cette recherche de critères sera difficile
et laborieuse. Il n’y a pas eu de critères stables solides permettant d’identifier le domaine
public. Au bout d’un certain temps chacun des critères privilégiés a révélé ses limites d’où les
hésitations et les revirements jurisprudentielles. Il convient d’envisager les causes de la crise
et ses manifestations.
SECTION 1 : Les causes de la crise
Il convient de relever d’abord les insuffisances pour ne pas dire les vicissitudes des critères
d’identification du domaine public. Dans certaines situations, c’est l’application même des
critères qui est remis en cause par le juge. L’accent sera mis sur les limites des critères
d’identification dégagées par le juge telle que la nature du bien, l’affectation et la domanialité
virtuelle.
➢ Le critère relatif à la nature du bien
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Le premier critère de distinction entre domaine public et domaine privé était fondé sur la nature
du bien. La distinction était proposée par PROUDON dans son traité du domaine public paru
en 1830.
Il suffit de se poser une question simple : est-ce que le bien est susceptible ou non de propriété
privée ?
Si la réponse est positive, le bien relèvera du domaine privé.
Dans le cas contraire, il sera considéré comme appartenant au domaine public.
Tout au long du 19ème siècle, le juge administratif a utilisé ce critère. Mais dès le début du 20ème
siècle, il a été constaté que ce critère est doublement limité.
En premier lieu, la constitution d’un domaine public artificielle à côté d’un domaine public
naturel a révélé que le critère basé sur la nature du bien est inopérant parce que le domaine
public artificiel au plan des biens tels que des canons, des ports qui sont différents des rivages
de la mer et qui peuvent très bien faire l’objet d’une appropriation.
En second lieu, il est apparu que l’application du critère fondée sur la nature du bien abouti à
un paradoxe. Il permet en effet d’accorder une protection rigoureuse à des biens non collectifs.
C’est pourquoi le critère sera abandonné au profit de celui de l’affectation.
➢ Le critère de l’affectation
Abandonnant le critère fondé sur la nature du bien, la jurisprudence va s’orienter vers la notion
d’affectation.
Au départ avec l’arrêt MARECAR, la formule utilisée par le juge est la suivante : « le cimetière
étant affecté à l’usage du public doit dès lors être compris parmi les dépendances du domaine
public ».
Cette solution a le mérite de la simplicité. L’affectation d’un bien à l’usage du public suffit
pour conférer à ce bien le statut de domanialité publique.
Toutefois, cette simplicité n’est qu’apparente. Si c’est l’affectation qui vaut appartenance au
domaine public, cela voudra implicitement dire que tant que le bien n’est pas affecté à l’usage
du public fait partie du domaine privé.
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Il s’agit d’une solution qui postule l’institution d’une procédure ; celle du classement qui est
un acte administratif.
En clair, tel ouvrage achevé est classé dans le domaine public et affecté à l’usage du public et
ce sera le déclassement qui fera retomber le bien dans le domaine privé. C’est le sens de l’arrêt
rendu par le CE 22 novembre 1967 LECLAIRE.
Très rapidement, la jurisprudence MARECAR apparemment cohérente va s’étendre et se
compliquée. C’est pourquoi le juge va reconnaître dans l’arrêt Scté LE BETON rendu par le
CE le 19 octobre 1956 un 2ème critère pour la domanialité publique d’un bien. C’est son
affectation à un service public. De quoi s’agit-il dans cette affaire : un établissement public,
l’office national de la navigation est concessionnaire d’un port fluvial et il a été chargé
d’aménager dans le voisinage un port industriel. Ainsi, il lui était loisible de louer à des
particuliers des terrains dépendant du port. Une société ayant consenti un bail avec l’office sur
un terrain a aménagé une cimenterie. Un litige est né entre les parties. La question qui se pose
est de savoir : quelle juridiction est compétente pour connaître le litige et quel droit appliqué ?
En clair, le terrain fait-il parti du domaine ou non ?
Le CE devait définir la notion de domaine public. Il a suivi le raisonnement selon lequel l’office
national étant investi d’une mission de service public laquelle comportait l’aménagement
d’un port industriel étant donné que le terrain loué à la sté a fait l’objet d’installation
destinée à le rendre propre à cet usage, le juge administratif en déduit son appartenance
au domaine public.
Le CE définit la notion de domaine public en utilisant le critère de l’affectation au service
public. C’est la finalité donnée par la personne publique au bien qu’il faudra prendre en
compte pour déterminer s’il relève ou non du domaine public.
Avec cette solution, les terrains font parties du domaine public car par leur nature ils
concourent au fonctionnement de l’ensemble du port.
Au regard de sa portée, l’arrêt introduit la notion de service public dans la définition de
domanialité public tout en reconnaissant la comptabilité de la domanialité avec l’utilisation
privative industrielle et commerciale.
Rappelons que l’arrêt scté LE BETON est rendu dans les années 1950 marqué par le retour en
force de la notion de service public.
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D’abord moins d’un an auparavant, le travail public a permis au juge d’identifier le service
public CE 28 mars 1955 EFFIMIEF. Le service public sera considéré comme un critère de la
domanialité publique avec l’arrêt scté LE BETON, et un an après avec l’arrêt rendu par CE en
1956 EPOUX BERTIN, le service public va être utilisé pour identifier le contrat administratif.
Une partie de la doctrine parle d’essor du service public.
Mais devant la généralité utilisée dans les arrêts MARRECARE ET SCTE LE BETON, le juge
sans doute soucieux à ne pas étendre le domaine public pose des conditions : pour qu’un bien
appartiennent au domaine public, il faut quant il est affecté à un service public qu’il fasse l’objet
d’un aménagement spécial. Dans l’arrêt du CE 17 mars 1957 RANCHAN, le juge reconnaît
l’appartenance au domaine public d’un hôtel de ville pourtant installé dans un immeuble
propriété de la ville au motif qu’il a été spécialement aménagé en vue du regroupement des
services publics municipaux auxquels il est affecté.
Une évolution importante va remettre en cause la pertinence du critère de l’aménagement
spécial pour identifier ou appliquer le régime de la domanialité. Il s’agit de la domanialité
virtuelle.
➢ La domanialité virtuelle
Suite à un arrêt rendu par le CE 6 mai 1985 Association EUROLAT CREDIT FONCIER DE
France et a deux avis donnés par le CE ; le 1er le donné par le 1er janvier 1995 et le second le
18 mai 2004
La doctrine a considéré que le juge administratif a décidé d’écarter le critère de l’aménagement
spécial qui ne permet plus de limiter l’extension du domaine public au profit d’une présomption
ou d’une intention. Dans les avis cités il suffit que l’immeuble soit acquis pour servir à
l’installation d’un service public pour que démarre l’application du régime de la domanialité.
Peu importe que les aménagements soient en cours ou même que la décision du procédé soit
formellement prise.
Par contre la solution pour l’entrer dans le domaine public est ferme : l’immeuble sera
incorporé au domaine public de la personne publique à la date de son affectation au service
public.
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La doctrine considère alors que le juge consacre la domanialité virtuelle. C’est une théorie qui
consiste à soumettre aux règles de la domanialité publique un bien appartenant à une personne
publique dès lors que celle-ci a décidé d’affecter le bien soit à l’usage du public soit à l’usage
d’un service public alors même les aménagements spéciaux impliqués dans cette affectation ne
sont pas réalisées. La domanialité virtuelle est une domanialité par anticipation. Mais attention,
le bien n’appartient pas encore au domaine public ; il est seulement soumis aux règles de la
domanialité publique.
Mais la mise à l’écart du critère de l’aménagement spécial soulève lui aussi une difficulté
fondamentale qui révèle sans doute que la crise du domaine public est profonde. La question
est à partir de quel moment un immeuble appartenant à une personne publique doit-il être
considéré comme relevant d’un régime de domanialité publique.
Plusieurs réponses peuvent être apportées, mais elles sont loin d’être satisfaisantes.
Certains auteurs sont assez perplexes et privilégie d’une approche formelle. C’est ainsi
qu’YVES DAUDEMET dans un élan dubitatif affirme que ce moment « ça peut être quand la
collectivité propriétaire a formellement délibérée sur cette affectation nouvelle oubien
lorsqu’un calendrier a été arrêté ou encore lorsque l’affectation est mentionnée par un autre
acte, par exemple une déclaration d’utilité publique.
Quant à la jurisprudence, elle continue elle aussi à se chercher parce que dans son avis le CE
considère qu’il faut privilégier rappelons le, le moment de l’incorporation du bien, ce qui
signifie que tant que les travaux sont en cours, le bien ne peut pas être affecté. En conséquence,
ce moment c’est la fin des travaux. Juste quelques années avant l’avis rendu par le CE, la Cour
d’Appel de Paris dans une décision rendue le 27 septembre 2001, voir RFDA 2002 p.57., avait
considéré que la simple acquisition d’un immeuble ne suffit pas pour considérer qu’il soit
destiné à être incorporé dans le domaine public. Parce que l’acquisition dit le juge d’appel est
imprécise. Il faut que les travaux envisagés soient réalisés ou au moins démarrés.
Il relève de ces différentes affaires qu’il existe une évolution dans le raisonnement du juge
administratif. Pendant longtemps, il a mis une logique instrumentale selon laquelle le domaine
public est au service des missions des collectivités publiques. Ainsi, le régime du domaine
public prend le pas sur la notion de domaine public. Après cette étape, il a été constaté une
inversion du mode de raisonnement. La question que le juge s’est posée n’est plus de savoir
quel type de biens relève du domaine public mais plus tôt à quel type de bien faut-il appliquer
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le régime de domanialité publique. Et plus récemment il sera rappelé à quel moment faut-il
appliquer le régime de domanialité. Les différents éléments de la crise étant plus ou moins
circonscrits, reste à cerner les manifestations.
SECTION 2 : Les manifestations de la crise
La crise se manifeste à un double titre : le domaine public manque de lisibilité, il manque aussi
de cohérence.
➢ Le défaut de lisibilité domaine public
L’évolution de la domanialité a abouti à une superposition de terme. La doctrine évoque un
triptyque : domanialité publique ; domaine public ; propriété publique.
Ces 3 notions ne se confondent pas mais si on peut supposer leur séparation, il reste évident
qu’elles ont des influences réciproques. C’est ainsi qu’avec l’adoption du nouveau code en
France que la propriété publique se présente à la fois comme un des critères du domaine public
qu’un régime particulier.
La question qui se pose maintenant est de savoir si la propriété publique est un régime
particulier. Les personnes publiques étaient propriétaires de leur domaine privé et aujourd’hui
il leur est reconnu la propriété de leur domaine public. La question qui se pose est de savoir si
la propriété est la même. Il est possible d’avoir deux approches ; une approche dualiste et une
approche moniste.
Selon la première, il existe une propriété sur le domaine privé qui est différente de la propriété
sur domaine public, tandis que selon la seconde approche la propriété est la même selon qu’elle
s’applique sur le domaine public ou sur domaine privé ; c’est une propriété privée. Cette
distinction a une portée importante parce que selon la conception privilégiée les conditions de
valorisation ou de protection ne seront pas les mêmes. Dans un cas ce sera une logique
privatiste qui mènera à ce que l’on qualifie de droit public des affaires ; tandis que dans un
autre cas ce sera une logique publiciste. Le propriétaire est une personne publique poursuivant
l’intérêt général.
A ce défaut de lisibilité s’ajoute un défaut de voyance.
➢ Un défaut de voyance
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Aujourd’hui les autorités publiques affichent un peu partout une volonté de rentabiliser de
domaine public. Cette volonté se traduit par l’adoption de textes éparts sans grandes cohérence.
Au Sénégal on peut relever la loi de 2010 modifiant l’article 10 du code des obligations de
l’administration introduisant le contrat de partenariat. En France on peut relever les différentes
lois relatives au bail emphytéotique ou encore les différentes lois relatives aux occupations
temporaires du domaine public (voir la loi du 25 juillet 1994 relative à la constitution des droits
réels)
Au Sénégal on se rend compte que malgré l’existence d’un code du domaine de l’Etat, de la loi
sur le domaine national et de la loi du30 mars 2011 relative à la réorganisation des propriétés
foncières, le CGCL comporte aussi des dispositions relatives aux biens domaniaux.
Il s’y ajoute que le champ d’application des baux emphytéotiques administratifs ne cessent de
s’élargir. Le bail emphytéotique administratif est un contrat de location particulier en ce sens
qu’il est de longue durée et de faible loyer. Il confère au preneur au départ un droit réel
susceptible d’hypothèque. En droit privé, ce droit peut être saisi et céder dans les formes
prescrites pour la saisie immobilière en compensation les constructions du preneur deviennent
enfin de bail (18 à 99 ans) la propriété du bailleur. Le preneur est appelé emphytéote et il
titulaire d’un droit réel qu’il peut
face à la conjoncture, les collectivités publiques ont
recours à la formule du bail emphytéote laquelle a été transposé en droit public mais adaptée.
La personne privée avec laquelle est normalement conclu le bail doit l’utiliser dit le juge
administratif en vu de l’accomplissement pour le compte de la collectivité d’une mission de
service public ou en vu de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa
compétence. La jurisprudence administrative admet que le droit réel conféré par le bail
emphytéotique administratif n’est ni librement cessible ni susceptible d’être hypothéqué
librement. Librement (CE 19 juillet 2011 Mme VE).
La valorisation du domaine public a aussi conduit à reconnaître la propriété publique
incorporelle. En effet le domaine public ne comprend pas seulement des biens mais aussi des
droits tels que droit de pêche, droit de chasse, droit d’exploitation, droit d’exploration.
Un évoque un droit immatériel public qui constitue un gisement de ressource, mais son
existence soulève des difficultés.
Comment les personnes publiques peuvent-elles acquérir des droits d’auteur ?
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Dans l’avis rendu par le CE le 21 novembre 1972 OFRATEM, deux solutions sont avancées.
Soit la personne publique conclut un contrat de marché public avec un professionnel, soit elle
fait travailler ses propres agents. Il s’y rajoute encore une fois un domaine public immobilier,
immatériel. C’est l’exemple des fréquences HERTZIENNES voir : CC28 décembre 2000 loi
de finances 2001. Si la crise est réelle elle n’a pas toutefois entraîné la disparition du domaine
public qui tente de se reconstruire sur de nouvelles bases.
CHAPITRE 2 : La refondation de la théorie du domaine public
La refondation de la théorie domaniale passe par la reconnaissance de base constitutionnelle
du droit d domaine public, ce qui est une conséquence de la constitutionnalisation progressive
des branches du droit suite au renouveau du constitutionnalisme ; la refondation passe aussi
par la restructuration du domaine public autour d’un régime plus lisible. Mais force est de
reconnaître que cette entreprise de régénérescence vue l’état du droit positif notamment
sénégalais que cette entreprise reste encore inachevée.
SECTION 1 : L’existence de bases constitutionnelles en question
Rappelons que dans la décision rendue par le conseil constitutionnel le 21 juillet 1994, le juge
a utilisé le considérant suivant : « il incombe au législateur lorsqu’il modifie les dispositions
relatives au domaine public de ne pas priver de garanties légales les exigences
constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics auxquels
il est affecté ». Cette formule utilisée par le CC n’est très explicite pour reconnaître une base
constitutionnelle à la domanialité. Faut-il en déduire que la base constitutionnelle de la
domanialité ne serait pas aussi solide ? quoi qu’il en soit, c’est recourant à une interprétation
qu’une partie de la doctrine affirme l’existence éventuelle d’une base constitutionnelle.
L’interprétation est la suivante : le CC reconnaît une valeur constitutionnelle à l’existence et à
la continuité du service public. Quant un bien est affecté à ce service public, le régime de ce
bien doit être tel que l’existence et la continuité du service public soit toujours garantie.
L’expression doit être, telle « renvoie à une exigence constitutionnelle. Il existe donc une
exigence constitutionnelle qui s’attache au régime juridique du bien domanial affecté à un
service public. C’est ce que le législateur ne doit pas modifier. Dans cette hypothèse, si la base
constitutionnelle est reconnue elle ne concernera que le bien affecté au service public. Qu’en
est-il du bien affecté à l’usage du public ? Peut-on transposer le même raisonnement ?
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Pour la clarté du débat il convient de distinguer deux situations : les bases constitutionnelles
des biens affectés au service et le cas des biens affectés à l’usage du public.
➢ Les bases constitutionnelles des biens affectés au service public
La question fondamentale qui mérite d’être posée est celle de savoir si le législateur peut
déclasser des biens qui sont affectés à un service public ; autrement dit, existe-t-il une
obligation de classer ou de maintenir certains biens dans le domaine public ?
Au regard de la jurisprudence constitutionnelle la réponse semble négative. La solution
apportée par le juge constitutionnelle est en effet nuancée. L’exigence constitutionnelle qu’il
trouve se rapporte à la garantie de l’existence et de la continuité des services publics auxquels
les biens sont affectés. En clair, les biens affectés doivent permettre d’obtenir la garantie
constitutionnelle à l’exclusion de leur régime. Si le juge avait soutenu que c’est la soumission
des biens affectés au service public au régime de la domanialité qui garantirait l’existence et la
continuité du service public, là il y’aurait une obligation constitutionnelle d’appartenance des
biens au domaine public. Finalement ce qui importe pour le droit constitutionnel en ce concerne
le régime juridique des biens affectés au service public, ce n’est pas leur domanialité publique
ou pas mais qu’il permette de garantir l’existence et la continuité des services publics auxquels
ils affectés.
Positivement il n’existe donc pas d’obligation constitutionnelle qui pèse sur le législateur pour
maintenir des biens dans le domaine public. Il est donc libre de déclasser des biens qui sont
affectés au service public. Dans une décision DC 96-380 du 23 juillet 96 « loi relative à
l’entreprise nationale France télécom, le juge constitutionnel a eu à préciser la portée de la
jurisprudence rendue en 1994. Il s’agit d’une loi qui transfert les biens droits et obligations
d’une personne morale de droit public à une personne privée. Les députés ont attaqué la loi au
motif justement que le transfert méconnaît les principes constitutionnels du service public. Il
est important de souligner que la loi procède à un déclassement des biens du domaine public
de la personne morale à l’entreprise. Les saisissants demandent aussi l’invalidation de la loi
parce que le déclassement selon eux porterait atteinte au principe à valeur constitutionnelle de
l’inaliénabilité du domaine public. Dans sa décision le CC rejette ce motif et déni toute valeur
constitutionnelle à la règle de l’inaliénabilité et il considère que les dispositions arrêtées par le
législateur par lesquels ils déclassent les biens domaniaux permettent de respecter les principes
constitutionnels régissant le service public notamment dans la gestion des biens transférés.
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➢ Le cas des biens affectés à l’usage du public
Il faut rappeler qu’il existe deux catégories de bien affectées à l’usage du public. On relève
d’une part le domaine public naturel qui comprend les rivages de la mer, les zones maritimes
etc. et d’autre part le domaine public artificiel qui comprend les routes, pont, les voies publiques
etc.
Le juge constitutionnel a gardé le silence jusqu’ici sur le sort des biens gardés à l’usage du
public. La doctrine fustige sévèrement ce silence qu’elle juge incompréhensible. La raison
principale réside dans le fait que ces catégories de biens sont directement en rapport avec des
libertés garanties par la constitution ou le législateur telle que la liberté d’aller et de venir, la
liberté de communication, d’expression, de commerce et d’industrie. Certains auteurs
cherchent à expliquer les raisons de ce silence. YVES GAUDEMET se demande s’il n’est pas
dû à une affectation large au service public conception qui engloberait à l’usage du public.
D’autres auteurs considère nt dans la même lancée qu’il est possible de transposer par
extrapolation le raisonnement du juge constitutionnel concernant l’affectation des biens au
service public pour l’affectation à l’usage du public.
Cependant il convient de distinguer entre le domaine public artificiel et domaine public naturel.
Pour ce qui concerne le domaine public artificiel, il est tout à fait permis d’envisager
l’application intégrale de la solution du conseil constitutionnel parce qu’il n’existe pas plus
d’obligations constitutionnels d’appartenance au domaine public des biens affecté à l’usage du
public qui sont le résultat du travail d l’homme qu’il n’en existe en ce qui concerne les biens
affectés au service public. Voir : ETIENNE FATÖME, « la consistance du domaine public
immobilier, évolution et question » AJDA p.1087 ; YVES GAUDEMET « libertés publiques
et domaines public » mélanges JEAN ROBERT p.101.
En revanche pour ce qui concerne le domaine public naturel, la doctrine semble hésiter en
raison notamment de la caractéristique des biens appartenant au domaine public naturel et du
fait de leur situation.
ETIENNE FATÖME considère que le caractère naturel est un domaine de fait et qu’il s’agit
de biens non renouvelables. Il estime que la nécessité de faire en sorte que le régime juridique
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de ces biens permet d’assurer une protection de ses éléments caractéristiques implique que le
régime comprenne les règles et principes qui à l’heure actuelle font partie du régime de la
domanialité publique ; à savoir l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité ou encore la précarité des
occupations privatives. Mais de là à considérer dit-il qu’il existe une obligation
constitutionnelle d’appartenance au domaine public des dépendances « qu’il y a un pas qu’il
ne paraît pas possible de franchir ».
En vérité, la position du juge constitutionnel n’impose explicitement aucune obligation
constitutionnelle en matière de domanialité. Mais bien plus tôt cherche à préserver l’existence
et la continuité du service public et par conséquent les biens y référents.
Le juge a opté pour une opérationnalisation prudente du droit du domaine public. Rappelons
que le domaine public est un domaine particulièrement protecteur et relève d’un régime
exorbitant du droit commun. Il est conçu pour régir les situations très diverses. S’il comporte
des prérogatives importantes pour l’administration, il comprend aussi des suggestions pour les
particuliers. Il importe alors de ne pas soumettre tous les biens affectés au service public à un
rel régime mais bien plus modestement de protéger l’existence et la continuité du service
public.
Si les bases constitutionnelles sont ainsi posées, la restructuration d’un tel régime reste aussi
problématique.
SECTION 2 : La restructuration inachevée du régime domanial
En France la restructuration a d’abord été l’œuvre du législateur qui a adopté le code général
de la propriété des personnes publiques en 2006.
✓ Au Sénégal le processus de restructuration est parsemé d’embuches depuis l’an 2000.
Suite à la 1ère alternance intervenue à la tête de l’Etat, les autorités publiques
tergiversent. D’abord dès 2001, affichant à une volonté de procéder à une réforme du
système foncier sénégalais, les autorités centrales ont mis en place au sein du ministère
de l’économie et des finances un groupe de travail chargé d’élaborer un projet de
réforme foncière. Les propositions de ce groupe de travail, si jamais il y a eu
propositions, n’ont jamais été rendues public.
En 2002, le gouvernement s’engage dans un processus d’élaboration d’une loi d’orientation
agricole. Mais là aussi ce sera plus de la cacophonie que du droit foncier qui sera élaboré. En
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effet dans le projet de loi, un chapitre est consacré au régime foncier. Et très curieusement à
l’article 21 al.3 il est envisagé l’hypothèse de vendre des terres du domaine national et une
place est aménagée au président de la république dans la procédure de vente.
Le conseil national de concertation et de coopération des ruraux tira la sonnette d’alarme sur
le danger d’un tel projet et le gouvernement recula ; résultat : aucune loi.
En 2004 la loi d’orientation agrosylvopastoral est adoptée. Elle comporte un fameux chapitre
6 consacre à la réforme foncière. Au terme de l’art.22 al.1 de la loi, le législateur considère
« que la définition d’une politique foncière et la réforme de la loi sur le domaine national
constituent des leviers indispensables pour le développent agrosylvopastoral et pour la
modernisation de l’agriculture.
Le législateur dégage des principes sur lesquels reposent la réforme foncière. Il s’agit
notamment : de la protection des droits d’exploitations des acteurs ruraux ; les droits fonciers
des CR ; la cessibilité encadrée de la terre ; une mobilité foncière favorisant la création
d’exploitation plus viable ; la transmissibilité successorale des terres pour encourager
l’investissement durable dans l’exploitation familiale ; l’utilisation de la terre comme garantie
pour l’obtention de crédits.
Seulement le législateur renvoie à 2006 pour le vote d’une réforme foncière. On l’attend
toujours (2019). Voir : ABDOULAYE DIEYE, « l’avenir du système foncier sénégalais »,
mélanges à l’honneur de GERTI HESSELING.
Après la seconde alternance intervenue en 2012, les nouvelles autorités ont aussi affiché leur
volonté de prendre à bras le corp la réforme du secteur foncier.
Dès mars 2013, le nouveau 1er ministre procède à l’installation de commission nationale de la
réforme foncière composée de 75 membres. Elle est chargée de proposer une réforme de la
gouvernance foncière au Sénégal parce que disent les autorités cette gouvernance est malade
de ses textes « dont beaucoup ont vieilli, des transformations économiques sociales et
démographiques auxquelles elle n’a pas su s’adapter. Mais également du comportement de
certains acteurs qu’ils appartiennent à l’Etat ou aux CL ». Ainsi, le gouvernement entend
prendre son courage à deux mains. Lorsqu’un projet ayant un intérêt bénéfique pour la
communauté nationale, voir sa réalisation en travée par l’accès au foncier parce qu’il se heurte
à des traditions irrationnelles ou qu’il dérange les intérêts immédiats de quelques personnes,
alors il faut avoir le courage de trancher en faveur des intérêts à long terme du pays.
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6ans après, la commission a cessé de fonctionner, un comité réduit a été mis en place, il a rédigé
et déposé un rapport mais jusqu’ici aucun projet de loi n’a été voté par l’assemblée national.
✓ En France, la restructuration du régime de la domanialité ne s’est pas non plus faite
sans difficulté. Mais il faut souligner que le fait même que le législateur souligne la
nécessité de la restructuration au Sénégal où il procède en France signifie que la crise
du domaine public n’est pas synonyme de disparition. Bien au contraire elle a permis
la reconstruction d’une théorie domaniale rénovée.
Malgré toutes les vicissitudes évoquées, le concept de domaine public reste encore un concept
pertinent.
Au plan contentieux, le concept gouverne la repartition des compétences entre les juges
judiciaires et administratifs et donc l’application du droit administratif. Le concept permet aussi
de conserver le droit d’usage qui appartient à tous d’occuper des dépendances domaniales
relevant du domaine public. Seule une autorisation d’occupation délivrée par l’autorité
compétente pourra limiter ce droit. Voir GILS BACHELIER, « le concept du domaine public :
un concept toujours pertinent », mélanges DANIEL LABETOUME.
Avec le renforcement du droit de l’environnement, il s’est posé la question du renouveau de la
domanialité publique. En effet il s’est posé la question de savoir si la domanialité ne pouvait
pas être conçue comme un instrument de protection de l’environnement.
Le législateur s’est rendu compte que la domanialité recélerait d’énorme potentialités qui sont
au mieux sous exploitées au pire ignorées.
Il est aisé de constater qu’en consacrant des règles telles que l’inaliénabilité,
l’imprescriptibilité ; le régime domanial permet de maintenir un statuquo sur les dépendances
du domaine public. Les espaces naturels faisant partie de ces dépendances seront alors protégés.
Mais il faut noter que cette protection n’est pas capitale parce qu’avec les techniques de
désaffectation et de déclassement la domanialité n’empêche pas de céder les biens publics aux
personnes publiques, voir SILVY OUDAL « la domanialité publique comme instrument de
protection de l’environnement » AJDA 14 décembre 2009, p.2329.
Mais le développement du droit communautaire est venu remettre en cause bien des certitudes
en matière de domanialité. Rappelons que le droit communautaire envisage un marché sans
frontière garantissant une concurrence libre et loyale aux entreprises. C’est ce qui pousse
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aujourd’hui les droits administratifs internes à se transformer sans cesse. Ces transformations
semblent n’épargner aucun secteur. Récemment la Cour de justice de l’UE a rendu une
importante décision le 14 juillet 2016, PROMOIN-PRESA SRELL contre CONSORTIO DE
COMUNI ; et MARIO MELIZ contre COMMUNE DI LOIRI. Il s’agit de 2 litiges : le 1er
oppose PROMOIN-PRESA et la région de LOMBARDI au sujet de la décision du consortium
de refuser à PROMOIN PREZA le renouvellement d’une concession dont elle bénéficiait en
vue de l’exploitation d’une zone domaniale et de la décision du Conseil de la région de
LOMBARDI de soumettre l’attribution de la concessions domaniales à une procédure de
sélection comparative.
Le second litige oppose MARIO MELIZ à la municipalité de LOIRI PONTO SAN PAOLO au
sujet de décision relative à l’approbation du plan d’utilisation du littoral et à l’attribution de
concession de biens relevant de domaine maritime.
Dans sa décision la CJ de l’UE considère que l’octroi d’autorisation lorsque leur nombre est
limité en raison de la rareté des ressources naturelles doit être soumis à une procédure de
sélection entre les candidats potentiels laquelle doit répondre à toutes les garanties
d’impartialité, de transparence, notamment de publicité adéquate. Partant, le juge
communautaire décide que la prorogation automatique ne permet plus l’organisation d’une
procédure de sélection. Il résulte de cette jurisprudence que 3 conditions cumulatives sont
posées pour l’octroi par les personnes publiques de droits domaniaux.
✓ La sélection des candidats potentiels
✓ La garantie de l’impartialité
✓ La transparence
En France, l’ordonnance N°2017-562 du 19 avril 2017 sur la propriété des personnes publiques
a été adoptée en vue de répondre aux exigences de la jurisprudence PROMEN PRESA.
Désormais il est inséré un article dans le code L2122-1 qui postule que « l’autorité compétente
organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties
d’impartialité et de transparence et comportant des mesures de publicité permettant aux
candidats potentiels de se manifester ». Il en résulte que l’attribution de titres domaniaux reste
désormais soumise à une publicité préalable. L’Etat ne peut plus utiliser le procédé unilatéral
régalien. Le droit communautaire qui se renforce ne prend pas en compte dans sa définition les
critères d’affectation au service public ou à l’usage du public.
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Il s’attache exclusivement à l’objet de l’activité, de l’occupant domanial. Si l’activité est
économique, qu’il s’agisse d’intérêt économique général ou purement privé, elle sera soumise
au droit de la concurrence. La difficulté avec une telle solution est que les prorogations
automatiques sont à certains égard nécessaire pour préserver la confiance légitime des titulaires
des autorisations.
La reconstruction se poursuit et l’avenir nous édifiera sur sa portée.
NOTES PERSONNELLES :
Pour des auteurs, « l’usus, le fructus et l’abusus ne sont pas destinés aux biens domaniaux.
Donc il est impossible que ces biens fassent l’objet de propriété ». Contrairement, des auteurs
comme AURIOU défendent le contraire.
MAURICE LADAGE « L’évolution du droit de la domanialité publique, LDJ, p.5.
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AURIOU « les biens sont très bien susceptible de propriété. Mais cette propriété reste
publique. »
« Le géni cherche toujours la simplicité dans la complexité ».
PAUL VALERY « Tout ce qui est simple est faut ».
ARICLE FABRICE MELLERAY DIFFERENCE ENTRE ECOLE DE BORDEAU ?
MELANGE MAURICE DUVERGER ?
JEAN MARIE AUBY maître de BORDEAU ?
Arrêt Société le béton ?
BORRIS MEDECIIN
*Apologie pour les faiseurs de système Jean RIVEREAU
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