1 Année académique 2012-2013 Etat et droits humains Cours du 30 octobre 2012 9. La liberté d’opinion et d’information1 9.1 Notions L’article 16 Cst. vise à la fois la liberté d’opinion (alinéa 2), soit le droit pour tout être humain de former, d’exprimer et de répandre librement son avis et la liberté d’information (alinéa 3), soit le droit de récolter des informations sur les faits. Au niveau international, les art. 10 al. 1 CEDH et 19 Pacte ONU II consacrent la liberté d’expression. La notion d’opinion est définie largement ; elle englobe tout jugement, toute appréciation, idée, manifestation de pensée, prise de position, conception, création artistique et littéraire, voire toute activité politique. Les opinions sont protégées quelle que soit la réaction qu’elles provoquent auprès des autorités et du public. C’est ainsi que l’exprime la Cour européenne des droits de l’homme en relevant que « la liberté d’expression ne vaut pas seulement pour les informations et les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population ». Même les opinions qui ne correspondent pas à la vérité entrent dans le champ d’application de la liberté d’opinion. Les moyens utilisés pour former ou exprimer une opinion peuvent être très divers : un discours sur la place publique, un article de journal, un film, une émission de radio, un blog. Sont également visées, les formes d’expression non verbales, tel le fait de porter un drapeau, un masque, un insigne ou un uniforme. La liberté d’information garantit à toute personne « le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser » (art. 16, al, 3, Cst.). En définitive, cette liberté a d’une part une dimension intérieure (la formation de l’opinion dans le for intérieur, qui fait partie du noyau intangible) et, d’autre part, une dimension extérieure (le droit d’exprimer son opinion ou de ne pas l’exprimer, qui peut être restreint selon l’art. 36 Cst.). Elle a par ailleurs un aspect actif et un aspect passif : Sont protégés à la fois l’émission (aspect actif, liberté d’opinion) et la réception (aspect passif, liberté d’information) d’informations et d’opinions. 1 Tiré de Auer/Malinverni/Hottelier, Droit constitutionnel suisse, p. 249 ss, vol. II, 2ème éd., 2006 ; Mahon, Droit constitutionnel II, p. 95 ss, 2ème éd., 2010. 2 9.2. Les titulaires La liberté d’opinion et d’information appartient à toute personne physique ou morale, suisse ou étrangère, mineure ou majeure. Le contenu de cette liberté peut cependant varier considérablement selon le statut (élève, détenu, député, étranger) ou la profession (fonctionnaire, avocat, juge, journaliste) de son titulaire. 9.3. Les restrictions Les libertés de communication sont mises en vigueur par le droit ordinaire, auquel il revient en premier lieu d’organiser les multiples relations constitutives de la société civile. Une mise en vigueur qui est plus souvent négative que positive dès lors que l’exercice de ces libertés ne dépend que rarement d’une intervention de l’Etat, alors qu’il se heurte souvent aux droits et intérêts des autres titulaires. Nombreuses sont donc les règles du droit pénal, civil et administratif qui encadrent cette liberté. En règle générale, l’intérêt public ne permet cependant pas de censurer ou de réprimer l’expression des opinions qui sont subversives ou simplement choquent les sentiments moraux, religieux ou politiques de la population ou encore qui mettent en cause les institutions. L’Etat se doit de respecter une certaine neutralité quant aux opinions selon l’adage « les opinions n’ont pas d’Etat, et l’Etat n’a pas d’opinions ». Ainsi, ce n’est que si elles se justifient au regard du principe de la proportionnalité que les règles destinées à limiter la liberté d’expression peuvent être adoptées. A titre d’exemple, le Code pénal suisse contient un certain nombre de dispositions qui limitent la liberté d’expression. Le législateur a ainsi érigé en infractions des comportements qu’il ne juge pas compatibles avec les valeurs fondamentales de la société qu’il entend refléter. Le législateur doit cependant agir avec retenue, car, dans une société libérale et démocratique, on admet généralement que les idées doivent être combattues par d’autres arguments et qu’on n’empêche pas les idées de circuler en emprisonnant les gens. En effet, chacun a le droit d’exprimer ses vues sur un sujet d’intérêt public, bien qu’elles déplaisent à certains, même s’ils sont majoritaires : la majorité ne peut prétendre réduire la minorité au silence. Exemples d’infractions pénales : Le Code pénal suisse (CP) connaît différentes infractions qui limitent la liberté d’expression. - La discrimination raciale (art. 261bis CP) Cette infraction est relativement récente en droit suisse. Elle n’a été introduite qu’en 1995, après une votation populaire serrée, au terme d’un débat nourri et passionné. La disposition pénale incrimine toute forme d’incitation à la haine ou de discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. 3 Le comportement envisagé consiste à inciter publiquement à la haine raciale ou à la discrimination, c’est-à-dire à pousser le public à vouloir le mal de quelqu’un ou à le traiter injustement de façon moins favorable en raison de son appartenance à la communauté concernée. Tombe également sous le coup de la loi le fait de propager publiquement une idéologie qui vise à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion. La norme réprime également la négation publique d’un génocide, soit en le niant ou le minimisant grossièrement, soit en cherchant à justifier un génocide ou un crime contre l’humanité. Finalement, la loi réprime encore le refus d’une prestation destinée à l’usage public à l’égard d’une personne, si ce refus est fondé sur des considérations raciales, ethniques ou religieuses. - L’atteinte à la liberté de croyance et des cultes (art. 261 CP) Le comportement réprimé consiste notamment à bafouer, publiquement et de façon vile, les convictions d’autrui en matière de croyances, en particulier de croyance en Dieu. La loi protège ici la paix publique, et cela seulement si les propos blessent intentionnellement et grossièrement les sentiments religieux. Tel est le cas de la représentation de la Croix du Christ sur laquelle ce dernier a été remplacé par une femme nue, jambes écartées. - La pornographie (art. 197 CP) La norme poursuit trois objectifs distincts : o protéger la jeunesse contre la pornographie ; o protéger la liberté de chacun de refuser la pornographie ; o interdire la pornographie « dure », même à l’égard d’adultes consentants. La loi distingue ainsi plusieurs hypothèses. En premier lieu, elle réprime celui qui aura rendu accessibles à une personne de moins de 16 ans des écrits, des images ou représentations pornographiques. Ce comportement vise toute forme de pornographie et l’acte illicite consiste à le mettre à disposition des mineurs de moins de 16 ans. La loi réprime ensuite celui qui aura exposé ou montré en public des écrits, des objets ou des représentations pornographiques à une personne qui n’en voulait pas. Par ailleurs, la norme pénale renferme également une interdiction absolue de la pornographie dite « dure », soit ayant comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des enfants, des animaux ou des excréments humains ou mettant en scène des actes de violence. Le code interdit la fabrication, l’importation, la prise en dépôt, la mise en circulation, la promotion, l’exposition, la mise à disposition, et même la détention pour son usage personnel de toutes représentations et de tous objets répondant à la définition de la pornographie dure. 4 L’article 197 CP précise finalement que les objets et représentations visés par cet article ne seront pas considérés comme pornographiques lorsqu’ils auront une valeur culturelle ou scientifique digne de protection. Cette valeur culturelle ou scientifique exclut l’infraction, même en cas de pornographie dure. Il y a valeur scientifique lorsque la présentation est conçue de manière sérieuse pour la formation médicale ou la prophylaxie. - La provocation publique au crime ou à la violence (art. 259 CP) Cette provocation est punissable lorsqu’elle contient l’expression d’une certaine insistance qui est propre, par son contenu et sa forme, à influencer la volonté du destinataire et à les engager à accomplir des actes déterminés. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un ait donné suite à la provocation ni qu’un crime ait été effectivement commis. Tombe par exemple sous le coup de cette disposition la révélation publique des possibilités de se procurer des produits stupéfiants.