Faculté de philosophie et Lettres Départements des Langues et Littératures françaises et romanes Placement et enjeux du dramaturge amateur dans un champ théâtral en mutation Étude du cas de Mathieu Falla (1943-1998) Mémoire présenté par Odile Julémont en vue de l’obtention du grade de Master en langues et Littératures françaises et romanes à finalité approfondie sous la direction de Nancy Delhalle. Année Académique 2016/2017 i Remerciements Dans le cadre de la rédaction de ce travail, plusieurs personnes m’ont apporté une aide précieuse et je tiens ici à les remercier. Tout d’abord, Vivienne Martin-Falla, pour les nombreuses informations qu’elle m’a fournies, mais aussi pour sa disponibilité et ses encouragements. Ensuite, ma promotrice, Mme Nancy Delhalle, qui a su guider mes recherches et ma réflexion. Pascal Lefebvre, Aline Koolen et Dominique Brévers pour le temps qu’ils m’ont consacré. Alice Grace, Nathalie Closson, Robert Neuray, Dina Karamova, Patrick Govers, Thomas Pierard, Isabelle Neuray et Benoît Franck pour leur relecture attentive et leurs conseils pertinents. Mais aussi ma famille, mes amies, Virginie, Céline et Julien qui m’ont soutenue et supportée tout au long de l’élaboration de mon mémoire. ii iii Introduction 1 « Mathieu Falla mérite d’être connu du grand public cultivé, en Belgique et ailleurs »1. Michèle Gérard2. Le champ théâtral liégeois actuel est le résultat de mutations qui survinrent au début des années 1960 et qui connurent leur paroxysme dans le tournant des années 1970. De cette époque, ce sont les formes dominantes qui ont été retenues, celles dont les aboutissements sont toujours perceptibles à l’heure actuelle. Mais qu’en est-il des structures éphémères, des compagnies et des agents théâtraux qui n’ont pas pu, ou pas voulu, suivre la dynamique de renouveau et d’engagements sociaux qui prédomina par la suite ? L’émergence et l’affirmation des nouveaux codes esthétiques et de nouvelles conceptions artistiques étant le résultat d’interactions entre des forces centripètes et centrifuges, l’enjeu de ce travail est de saisir la nature de ces interactions, la manière dont ces forces ont pu s’entremêler, s’affronter ou s’assimiler. Nous avons fait le choix d’aborder cette problématique principale par le biais de la trajectoire littéraire et artistique du Liégeois Mathieu Falla. Ses diverses relations avec trois secteurs théâtraux (universitaire, amateur et professionnel), à une période de mutations du champ théâtral, font en effet de ce dramaturge un point d’entrée pertinent dans la résolution de notre problématique. De l’étude de cette trajectoire ont émergé d’autres interrogations relatives au statut de l’auteur dramatique amateur telles que la place de l'auteur de théâtre à une époque où la mise en scène devient primordiale, la répartition du temps entre pratique amateur et activité professionnelle, ou encore les modes de consécration envisageables dans le secteur littéraire amateur. La focalisation de nos recherches sur un agent particulier du champ théâtral permet ainsi de poser un double objectif : mettre en lumière un personnage du théâtre amateur liégeois aujourd’hui méconnu et investiguer les différents champs dans lesquels il évolue. Les deux aspects de cette réflexion s’articulent ici grâce à deux instances : les œuvres produites par Mathieu Falla et la formation de ses divers réseaux de sociabilité. 1 2 GERARD, M., « Avant-Propos », In FALLA, M., Théâtre, Liège, Romanicula, 1966. Aujourd’hui connue sous le pseudonyme de Michèle Fabien. 2 Dans un premier temps, nous envisagerons la production littéraire de l’auteur en tant qu’expression des diverses positions qu’il occupa dans les champs littéraire et artistique au cours de sa trajectoire. Étant donné le peu de postérité que connut Mathieu Falla, le regroupement des informations le concernant constitue une étape de recherche importante de ce travail. En ce qui concerne les données relatives à la présentation de ses pièces, la chronologie des spectacles du Théâtre Universitaire de Liège (disponible en annexe) et le site de ressources en ligne de la Bibliothèque nationale de France (data) constituent nos principaux outils. Les informations propres à la vie personnelle de Mathieu Falla nous seront en revanche fournies par son épouse, Vivienne Martin, via une correspondance électronique qu’elle n’a pas souhaité voir retranscrite ici. Nous avons donc pris le parti de référencer ces informations par la mention : « courriel daté du », suivi de sa date de réception. Dans un second temps, lorsque nous étudierons plus spécifiquement les champs théâtraux universitaire et amateur, les textes feront l’objet d’une étude littéraire et dramaturgique plus aboutie. Nous questionnerons alors le texte théâtral dans ses spécificités : appartenance à un éventuel sous-genre dramatique, production de parole, dimension spatio-temporelle de l’intrigue (s’il y a une intrigue) et composition du personnage. Pour ce faire, nous aurons majoritairement recours aux ouvrages de deux théoriciens du théâtre : Michel Vinaver et Jean-Pierre Ryngaert. Les pièces seront donc étudiées pour elles-mêmes, mais surtout en ce qu’elles réfractent la position de l’agent (ou de l’institution qu’il représente) par rapport aux changements esthétiques, culturels et politiques qui traversent son époque. Parallèlement à l’analyse des œuvres de Mathieu Falla, ce travail envisagera les modes de formation et d’interaction des divers réseaux de sociabilité constitués par l’auteur au cours de sa trajectoire. Dans un premier temps, notre démarche suscitera des interrogations très concrètes telles que : « Dans quel contexte se construisent ces réseaux ? », « Quels sont les agents qui les composent ? » ou « Quelle influence ont-ils sur la production et les activités de Falla ? ». Dans un second temps, une perspective plus large nous permettra de considérer ces agents comme représentatifs d’une institution ou d’un courant esthétique particulier. Dès lors surviendront d’autres problématiques relatives au degré de coprésence de ces réseaux et au type de relation qu’ils entretiennent entre eux. Nous pourrons alors tenter d’évaluer le degré de perméabilité et la nature des relations établies entre les institutions et les courants esthétiques théâtraux. 3 La présentation de notre exposé se déroulera donc en trois étapes, respectivement intitulées : « Problématisation d’une trajectoire littéraire et artistique », « Quel placement au sein d’un Théâtre Universitaire en mutation » et « Perméabilité des réseaux amateur et professionnel ». La première partie a pour fonction d’établir le cadre de notre recherche. Elle consiste ainsi en la présentation problématisée de la trajectoire de Mathieu Falla. Son aspect quelque peu factuel répond donc à la nécessité de contextualiser des instances et des enjeux développés dans la suite du travail. Les parties suivantes envisageront deux pans du champ théâtral liégeois : le théâtre universitaire et le théâtre amateur, tels qu’ils se présentent au moment où Falla décide de les investir. Comme annoncé supra, ces deux parties alterneront entre analyse des œuvres et analyse des réseaux. Voyons donc à présent de quelle façon la trajectoire de Mathieu Falla est un exemple symptomatique de la perméabilité des réseaux artistiques et du positionnement du dramaturge amateur dans les différents champs qu’il fréquente. 4 Chapitre I : Problématisation d’une trajectoire littéraire et artistique 5 I.1. Ambitions artistiques d’un étudiant romaniste. Constitution d’un capital social Né à Liège en 1943, Mathieu Falla est issu d’un milieu assez modeste. Il grandit dans le quartier populaire d’Outremeuse où il vit avec sa mère, fleuriste, et son père, ouvrier à l’usine Cockerill de Seraing et lui-même fils de fermier. Il réalise néanmoins un parcours scolaire complet à l’Athénée Royal Charles Rogier. Sachant que les taux de fréquentation scolaire en Belgique francophone chez les étudiants âgés entre dix-sept et dix-huit ans ne s’élèvent alors qu’à 29,6 %3, ceci peut déjà être considéré comme un parcours de type long. Notons en outre que le « Pacte scolaire », prescrivant la gratuité de l’enseignement dans les établissements de l’État ne sera signé qu’en 19594. L’accès à l’enseignement secondaire supérieur est donc encore réservé à une certaine élite. Or, nous l’avons vu, Falla n’est pas issu d’un milieu social privilégié. Son parcours scolaire laisse ainsi supposer une volonté d’ascension sociale de la part de ses parents et/ou un très bon niveau scolaire de l’élève, qui aurait suscité l’encouragement de ses professeurs. Plusieurs courriels de sa femme, Mme Vivienne Martin5 confirment en partie ces suppositions. Tout d’abord, Mathieu Falla a été encouragé par certains de ses professeurs à approfondir son intérêt et ses prédispositions pour l’écriture. C’est le cas notamment de Jean Servais. Ce romaniste diplômé de l’Université de Liège est alors directeur La Vie Wallonne, revue qui se veut représentative de la vie culturelle wallonne. Ayant conservé des liens étroits avec la faculté de philologie romane, Servais favorise les publications portant sur la philologie, l’Histoire, le folklore ou encore la dialectologie6. L’établissement compte ainsi parmi ses agents un professeur actif dans le secteur culturel wallon. Il n’est d’ailleurs pas le seul à promouvoir l’émulation culturelle de l’Athénée : dès 1959, un atelier Pourcentage de l’année scolaire 1956-1957. Cf. GUILLAUME, J.f., VERJANS, P. et MARTINIELLO, M., (Dir.), Les Politiques publiques en matière d’Enfance et de Jeunesse au XX e siècle, en Belgique et en Communauté française, Liège, Université de Liège. Institut des Sciences humaines et sociales, mai 2005 [En ligne], URL : http://www.oejaj.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/sites/oejaj/upload/oejaj_su per_editor/oejaj_editor/pdf/Politiques_publiques__rapport_final.pdf&hash=0999c06329708ebfb174b6ad38d295f569a5535b, (consulté le 02/08/2017). 4 MATONDO, A., « Gratuite scolaire en Communauté française, leurre ou réalité ? », In Publication de Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) [En ligne], URL : http://www.lacode.be/IMG/pdf/gratuite_scolaire_042007.pdf, (consulté le 2/08/2017). 5 Courriel daté du 27/07/2017. 6 DELFORGE, P., « Jean Servais, le ´romaniste directeur de La Vie Wallonne », In Connaître la Wallonie [En ligne], URL : http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/servais-jean-leromaniste-directeur-de-la-vie-wallonne#.WYiYo1FJbIU, (consulté le 07/08/2017). 3 6 de théâtre est mis en place dans l’établissement par le préfet des études, Adelin Closset, et le proviseur, Jean Granville. Cette activité parascolaire est alors un prolongement des cours de diction et s’adresse aux élèves qui souhaitent appliquer leurs acquis dans la pratique de l’art dramatique. Peu de temps après sa création, les membres décident d’institutionnaliser leur groupe et lui donnent le nom de « Bacheliers »7. Mathieu Falla est donc en contact avec un environnement culturel directement lié à l’institution scolaire et développe assez jeune un contact privilégié avec ses professeurs. Une fois diplômé de l’enseignement secondaire supérieur, Mathieu Falla souhaite entamer des études artistiques au Conservatoire de Liège, décision à laquelle ses parents s’opposent, préférant pour leur fils un cursus universitaire qui pourrait lui assurer un emploi de professeur et ainsi, un avenir serein. Falla finit donc, à regret, par suivre leur avis8. Ici encore, gardons à l’esprit que les études universitaires ne sont alors accessibles qu’à une très faible partie de la population. Selon les statistiques réalisées en 1961 par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron relatives aux choix scolaires des étudiants en fonction de leur origine sociale9, la probabilité que ce fils d’ouvrier accède à l’Université n’est d’ailleurs que de 1,6%. Si elles concernent plus directement le domaine français, ces statistiques présentent cependant l’avantage majeur de porter précisément sur l’année à laquelle Mathieu Falla est lui-même entré à l’université. Nous voyons donc que la poursuite d’un parcours d’enseignement universitaire est avant tout souhaitée par les parents de Falla, qui veulent procurer à leur fils une meilleure situation que celle qu’ils ont eux-mêmes connue. Comme le démontre cette même étude sociologique menée par Bourdieu et Passeron10, ce raisonnement s’applique à plus large échelle dans les classes sociales les plus défavorisées, qui ont tendance à accorder une plus grande importance aux débouchés offerts à une filière d’études et donc à leur rentabilité11 . Parallèlement à son cursus scolaire, ce futur romaniste s’applique à développer des activités culturelles dites « libres », autrement dit non prises en charge par l’institution scolaire ou familiale. Dès la fin de ses études dans l’enseignement secondaire, ce jeune étudiant se rend ainsi fréquemment au cinéma ou au théâtre. Sa passion pour la musique ATHÉNÉE ROYAL CHARLES ROGIER, « Bacheliers », In Site de l’Athénée Royal Charles RogierLiège 1 [En ligne], URL : http://www.liege1.be/Bacheliers~T-183-0-1, (consulté le 20/04/2017). 8 Courriel daté du 23/04/2017. 9 BOURDIEU, P., et PASSERON, J.-C., Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 13. 10 Ibidem, p. 14. 11 Ibidem, p. 14. 7 7 classique le pousse aussi à se rendre régulièrement à l’Opéra, où il accompagne ses cousines. Si l’on s’en réfère une fois de plus aux recherches de Bourdieu, cette fois parues dans son ouvrage La Distinction12, cette inclination peut être envisagée comme une stratégie d’intégration sociale. Le sociologue défend en effet l’idée d’un lien fonctionnel entre classes supérieures et goût des arts savants. Autrement dit, si l’on parle en termes de genres musicaux, l’intérêt des classes sociales dominantes se porte davantage vers la musique classique, l’opéra et la musique contemporaine. Or, toujours selon le chercheur, on remarque une imitation des élites de la part des autres groupes sociaux, afin de favoriser leur intégration culturelle et, plus largement, sociale. Cependant, comme le fait justement remarquer Philippe Coulangeon, les frontières sociales d’un individu ne sont pas tant visibles dans l’objet de ses fréquentations culturelles que dans le rapport et l’appréhension qu’il développe autour de cet objet13. Dans le cas présent, la fréquentation de l’opéra est complétée par des aides fréquentes portées au rayon « musique classique » du disquaire « Etincel ». Ces éléments semblent donc bien significatifs d’un sentiment d’aisance et de familiarité avec l’objet musical. Située passage Lemonnier, non loin de l’Université, la boutique est fréquentée par de nombreux Liégeois, ce qui permet également à ce jeune étudiant d’étendre encore son réseau social. Bref état des lieux du champ culturel et universitaire liégeois En intégrant l’Université de Liège en 1961, Mathieu Falla entame son quotidien estudiantin dans la période dite des « trente glorieuses », période économiquement faste, qui s’étend de l’immédiat après-guerre au milieu des années 1970. La ville de Liège connaît à cette époque des reconfigurations urbanistiques importantes. L’historien Jean Lejeune, alors échevin des travaux publics, met en place un vaste projet d’aménagement du « grand Liège » en rasant des quartiers entiers pour y construire de nouveaux bâtiments jugés plus modernes et plus salubres. C’est dans cet élan de renouvellement que débutent, en 1960 les travaux relatifs à la construction de la maison de la culture des Chiroux. L’infrastructure 12 BOURDIEU, P., La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1979, p. 33. 13 COULANGEON, P., Sociologie des Pratiques culturelles, Paris, La Découverte, coll. « Repère », 2005, p. 10. 8 comprend une salle de spectacle et d’exposition au sous-sol et une bibliothèque située aux étages14. La même année, la faculté de Philosophie et Lettres connaît elle aussi des transformations organisationnelles et architecturales en prenant place dans les nouveaux bâtiments de la place Cockerill15. Ces infrastructures permettent, entre autres, la création d’une bibliothèque propre à la section de Romanes. L’ensemble des ouvrages disséminés dans les différentes salles de cours font ainsi l’objet d’un véritable classement, mis en place par l’assistant Jean Renson. La section se voit également attribuer une secrétaire attitrée16. Ces démarches architecturales sont représentatives d’une époque où règne encore l’illusion de prospérité économique. Celle-ci est due à deux facteurs majeurs, économiques d’une part, politiques et sociologiques de l’autre. Concernant l’économie, les appareils de production belges, relativement peu touchés par la seconde guerre mondiale, constituent une ressource essentielle dans une Europe en pleine reconstruction. De plus, l’accessibilité au port d’Anvers et la disponibilité de main d’œuvre font du pays un lieu d’investissement enviable pour les pays étrangers. D’un point de vue politique et social, les actions syndicales des années d’après-guerre trouvent un répondant dans la politique socialiste, qui forme la majorité au Parlement. Cette alliance aboutit à des avancées sociales considérables comme l’augmentation des salaires et la réduction du temps de travail des travailleurs moyens, ce qui leur permet l’accès aux loisirs et à l’éducation17. C’est également à cette époque que s’accélère la politique de démocratisation culturelle. Celle-ci répond à une double fonction : culturelle (volonté d’augmentation des connaissances) et sociale (idée selon laquelle la culture apporterait une stabilité sociale en repoussant les embrigadements politiques)18. C’est dans ce contexte socio-économique que Mathieu Falla fait son entrée à l’Université. En matière d’enseignement, la modification des programmes dont la section CHARLIER, S. (Dir.), Liège : Guide d’Architecture moderne et contemporaine 1895-2014, Bruxelles, Mardaga, 2014, p. 70. 15 DUBUISSON, M. (Dir.), « Le Problème des Bâtiments de l’Université de Liège au seuil de l’année 1960 », In Association des Amis de l’Université de Liège. Bulletin Trimestriel, 32e année, vol.2, 1960, p. 7. 16 TYSSEN, M., TILKIN, Fr. et DELBOUILLE, P., Les Romanistes liégeois. Deux chroniques pour un centenaire, Liège, Université de Liège, 1990, pp. 61-62. 17 CASSIERS, I., et DENAYER, L., Concertation sociale et transformations socio-économiques en Belgique, de 1944 à nos jours, Louvain-la-Neuve, Institut de recherches économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain (Discussion paper, 42), 2009, pp. 5-6. 18 SCIEUR, P., VANNESTE, D., et LOWIES, J.-G. (coord.), « La Médiation artistique et culturelle : cadrage théorique et approche sociologique », In Repère. Politiques culturelles, n°6, Les Publics de la Culture, n°6, mars 2015, p. 9. 14 9 fera l’objet au début des années 1970 n’est pas encore d’application. Si la prospérité budgétaire du début des années 1960 a en effet permis des réformes notables dans le domaine architectural et organisationnel, les méthodes d’enseignement n’ont quant à elles pas encore connu les grands bouleversements apportés par les « révolutions » de mai 1968. Les programmes comptent majoritairement des cours généraux et les cours d’histoire et de philosophie ne sont pas encore répartis en plusieurs options. Les filières possibles au sein de la section sont donc très limitées19. Parmi les piliers des cours généraux dispensés dans le département de Langues et Littératures Romanes, on relève par exemple celui dédié à l’Histoire de la Littérature française du Moyen Âge. Le crédit accordé à cette matière trouve ses sources aux fondements même de la section de Philologie Romane de l’Université de Liège. C’est en effet au chercheur Maurice Wilmotte que revient l’attribution, en 1890, des cours d’Histoire approfondie des Littératures romanes ; Grammaire comparée des langues romanes ; Explication approfondies d’auteurs français ; Latin vulgaire et Exercices philologiques sur les langues romanes qui inaugurèrent la section20. Celle-ci est donc traditionnellement attachée à la spécialisation médiéviste. Premières instances d’émergence : revues et corps enseignant Nous avons jusqu’ici abordé deux « instances extra-littéraires » — au sens où l’entend Jacques Dubois21— que représentent la sphère familiale et l’école secondaire. En ce qui concerne le cercle familial, il s’avère que son rôle est primordial dans la construction de l’habitus et la formation du capital social de l’individu. Or, dans le cas présent, nous savons que l’entourage familial de Falla a marqué une volonté claire d’ascension sociale et a manifesté un intérêt pour le domaine artistique, du moment que celui-ci n’empiète pas sur la scolarité de leur fils. L’entrée de Mathieu Falla à l’Université de Liège coïncide en outre avec ses premières productions littéraires et artistiques. Ces deux trajectoires (scolaire et artistique) sont, dans un premier temps, intimement liées. D’une part, les thèmes et références qu’il insère dans ses textes prennent largement sources dans les différentes matières enseignées à l’époque et particulièrement en littératures médiévales ; d’autre part, le lien que l’étudiant 19 TYSSEN, M., TILKIN, Fr. et DELBOUILLE, P., Op. Cit. p. 59. Ibidem, p. 59. 21 DUBOIS, J., L’institution de la Littérature, Paris, Labor, 2005, pp. 82-83. 20 10 établit avec ses différents professeurs joue un rôle important dans son émergence littéraire et artistique. Parmi les romanistes qui influencent l’écriture de Mathieu Falla, citons en premier lieu Rita Lejeune. Médiéviste de renommée, elle dispense alors le cours de Littératures médiévales. Or, l’imaginaire et les thématiques médiévales sont clairement visibles dès les premiers écrits de l’étudiant avec des pièces comme Mélusine ou Médée22, respectivement présentées en 1964 et 1966 au Théâtre Universitaire. Professeur d’esthétique mais aussi auteur et poète, Arsène Soreil va également jouer un rôle important dans l’initiation de Mathieu Falla aux pratiques littéraires et, de manière générale, faire preuve d’un important investissement au sein de la faculté de Philosophie et Lettres. Après une longue carrière de professeur de français à l’École Normale de Stavelot assumée en parallèle avec sa charge de cours d’Esthétique à l’Université de Liège, Arsène Soreil se voit confier une charge complète dans le département de Romanes suite au départ à la retraite du professeur Fernand Desonay. Il est déjà bien connu des étudiants pour sa participation active à la création du cercle interfacultaire de littérature en 1955, initiative qui relève d’une volonté d’associer cercle étudiant et cercle littéraire23. Les agents qui le composent sont donc théoriquement tous étudiants universitaires et engagés dans un cursus de la faculté de philosophie et Lettres, ce qui génère une certaine homogénéité des membres du groupe. Le sociologue Maurice Aghulon, dont les recherches portent principalement sur les associations constituées, s’est particulièrement intéressé à la forme de sociabilité du cercle, qu’il définit comme « une association d’hommes organisés pour pratiquer une activité désintéressée (non lucrative) ou même pour vivre en commun la non activité ou loisir »24. Bien que cette définition soit établie dans le cadre d’une étude sur les cercles littéraires français dans la première moitié du XIXe siècle, sa dimension très générale nous permet néanmoins de l’appliquer au cas présent. Nous sommes bien ici face à une association regroupée pour discuter, écrire ou lire des textes littéraires ou simplement pour assister à des représentations théâtrales ou cinématographiques. Ces activités sont bien désintéressées, dans le sens où elles n’entraînent pas de rémunération. On peut cependant Héroïne grecque, la protagoniste est aussi l’un des personnages centraux du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. 23 TYSSEN, M., TILKIN, Fr. et DELBOUILLE, P., Op. Cit. p. 65. 24 AGHULON, M., Le Cercle dans le France bourgeoise, Paris, Armand Colin, 1977, p. 17. 22 11 se demander dans quelle mesure l’adhésion à ce cercle pouvait avoir un impact sur le développement du cursus scolaire des étudiants (liens privilégiés avec les professeurs, façon de se distinguer…). Le cercle représente en outre une segmentation des réseaux dans lesquels Falla évolue. Nous appliquerons ici les traits définitoires des réseaux de sociabilité énumérés par Gisèle Sapiro dans son court ouvrage Sociologie de la littérature25, afin d’envisager la formation et les enjeux du Cercle Interfaculatire de Littérature. Tout d’abord le cercle est intrinsèquement lié à l’institution universitaire. Dirigé par l’un de ses professeurs, il doit également être approuvé par son recteur. Tous les membres qui le composent s’insèrent de la même façon dans le champ universitaire. Son degré d’autonomie est donc partiellement restreint. Pour ce qui est de la taille de ce réseau, elle est très variable et peut amplifier ou non en fonction du nombre d’étudiants qui décident de s’y impliquer. Celle-ci relève en outre uniquement de leur propre décision, aucune condition d’entrée (fondée par exemple sur les résultats scolaires) n’est requise. Le recensement des informations relatives au cercle sont facilitées par son émanation écrite : La revue Écritures, fondée en 1956 par Arsène Soreil et quelques étudiants. Le périodique va permettre aux jeunes membres du Cercle Interfacultaire de diffuser chaque fin d’année leurs textes, de natures très variées : poésies, nouvelles, articles, critiques de livres ou de films, etc. Le nombre de publications parues dans cette revue laisse entendre un réel engouement chez les étudiants pour cette initiative. De plus, au vu des différentes interventions, la revue semble être lue tant par les étudiants que par le corps professoral. En ce qui concerne sa présentation formelle, tous les numéros de la décennie 1957-1967 se présentent de la même façon : un avant-propos du conseiller (Arsène Soreil) suivi directement de la distribution des prix du C.I.L, la plus large partie étant consacrée aux écrits des étudiants. Le « rapport du secrétaire » résume les activités du cercle en une page et une liste des membres clôture chaque numéro avec la table des matières. Il est également stipulé que les « cahiers d’Écritures peuvent être demandés à l’adresse du Conseiller […] moyennant vingt francs le fascicule »). C’est à travers ce périodique que seront diffusées les quatre premières pièces écrites par Mathieu Falla : Le Combat de Thanatos, Adieu Amanda, Les Solliciteurs et L’intrus. 25 SAPIRO, G., La Sociologie de la Littérature, Paris, La Découverte, coll. « Repères. Sociologie », 2014, pp. 52-55. 12 Le comité organisateur met également en place un concours annuel visant à récompenser les productions littéraires d’étudiants méritants. Se forme à cette occasion un jury regroupant plusieurs professeurs de l’Université de Liège ainsi que des intervenants extérieurs. On observe donc une volonté de hiérarchisation des agents, ainsi qu’une relative prise de distance par rapport à l’institution. Ce concours constitue une véritable instance d’émergence pour Mathieu Falla, primé trois années consécutives. L’année académique 1962-1963 il reçoit le premier prix de prose dramatique pour sa pièce Le Combat de Thanatos. Le jury tient également à le distinguer pour sa nouvelle Mort de l’oiseau, parue la même année dans La Guimbarde, la revue du Cercle des Étudiants Romanistes26. En 1964, cette même nouvelle remporte le deuxième prix de prose, ex aequo avec son condisciple Christian Monfils. Le choix de ne pas délivrer de première place est assez révélateur d’un système méritocratique, qui tend à maintenir l’humilité des étudiants. Comme l’explique Arsène Soreil : « Que cette marque d’exigence renforcée fasse l’effet d’un stimulant, sans plus. Le Prix C.I.L. n’en sera que plus coté et plus recherché- à son rang, cela va sans dire […] »27. Pour le prix de la dixième année du cercle, en 1965, « le jury a voulu récompenser exceptionnellement, l’apport en vérité hors pair, de Mathieu Falla, non seulement dramaturge mais, à l’occasion, conteur et poète […] »28. L’étudiant est alors en dernière année de licence. Force est donc de constater que sa production littéraire reste jusque-là assez variée ; même si son intérêt principal semble davantage porté sur les textes dramatiques, il s’exerce également dans d’autres genres comme la poésie ou la nouvelle. Il est également intéressant de noter que le C.I.L ne décerne plus de palmarès à partir de l’année 1966 car, selon l’avis du conseiller, « les fournisseurs possibles de textes valables [sont] des étudiants d’ores et déjà primés »29. Ce point de vue peut être perçu comme un élément symptomatique d’un écart générationnel qui se creuse entre le corps professoral et les étudiants, à l’aube des contestations estudiantines de mai 1968. Parallèlement à la revue Écritures, codirigée par un professeur, les étudiants romanistes mettent également sur pied une revue intitulée La Guimbarde. Des concours sont aussi organisés, à l’occasion desquels les étudiants ont la possibilité de faire corriger leurs textes par le même Arsène Soreil. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agit pas ici d’une reproduction des concours organisés par le C.I.L. ; l’organisation y est en effet 26 CERCLE INTERFACULTAIRE DE LITTÉRATURE (CIL), Écritures, Liège, 1963, p.28. CIL, Op.Cit., 1964, p. 6. 28 CIL, Op. Cit., 1965 p. 7. 29 CIL, Op. Cit., Liège, 1966 p. 5. 27 13 beaucoup moins rigide et l’on perçoit plutôt une prise de distance de la part des étudiants qui mènent leur revue sans grande prétention. À titre d’exemple, Falla remportera le concours du cercle de l’année 1962, qui proposait de composer une chanson autour du thème « je n’en veux plus », laissant libre le choix du sujet précis, le mode ainsi que l’éventuelle mise en musique30. Ainsi, en permettant et en stimulant la circulation des productions de Mathieu Falla non seulement parmi les étudiants mais aussi dans le corps professoral, les revues du cercle vont s’avérer être un moyen de diffusion efficace au sein de l’Université. De plus, les différents concours qui en émanent vont générer une valorisation de ses premiers textes littéraires. Par ailleurs, l’attestation de la qualité artistique de ses écrits, tant par les professeurs que par les étudiants, suggère chez ce jeune auteur une certaine capacité d’adaptation en fonction des horizons d’attente de son lectorat potentiel. Pour ces différentes raisons, nous pouvons considérer les deux revues des cercles romaniste et interfacultaire de littérature comme des instances d’émergence dans la trajectoire littéraire de Mathieu Falla. Le Théâtre Universitaire de Liège comme forme de sociabilité La rédaction de textes pour le cercle interfacultaire et la fréquentation du cercle des romanistes ne sont pas les seules activités de Falla liées à l’Université. Dès son inscription dans la faculté, il intègre la chorale universitaire. Étant donné l’enthousiasme que génère chez lui la musique classique, cette initiative n’est pas étonnante. Elle illustre également un désir d’intégration et une démarche d’enrichissement culturel. Son investissement au sein du C.I.L le mène également au Théâtre Universitaire, sous les conseils de son professeur Arsène Soreil, qui reconnaît la qualité des créations de son étudiant. La rédaction de pièces de théâtre précède donc bien ici la pratique théâtrale elle-même. Certaines rubriques de la revue La Guimbarde témoignent également de sa fréquentation assidue du Théâtre de l’Étuve31. Improvisée dans un ancien entrepôt de maraicher par quatre étudiants de l’ULg en 1951, l’enjeu de leur initiative est alors de monter des pièces d’avant-garde, en alternative au théâtre dominant. À l’époque où Falla fréquente ce théâtre, ce dernier se présente déjà comme une institution dans la vie culturelle liégeoise en proposant des 30 31 CERCLE DES ÉTUDIANTS ROMANISTES, La Guimbarde, vol. 1, 1962, p. 12. CERCLE DES ÉTUDIANTS ROMANISTES, Op. Cit., vol. 1, 1963, p.16. 14 spectacles mais aussi des expositions et des lectures publiques32. Lors de son entrée au Théâtre Universitaire, Mathieu Falla a donc déjà une vision relativement large du domaine théâtral, en tant qu’auteur, spectateur et, de par sa formation en philologie romane, analyste. Sans développer plus avant le fonctionnement du Théâtre Universitaire liégeois, sur lequel nous reviendrons au chapitre suivant, nous pouvons cependant en dresser un rapide portrait, focalisé sur la période durant laquelle Falla y joue une part active. Lors de son entrée à l’Université en 1961, le théâtre est alors dirigé par François Duyckaertz, philosophe et psychologue de formation et dont le théâtre n’est pas la spécialité. Afin de combler ses lacunes, il fait appel à un metteur en scène exerçant habituellement au Théâtre de l’Étuve33, ce qui donne ainsi lieu à un cas d’entremêlement entre théâtre universitaire et théâtre professionnel. Selon Robert Germay, directeur du TULg entre 1983 et 2007, la direction de François Duyckaertz constitue une parenthèse dans l’histoire du Théâtre Universitaire. Ces choix ne plaisent d’ailleurs pas à différents membres comme par exemple François Duysinx (qui en assurera ensuite la direction) et Jeanne Wathelet. Pourtant tous deux membres fondateurs de la compagnie, ils décident à cette époque de s’en éloigner34. Ils ne sont pas les seuls à prendre leurs distances avec le TULg et certains étudiants adoptent une attitude nettement plus radicale. En réaction à cette dynamique réfractaire aux changements, Roger Dehaybe, Henry Pirotte, Robert Louis, Claude Micheroux et Mathieu Falla vont s’unir pour créer le « Théâtre de la Communauté des Escoliers de la Lune »35. Alors animés par les idéaux de la démocratisation culturelle mise en place en France par la politique d’André Malraux et appliquée par Jean Vilar avec le Théâtre National Populaire, les étudiants entendent créer un théâtre « pour un autre public »36. Ils optent ainsi pour la décentralisation et s’établissent à Seraing, en banlieue industrielle liégeoise. Mathieu Falla participe à la mise en place de cette jeune compagnie en jouant dans ses deux premiers spectacles : Impromptus, une création collective inspirée des Sept Impromptus à loisir de René Obaldia (1961) et Histoire de Vasco, une pièce de 1956 de Georges Schéhadé, mise en scène par Robert Louis37. En faisant le choix de monter des auteurs contemporains et de 32 DELHALLE, N., « Théâtre : Croisements entêtés avec le Politique », In DELHALLE, N. et DUBOIS, J. (Dir.), Le Tournant des années 1970. Liège en effervescence, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2010, p. 142. 33 GERMAY, R., 2011, Op. Cit. 34 Ibidem. 35 DELHALLE, N. et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., p. 146. 36 LESAGE, S., Le Théâtre de la Communauté. Oser être libre, Mons, Le Cerisier, 2014, p. 7. 37 ASPASIA, « Théâtre de la Communauté. Année 1963 », In Aspasia. L’annuaire des spectacle [En ligne], URL : http://www.aml- 15 mettre en place un fonctionnement de créations collectives, les membres fondateurs se placent en opposition à la politique que François Duyckaertz mène au TULg. Cependant, la troupe ne prétend pas se détacher entièrement du théâtre étudiant ; la mise en scène de Robert Louis sera d’ailleurs récompensée au Festival Universitaire de Nancy, créé la même année par Jack Lang.38 Les liens qui unissent alors le Théâtre de la Communauté des Escholiers au Théâtre Universitaire restent donc malgré tout clairement visibles. Par ailleurs, il faut relever le changement de direction du TULg qui a lieu au cours de l’année 1962. Dépassé par ses obligations professionnelles, François Duyckaertz cède sa place à François Duysinx. Ce dernier apporte un souffle plus neuf au répertoire en reprenant des pièces médiévales peu jouées, des pièces plus classiques mais aussi des créations contemporaines. C’est également un fin connaisseur de musique classique : issu d’une famille de musiciens et lui-même violoncelliste39, il apporte son savoir-faire au TULg en incorporant par exemple des parties musicales à certains spectacles comme le Dyscolos de Ménandre, monté dès son entrée en fonction40. C’est à cette époque, plus précisément de 1963 à 1966, que l’on retrouve le plus de mises en scène de textes de Mathieu Falla au Théâtre Universitaire. Celles-ci sont d’ailleurs représentatives de l’éclectisme du répertoire du TULg. Durant ces trois années il présentera une pièce articulée autour de Mélusine, personnage médiéval, deux inspirées de la mythologie gréco-romaine (Médée et Le Combat de Thanatos) et deux courtes pièces à la distribution réduite (Les Solliciteurs et L’Intrus). François Duysinx se montre lui aussi très enthousiaste à l’égard des pièces de Falla, qu’il met d’ailleurs lui-même en scène à deux reprises : Médée, en 1966 et Les Solliciteurs, en 197241. Pour revenir à la création du Théâtre de la Communauté il est intéressant de noter que, si dans un premier temps la compagnie s’est calquée sur les principes de démocratisation théâtrale en montant des spectacles de qualité accessibles au plus grand nombre et en s’établissant dans le banlieue sérésienne, ses objectifs font, assez rapidement, l’objet d’une remise en question. Les différents membres, et en particulier Roger Dehaybe, cfwb.be/aspasia/compagnies/121/Theatre_de_la_Communaute/production/1963#navig, (consulté le 19/09/21016). 38 LESAGE, S. Op. Cit. p. 8. 39 DUYSINX, M., « François Duysinx », In Culture. Le Magazine culturel de l’Université de Liège [En ligne], URL : http://culture.ulg.ac.be/jcms/prod_608406/fr/francois-duysinx, (consulté le 19/09/2016). 40 GERMAY, R., 2011, Op.Cit. 41 Voir Annexe 1. 16 prennent en effet conscience du fait que la seule implantation du théâtre dans un milieu ouvrier ne suffit pas à atteindre l’ouvrier lui-même. Cette réflexion est d’ailleurs tout à fait en accord avec les idéologies portées par les résolutions de mai 1968 donnant lieu à une remise en question totale du champ théâtral et ce à tous les niveaux : de la représentation au processus de mise en scène en passant par le public et le répertoire. L’événement qui caractérise le mieux cette remise en question totale est sans doute la Déclaration de Villeurbanne. Signée le 25 mai 1968 par trente-quatre directeurs de théâtres parisiens au théâtre de l’Odéon, elle marque le début d’une prise de conscience de l’existence d’un non-public, un public qui n’aura jamais accès à la culture élitiste bourgeoise, qui ne fréquentera jamais les salles de spectacles. À partir de ce constat, les différents signataires prennent pour résolution de procéder à un changement radical du secteur culturel42. C’est dans cette optique que l’on commence à rejeter le principe de hiérarchisation des œuvres, symptomatique de l’ascendance des classes dominantes, qui y voient un moyen de véhiculer leurs valeurs. C’est ainsi que la politique de Démocratisation culturelle, qui avait été mise en place par Jean Vilar, laisse place à celle de la Démocratie culturelle, qui s’axe davantage sur la médiation culturelle. Pour que l’ensemble du peuple s’approprie ce qui est défini comme « la culture », il doit pouvoir la comprendre mais aussi s’y sentir intégré et donc participer à son processus. En partant de cette démarche, le Théâtre de la Communauté s’impose comme un précurseur du Théâtre-Action en Belgique43. La collaboration de Mathieu Falla avec la compagnie est de courte durée, au point qu’actuellement aucun document la concernant ne mentionne plus son nom. Son intérêt à l’époque semble en effet entièrement tourné vers le Théâtre Universitaire et son directeur François Duysinx. Une brève anthologie regroupant quatre pièces de Falla est publiée en 1966 à l’initiative du cercle des étudiants romanistes de l’ULg. Elle est précédée d’un avant-propos rédigé par une amie de l’auteur, qui n’est autre que Michèle Gérard (future épouse de Jean-Marie Piemme, condisciple et, selon Vivienne Martin, ami de Mathieu Falla), qui deviendra ensuite Michèle Fabien, auteur lue et reconnue. Celle-ci commente ainsi les pièces de son ami : « Mathieu Falla mérite d’être connu du grand public cultivé, 42 BRADBY, D., Le Théâtre en France de 1968 à 2000, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 125. DELHALLE, N., « Théâtre : Croisements entêtés avec le politique », In DELHALLE, N. et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., p. 148. 43 17 en Belgique et ailleurs »44. Outre la reconnaissance littéraire et sociale que cette remarque constitue, elle nous apporte également des informations quant à la position de Falla dans le champ théâtral. Il paraît avant tout s’adresser au public du Théâtre Universitaire, autrement dit à un public cultivé et relativement restreint. Cette tendance est donc bien aux antipodes de la démarche défendue par le Théâtre de la Communauté. Selon les termes empruntés à Adrien Thibault45, notons qu’à côté de ces relations de type « horizontal »46, la trajectoire du dramaturge au sein du champ universitaire lui a également permis de développer un réseau « par accointances »47, caractérisé par des relations de nature verticale. Comme nous l’avons vu plus haut, sa production littéraire avait été largement soutenue par son professeur Arsène Soreil ainsi que par le directeur du TULg François Duysinx, qui ont tous deux pu lui apporter un soutien symbolique. La consultation des revues Écritures et La Guimbarde permet par ailleurs d’éclairer la posture adoptée Falla au sein de la faculté. Afin d’aborder cette notion de « posture » d’un point de vue sociologique, nous reprendrons les différents aspects de la définition développés par les sociologues Alain Viala et Jérôme Meizoz48. Si le terme est initialement lié à une disposition corporelle, on le rattachera rapidement à la circonstance entraînant cette disposition. Elle est donc liée à des situations sociales particulières et se traduit de façon gestuelle et discursive. Au sein de la sociologie des arts et des lettres, ce concept permet d’analyser la façon dont se présente un auteur, personnage public. Dans les textes de Falla circulant dans le champ universitaire liégeois par le biais de la revue du cercle interfacultaire, il paraît légitime d’interroger la façon dont il se présente aux autres étudiants et à ses professeurs, ses interlocuteurs effectifs. Toujours selon Alain Viala, l’analyse de la posture d’un auteur nécessite la prise en considération de l’ensemble de ses énoncés, qu’il s’agisse d’interviews, de préfaces, de notes ou d’œuvres littéraires. Ainsi récoltés, ces différents énoncés permettent d’établir la socialité de l’auteur et de ses discours. Enfin, il convient d’intégrer l’analyse de la posture à celle plus englobante de la trajectoire de l’auteur, autrement dit des différentes positions 44 Op. Cit., p. 1. THIBAULT, A., « Être ou ne pas Être. La genèse de la Consécration théâtrale ou la constitution primitive du talent », In Sociologie et Société, Vol. 47, n°2, Automne 2015. Trajectoires de Consécration et Transformations des champs artistiques, pp. 87-111. 46 Ibidem, p. 101. 47 Ibidem, p. 101. 48 VIALA, A., « Posture », In GLINOER, A. et SAINT-AMAND, D., (Dir.), Le lexique socius, URL : http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/69-posture, (consulté le 29/02/2017). 45 18 successivement occupées au sein d’un champ défini. Sachant qu’une posture est sujette à changement, nous prenons le parti de nous focaliser un instant sur ce moment précis de la trajectoire de Mathieu Falla. Il est alors parfaitement intégré par les différents agents du champ universitaire (étudiants comme enseignants), qui reconnaissent également des qualités particulières à ses productions littéraires et artistiques. Par ailleurs, une rubrique appelée « Graminés », que l’on retrouve à chaque fin de numéro de la revue La Guimbarde et qui revient sur des anecdotes de la vie estudiantine, laisse entrevoir la composition du « personnage » de Falla ; volontairement désinvolte, à l’humour grinçant, légèrement hautain mais empreint d’une certaine auto-dérision. En voici un exemple, intitulé « Au Bar » : « Au bar de l’Université, lieu de prédilection des romanistes, notre Mathieu fait pilier à longueur de jour, conversant, ou plutôt soliloquant, à son ordinaire. Croyant l’embarrasser, et le faire taire du coup, une de ses victimes lui demande : Sais-tu comment s’appelle l’œuvre d’Abélard ? Silence, suspense, puis, ignorant et sublime : Le Paradis perdu, fait Mathieu »49 I.2. Un début de carrière dans l’enseignement secondaire Mathieu Falla clôture ses études de Langues et Littératures Françaises et Romanes avec un mémoire consacré à l’étude historique et dramaturgique du recueil de Évariste Gherardi50. Cet auteur italien de la fin du XVIIe avait fait paraître un recueil reprenant l’ensemble des pièces françaises jouées par la troupe des comédiens du roi51. Nous voyons ici clairement l’ancrage de ce travail dans la tradition théâtrale classique. L’étudiant va y mobiliser plusieurs types de compétences acquises au cours de son cursus universitaire : littéraires, historiques et théâtrales. À l’obtention de son diplôme en 1966, il enseigne la littérature à l’Athénée de Couvin puis très rapidement à celui de Seraing. Ce débouché professionnel est tout à fait 49 La Guimbarde, vol. 2, 1963, p. 16. ULg Library, « Le recueil d'Evariste Gherardi : Étude historique et dramaturgique. Falla, Mathieu », In ULg Library. Moteur de recherche des Bibliothèques de l’Université de Liège [En ligne], URL : http://primo.lib.ulg.ac.be/primo_library/libweb/action/search.do?vid=32ULG_VU1&fn=search&ct=search, (consulté le 19/08/2016). 51 KIRKNESS, J., Le français du théâtre italien d’après l’œuvre de Gherardi (1981-1697), Genève, Librairie Droz, 1971, p. 15. 50 19 attendu ; le cursus de romaniste étant souvent envisagé comme une voie d’accès à l’enseignement que ce soit par les parents de Mathieu Falla, qui voulaient lui assurer un avenir stable, que dans les mentalités en général. Enfin, la carrière d’enseignant est extrêmement répandue dans le secteur littéraire, les horaires permettant aux auteurs de se ménager du temps pour s’adonner à l’écriture. Le rythme de création de l’auteur ne diminuera d’ailleurs pas après sa sortie de l’Université. Il reste professeur à l’Athénée jusqu’en 1978. Ses années d’enseignement à Seraing correspondent en outre à une période d’effervescence culturelle dans le bassin sidérurgique liégeois. Le Théâtre de la Communauté que nous avons déjà évoqué est accueilli au foyer culturel de Seraing et développe de plus en plus les pratiques du théâtre-action.52. En 1975 dix ans après son expansion, certains membres de l’équipe artistique de la troupe décident de créer un nouveau projet, cette fois avec les enfants et adolescents des quartiers sérésiens. C’est ainsi que naissent les Ateliers de la Colline, du nom de la rue où ce nouveau théâtre s’implante dans une ancienne épicerie53. Ce jeune professeur met lui aussi en place des ateliers de théâtre avec ses élèves. Un autre ressortissant du Théâtre Universitaire de Liège, Albert Dardenne, prend d’ailleurs la même initiative au collège Saint Louis à la fin des années 1970. Il approfondit quant à lui cette voie, en publiant des manuels d’Art dramatique à destination des élèves de l’enseignement secondaire supérieur54. On peut se demander s’il s’agit ici d’une volonté de transmission du même type que celle dont les deux professeurs avaient eux-mêmes bénéficié au Théâtre Universitaire durant leurs années d’études. Le TULg étant pris en charge par un professeur de la faculté, peut-on clairement l’envisager comme l’équivalent de la troupe d’élèves formée par Mathieu Falla ? Nous savons par exemple qu’il entreprend de monter La Guerre de Troie n’aura pas lieu, pièce de Jean Giraudoux déjà présentée au TULg par Jean Hubaux. Outre cette pièce, un ancien élève se souvient avoir présenté également L'équarrissage pour tous de Boris Vian en 1974 et La grande muraille de Max Frisch en 1976. 52 DELHALLE, N., « Théâtre : Croisements entêtés avec le Politique », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., p. 148. 53 LES ATELIERS DE LA COLLINE, « La Compagnie », In Site des Ateliers de la Colline [En ligne], URL : http://www.actc.be/index.php?option=com_content&view=article&id=71&Itemid=482, (consulté le 12/3/2017). 54 DARDENNE, A., Signé Joseph Ernst, Liège, Éditions Dricot, 1994, 4e de couverture. 20 Malgré cette marque d’investissement au sein de son école, son intérêt se porte particulièrement sur la création de nouvelles pièces. Ce poste peut dès lors apparaître comme une activité professionnelle secondaire, lui laissant du temps libre pour une activité créatrice majeure. On constate en effet que, même s’il n’est plus étudiant, Mathieu Falla reste attaché au Théâtre Universitaire, où il continue de faire des mises en scènes. Il est également actif en tant que comédien dans différents théâtres liégeois comme le Théâtre de l’Étuve ou le Centre Dramatique de Liège, créé au début des années 1960 à l’initiative de Jean Mottard, fervent défenseur de la culture wallonne et membre fondateur du théâtre de l’Étuve. L’objectif de ce Centre est alors d’être reconnu comme un « service d’utilité publique, au service de la culture française en Wallonie »55. Sa démarche s’inscrit dans une volonté de décentralisation de lieux culturels fixes dans différents lieux de la région. C’est d’ailleurs dans cette perspective que sera créé en 1965 le festival « Vacances Théâtre Stavelot », qui aura lieu chaque année durant le mois de juillet et reste toujours actif à l’heure actuelle. Parallèlement le Théâtre de l’Étuve et ses émanations resteront fidèles à la défense du texte de théâtre56. Cette caractéristique s’applique d’ailleurs à la conception de la production de Mathieu Falla qui, comme nous le verrons, reste très attaché à la qualité littéraire de ses textes et à leur place centrale dans la représentation théâtrale. Vers 1978, Mathieu Falla plonge dans une grave dépression, qui accentue son manque de régularité dans le travail. De plus, sa façon de donner cours aurait été jugée par certains parents trop peu conventionnelle. Ces facteurs auraient provoqué son renvoi définitif de l’Athénée. Ce renvoi est vécu comme un nouvel échec, cumulé à un sentiment de manque de reconnaissance pour son travail artistique57. 55 DELFORGE, P., « Mottard, Jean », In Institut Destrée [En ligne], URL : http://www.wallonie-enligne.net/Encyclopedie/Biographies/Mottard_Jean.htm, (consulté le 23/03/2017). 56 DELHALLE, N. « Théâtre : Croisements entêtés avec le Politique », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., p. 143. 57 Propos d’Aline Koolen, recueillis en date du 08/10/2016. 21 I.3. Un tournant décisif ? Malgré l’accentuation de sa dépression, l’année 1978 est particulièrement mouvementée pour Mathieu Falla, riche en rencontres et en nouveaux projets portés et articulés par différentes instances de reconnaissance. Après son renvoi de l’Athénée de l’Air Pur, Mathieu Falla peut progressivement revenir à l'enseignement en obtenant quelques heures de cours d'Histoire de la Littérature et de la Musique à l'Institut de Bibliothéconomie de la Province de Liège. Son ami Jacques De Caluwé, romaniste de la même promotion, y est alors professeur, et appuie son engagement. Par la suite, Falla passe les examens de bibliothécaire pour pouvoir enseigner des matières plus spécifiques, comme la catalographie. Ici encore, l’activité professionnelle de Falla lui laisse du temps pour continuer et approfondir son activité artistique. Tendance centripète, attirance pour le centre parisien Au cours de l’année 1970, Mathieu Falla rencontre le comédien et metteur en scène français François Marié à l’occasion du montage de son adaptation du Sappho de Lawrence Durrel au Centre Dramatique de Liège, alors situé au palais des Congrès. Le spectacle est repris au festival « Vacances-Théâtre Stavelot » au mois de juillet de l’année 1971 et présenté comme une « création mondiale en langue française »58 dans l’hebdomadaire syndical Combat. Quelques années plus tard, François Marié et sa compagne soumettent des textes de Mathieu Falla à Francis Sourbié, avec lequel ils préparent un spectacle au Centre Culturel de Compiègne. Metteur en scène et scénographe de formation, Sourbié est alors aussi directeur artistique de la compagnie parisienne « La Fine équipe » depuis 197159. Il se montre très intéressé par les propositions de textes, rencontre ensuite Falla et lui commande, comme un défi, une pièce d'une heure, pas chère, pour trois comédien(ne)s. Une semaine plus tard la pièce Anticosi est écrite. Elle sera créée à Liège en 1978 et montée en juillet de la même année au festival off d’Avignon où la troupe est invitée à jouer dans 58 Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB), « Du 10 au 24 juillet, attrayantes vacances-théâtre avec le Centre dramatique de Liège », In Combat, n°26, 1er juillet 1971, p. 11. 59 Bibliothèque nationale de France (BnF), « Francis Sourbié », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14654435/francis_sourbie/#rdt50014654435, (consulté le 30/09/2016). 22 le salon d’un baron avignonnais60. C’est le début d’une longue collaboration, qui durera jusqu’à la mort de Falla vingt ans plus tard61. Revenons un instant sur les critères de rédaction imposés par le metteur en scène à Mathieu Falla. Tout d’abord la demande de Francis Sourbié semble marquer une relation de subordination de l’auteur par rapport au metteur en scène. Si cette hiérarchie est alors courante dans les créations théâtrales, le fait de mentionner le nombre de comédiens nécessaires à la réalisation de la pièce témoigne du retrait de Sourbié par rapport aux nouvelles conceptions artistiques de l’époque. En effet, en refusant la suprématie du texte, les défenseurs des idéaux de mai 1968 ont également développé une démarche de création collective dans laquelle les comédiens participent au processus de création au lieu de devoir s’adapter à un texte défini et à une répartition claire des personnages. Par ailleurs, les critères temporels et financiers sont révélateurs d’un type de théâtre professionnel limité dans ses dépenses. Nous développerons le lien fonctionnel entre restrictions budgétaires, durée de la pièce et nombre de comédiens dans le chapitre III, consacré aux échanges entre réseaux amateur et professionnel. Maintien et développement d’un réseau de sociabilité Ces années passées à l’Université n’ont pas seulement permis à Falla l’acquisition d’un diplôme professionnel mais aussi la constitution d’un capital relationnel qu’il pourra ensuite faire fructifier. Ses relations d’amitié avec les étudiants romanistes Jacques De Caluwé et Michèle Gérard avaient déjà permis, en 1964, l’édition de quatre pièces dans un petit livret. Quinze ans plus tard, c’est le même lien qui lui permettra une relance professionnelle. Il s’agit donc d’échanges de types matériel et symbolique62. Sa fréquentation assidue du TULg et du théâtre de l’Étuve (aussi bien comme spectateur que comme comédien), l’a également mené à élargir son réseau social en rencontrant des metteurs en scène français qui vont l’introduire dans un autre réseau, étranger et professionnel. BEGOU, G., « Samedi et demi », In Antenne 2, émission diffusée le 28 juillet 1979 [En ligne] In l’Institut National d’Audiovisuel, URL : http://www.ina.fr/video/CAB7901167901, (consulté le 28/11/2016). 61 Courriel de Vivienne Martin daté du 23/04/2017. 62 LACROIX, M., « Réseau social », In GLINOER, A., et SAINT-AMAND, D. (Dir.), Le lexique socius [En ligne], URL : http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/52-reseau-social, (consulté le 24/05/ 2017). 60 23 Cette rencontre avec Francis Sourbié va en outre accélérer l’émergence de Falla au sein du champ théâtral liégeois. Elle semble permettre la constitution d’un réseau par accointances, tel que nous l’avions déjà observé dans les relations sociales que Falla entretenait avec ses professeurs universitaires. Dans ce cas-ci, la nature verticale de la relation ne s’explique pas par une différence hiérarchique des agents au sein de l’institution mais par une différence de champ. Jusqu’à présent, Falla s’était inscrit dans le champ théâtral universitaire et amateur. Or, Francis Sourbié est lui metteur en scène professionnel. Si les différentes études menées aujourd’hui sur les activités artistiques en amateur tentent d’abolir ce dualisme trop souvent évoqué entre « amateur » et « professionnel »63, ce dernier est encore très souvent estimé comme « supérieur ». Il convient également de souligner les origines françaises du metteur en scène. La France se constitue, encore à l’heure actuelle, comme centre du champ littéraire de par son prestige, la masse de son lectorat, la concentration des instances de reconnaissance et sa capacité organisationnelle. Ainsi, c’est du centre que proviennent les diverses innovations, qui se répandent dans un second temps vers la périphérie, toujours prise dans une sorte de contretemps. À partir de ce constat, les littératures périphériques peuvent faire le choix entre une stratégie dite « d’assimilation » ou, au contraire, de « singularité ». Il ne s’agit bien entendu pas d’un choix exclusif, les agents pouvant décider d’adapter leur démarche64. Comme nous allons le voir, l’élaboration de la compagnie de théâtre amateur La Cornue est représentative de cet entremêlement de réseaux de sociabilités constitués au cours de la trajectoire de Mathieu Falla. Il s’agit d’un projet commun, monté, entre autres, avec sa femme Vivienne Martin, elle aussi romaniste. En 1979, ils décident de collaborer une nouvelle fois avec le TULg pour monter La Rose et le Chardon, un texte que Falla avait écrit quelques années auparavant mais encore jamais mis en scène. Pour ce faire, ils décident de faire appel à d’anciens élèves de l’Athénée de Seraing qui participaient à l’atelier de théâtre, ainsi qu’à d’anciennes élèves de l’école technique « Avroy », spécialisée en coupe-couture et en arts plastiques et où Vivienne Martin avait donné cours. S’ajoutent encore d’autres membres du Théâtre Universitaire. Parmi eux, Aline Koolen, elle aussi romaniste, qui témoigne à propos de cette expérience : 63 MERVANT-ROUX, M., M., Du Théâtre amateur. Approche historique et anthropologique, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), coll. » Arts du spectacle », 2004. 64 DENIS, B., et KLINKENBERG, J.-M., La Littérature belge. Précis d’histoire sociale, Bruxelles, Espace Nord, coll. « Références », 2005, p. 36. 24 « Lors de la réalisation de sa pièce La rose et le chardon, Mathieu imposait à ses comédiens une rigueur et un rythme de travail qui n’étaient plus ceux du théâtre amateur. Nous restions dans le projet par empathie pour sa femme, Vivienne, qui faisait tout pour le sortir de son état mais Mathieu était odieux, il n’était jamais satisfait de rien et ne se gênait pas pour nous le dire ! »65 . Ce témoignage relève en outre un changement notable dans la posture de cet auteurmetteur en scène. Alors que ses condisciples le présentaient comme un étudiant avenant bien que moqueur, plusieurs témoignages concernant les années postérieures à sa dépression le présentent comme une personne profondément tourmentée, souffrant d’un manque de reconnaissance pour sa production artistique. Cet aspect peut dès lors être mis en lien avec l’acharnement dont il semble avoir fait preuve comme metteur en scène à l’égard d’une troupe pourtant composée d’amateurs. Une fois la pièce terminée, Vivienne Martin propose aux comédiens l’idée de créer une nouvelle troupe de théâtre amateur. Le projet aboutit peu de temps après. D’abord itinérante, la troupe finit par s’établir rue de Magnée, dans la commune de Fléron 66. Le Théâtre de la Cornue se présente donc à la base comme une forme d’émanation du Théâtre Universitaire, à laquelle s’étaient joints quelques praticiens amateurs. Il convient cependant de revenir sur les agents qui ont constitué les prémisses de ce théâtre. Premièrement, tous avaient déjà une expérience de la pratique théâtrale ; que ce soit au sein du TULg ou des ateliers montés par leurs professeurs de français. Ensuite, parmi les cinq anciennes étudiantes de Vivienne Martin, quatre ont poursuivi leur vocation dans le milieu professionnel : Maggy Jacot, Dominique Brévers, Joëlle Ledent et Claudine Maus. Alors professeur à la haute école de la Province de Liège, auteur dramatique et metteur en scène au Théâtre de la Cornue, Falla doit trouver sa place au sein du champ de l’enseignement en même temps qu’au sein des secteurs amateur et professionnel. Ici encore, d’anciens élèves témoignent de son manque de ponctualité et de rigueur en tant qu’enseignant, plus passionné par sa matière (histoire de la littérature et histoire de la musique) que par la démarche de transmission inhérente à sa position. Il consacre en revanche beaucoup de temps à son activité artistique, puisqu’il collabore alors avec le metteur en scène parisien Francis Sourbié. 65 66 Propos de Aline Koolen recueillis le 08/10/2017. Courriel de Vivienne Martin daté du 23/04/2017. 25 C’est de cette époque que datent les principales informations complètes et accessibles concernant les mises en scènes de textes de Mathieu Falla. L’ensemble des données des mises en scène de Francis Sourbié (dates de représentations, liste de distribution, conception des décors, costumes et créations d’éclairages) sont disponibles sur data, le site de ressources de ligne de la Bibliothèque nationale de France67. En revanche, les autres textes de Mathieu Falla montés en Belgique (que ce soit au Centre culturel des Chiroux ou au Théâtre de la Cornue), demeurent pour la plupart introuvables. Même la pièce Aliénor ou l’Aigle se réjouira, qui avait pourtant reçu le Prix Littéraire Dramatique de la Province de Liège en 1979, n’est disponible qu’en version tapuscrite à la bibliothèque des Dialectes de Wallonie, située au Musée de la vie Wallonne, un bâtiment décentré par rapport à la bibliothèque principale. La pièce n’est pourtant pas rédigée en dialecte mais en français contemporain. Sans doute la coexistence des Prix de Littérature Dramatique Wallonne et de Littérature Dramatique Française aura-t-elle induit en erreur le classement de la pièce. Vivienne Martin, son épouse, affirme pourtant avoir envoyé tous les textes, lettres et archives de son mari deux ans après sa mort à l’association BELA (portail multidisciplinaire des créateurs francophones). Nous n’en trouvons cependant aucune trace sur leur site et notre courriel de demande n’a, à ce jour, trouvé aucune suite. Fait regrettable car une analyse des archives du Théâtre de la Cornue aurait permis d’évaluer son degré d’activité dans le champ théâtral amateur liégeois. Ainsi, par manque de sources, nous avons réduit notre recherche à la consultation d’archives journalistiques, notamment celles du journal Le Soir, particulièrement accessibles grâce à une numérisation récente des articles à partir de l’année 1989. Elles s’avèrent utiles afin d’envisager les activités mises en place par le théâtre de la Cornue et la réception de certains spectacles, voire de certains textes auxquels est lié Mathieu Falla. Cette absence d’archives, ou en tout cas leur inaccessibilité, n’est cependant pas propre à l’œuvre de Falla. Selon l’article de Nancy Delhalle et Laura Van Brabant, l’état de conservation et de disponibilité des archives théâtrales liégeoises durant les années 1970 laisse particulièrement à désirer68. Pourtant, s’il est bien un domaine où la consultation des archives s’avère être un outil essentiel à l’analyse et la compréhension artistique, c’est le 67 BnF, « Mathieu Falla », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14678646/mathieu_falla/#rdt500-14678646, (consulté le 27/05/2016). 68 DELHALLE, N. et VAN BRABANT, L., « Patrimoine : Les Archives théâtrales », In DELHALLE, N. et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., pp. 239-288. 26 spectacle vivant. Par définition éphémère, on ne peut en effet physiquement l’appréhender qu’en présence d’une trace matérielle. Or, la conservation des archives théâtrales belges, lorsqu’elle est mise en place, semble être « le fruit de volontés personnelles bien davantage que d’une politique culturelle ou de recherche »69. Elle ne répond donc à aucune norme scientifique. Ce constat s’applique ainsi tout à fait au cas des textes de Mathieu Falla réalisés ou mis en scène sur le territoire belge. Ceux-ci sont en effet conservés par son épouse, (qui vit à présent dans le sud de la France) ainsi que dans différents établissements avec lesquels Mathieu Falla a été en contact (Théâtre universitaire, Théâtre de l’Étuve et Musée de la Métallurgie). On ne retrouve en outre aucune rigueur dans le classement. La conservation et la classification des archives font donc l’objet d’une véritable organisation archivée en France, là où elle est à peine développée en Belgique. Sachant que la présence d’archives concernant un individu contribue à sa postérité, la France peut être, une fois de plus, perçue comme un espace de consécration pour l’écrivain belge. I.4. Collaborations culturelles Le Théâtre de la Cornue se constitue donc en tant que théâtre amateur. Comme nous l’avons vu, il a cependant accueilli des personnalités liées au milieu professionnel et généré des vocations dans différents domaines théâtraux. Une autre voie exploitée par ce théâtre est la collaboration avec le domaine scolaire. Le développement du Théâtre de la Cornue peut ici être envisagé en parallèle à celui de la compagnie du Théâtre de Novembre, dirigée à Paris par Francis Sourbié. Après avoir investi pendant plus de dix ans la salle du centre culturel de Compiègne, en 1991, la compagnie parisienne est sollicitée par Jacques Chirac, alors maire de Paris, pour mettre en place des animations culturelles dans l’Est parisien, qu’il souhaite redynamiser. C’est dans cette optique que l’État met en place des ateliers de théâtre dans des collèges et lycées aux alentours du XX e arrondissement et crée les Fêtes d’été des Buttes-Chaumont. Une salle est ensuite attribuée à la compagnie et la troupe prend place dans les anciens locaux du Théâtre des Amandiers, 69 Ibidem, p. 285. 27 pour devenir Le Vingtième Théâtre, qui ouvrira officiellement ses portes en janviers 199570. À la même époque, en 1994, la troupe du Théâtre de la Cornue décide de mettre sur pied le « Concours scène à deux ». Des jeunes âgés de douze à dix-huit ans sont invités à présenter par deux une pièce de leur choix. Les duos retenus doivent ensuite monter une courte scène à partir d’un texte imposé, écrit par un dramaturge contemporain. Pour mettre en place son projet, la compagnie fait appel à l’ASBL « Promotion théâtre » et au service jeunesse de la Province de Liège71. Née officiellement en 1984 dans la province du Hainaut, Promotion théâtre a pour objectif de créer des liens entre les jeunes et les plateaux de théâtre, en les incitant à prendre eux-mêmes part à des projets. L’idée est que, en s’investissant dans des créations théâtrales, ces jeunes constitueront plus tard un public actif. Constatant que le passage d’acteur à spectateur est loin d’être si aisé, diverses initiatives vont voir le jour comme des ateliers menés en parallèle avec des analyses de spectacles professionnels, une initiation théâtrale à destination du corps enseignant ou encore un accompagnement vers une carrière artistique professionnelle. Au début des années 1990, malgré un large mouvement de réflexion qui s’était mis en place dans le secteur du théâtre jeune public pour aboutir au « Colloque de Seraing » et au « décret relatif au Théâtre pour l’enfance et la jeunesse » en juillet 199472, l’ASBL manque de budget pour mener à bien toutes ses ambitions. Elle décide alors de se tourner vers la promotion et la découverte des auteurs dramatiques contemporains. Dans cette optique, elle établit, dans un premier temps, le concours « Une scène pour la Démocratie ». Celui-ci donnera lieu à l’édition de l’anthologie Démocratie Mosaïque, parue en quatre volumes aux Éditions Lansman. Le projet « scène à deux » s’insère donc parfaitement dans la dynamique de l’ASBL de l’époque73. En plus de permettre un passage à la scène à de jeunes comédiens amateurs, ce concours répond à un deuxième objectif : l’encouragement à la création littéraire dans le domaine théâtral. Tout comme lors du concours « Une Scène pour la Démocratie », certains 70 Informations récoltées sur le site Théâtre on line [En ligne], URL : http://www.theatreonline.com/Artiste/Francis-Sourbie/11977, (consulté le 2/09/2016). 71 PROMOTION THÉÂTRE, « Historique », In site Promotion Théâtre [En ligne], URL : http://www.promotion-theatre.org/?rub=4, (consulté le 24/04/2017). 72 DELDIME, R., Le temps des bâtisseurs - Le théâtre jeunes publics en Belgique francophone de 1980 à 2000, Carnières-Morlanwelz, Lansman, 2011, p. 24. 73 PROMOTION THÉÂTRE, « Historique », In site Promotion Théâtre [En ligne], URL : http://www.promotion-theatre.org/?rub=4, (consulté le 24/04/2017). 28 textes écrits dans le cadre de cet événement ont ainsi fait l’objet d’une publication aux Éditions Lansman. S’affichant clairement comme éditeur théâtral au début des années 1990, Émile Lansman a largement contribué à la diffusion d’auteurs dramatiques émergents comme Stanislas Cotton, Thierry Debroux ou encore certaines pièces de Jean-Marie Piemme74. Néanmoins, le nombre de consignes de rédaction des scènes peut s’avérer être relativement contraignant pour l’auteur : la pièce doit être jouable dans un laps de temps compris entre sept et dix minutes, ne peut s’ancrer dans un cadre spatio-temporel défini et doit éviter toutes formes de didascalies75. Ainsi, si elles favorisent la reconnaissance sociale et professionnelle de l’écrivain, ce type d’initiative a cependant de paradoxal qu’elle réduit le temps disponible pour la création. En effet, s’il veut pouvoir s’assurer une rémunération régulière, l’écrivain se doit de saisir toutes les opportunités qui s’offrent à lui, tant dans le secteur artistique que dans le secteur social au sens large. Sachant que c’est l’État qui, le plus souvent, est à la source de ces initiatives, on peut se demander dans quelle mesure l’artiste garde son autonomie par rapport au pouvoir76. Un autre projet mené à bien par le Théâtre de la Cornue est sa collaboration avec le Musée de la Métallurgie. Le lien entre les deux organisations culturelles liégeoises naît dès 1991. La troupe de la Cornue souhaite monter Casimir et Caroline de Odon von Horvath dans un cadre qui permettrait de mêler public et comédiens. Les membres cherchent donc un lieu assez vaste, qui ne soit pas un théâtre traditionnel. Leur démarche les mène à découvrir un hangar désaffecté dans l’ancien charbonnage liégeois « Espérance-Longdoz » appartenant au Musée de la Métallurgie. Ce Musée est alors une jeune ASBL de dix-huit mois et s’associe désormais avec le Centre d’Histoire des Sciences et des Techniques de l’Université de Liège, dirigé par Robert Halleux, très actif dans le développement de l’ASBL. L’un de ses objectifs premiers est d’intégrer la culture scientifique technique et industrielle dans la culture générale. La démarche s’est déjà concrétisée avec une invitation de l’ASBL « Jeunesses musicales » ou encore du Cercle Philosophique Interuniversitaire. 74 SACD et Le Service de la Promotion des Lettres de la Communauté française de Belgique, Situation des auteurs dramatiques dans le champ des arts de la scène en Communauté française de Belgique, Bruxelles, Frédéric Young, 2007, p. 7. 75 DOPAGNE, J.-P., Scènes à deux. Volume 1, Manage, Éditions Lansman, 2005, p. 62. 76 SAPIRO, G., et RABOT, C., Profession ? Écrivain. Enquête réalisée en partenariat avec le l’Observatoire du livre d’île-de France (Motif) et le Centre européen de sociologie et de science politique, mai 2016, pp. 93-96. 29 L’accueil du Théâtre de la Cornue s’insère ainsi parfaitement dans la démarche d’ouverture culturelle du Musée77. Le spectacle est mis en scène par Alain-Guy Jacob, ancien membre du Théâtre Universitaire de Liège, qui a choisi de se professionnaliser dans le domaine théâtral. Les représentations ont lieu du 12 au 28 novembre 1991 et accueillent près de sept cent participants. Le metteur en scène n’est pas le seul à venir du milieu professionnel : en plus des comédiens amateurs membres de la troupe, des spécialistes du cirque participent également à la pièce. Le texte est fidèlement traduit de l’allemand et le projet de la troupe stipule que la pièce sera « aussi fidèle que possible aux désidératas de l’auteur »78. Il ne s’agit donc pas d’un texte de création ni même d’une adaptation. Cet élément indique une certaine variété dans le choix des pièces proposées par le Théâtre de la Cornue. Notons également que Mathieu Falla intervient ici en tant qu’acteur, activité qu’il pratique régulièrement et qui témoigne de divers modes d’implication dans le domaine théâtral. Enfin, la réalisation de la mise en scène par un ancien membre du TULg relève une fois encore la durabilité du réseau de sociabilité développé au sein de l’Institution. La pièce est d’ailleurs dédiée à Jeanne Wathelet Willems, ancienne membre du TULg déjà mainte fois évoquée. Quelques années plus tard, Francis Sourbié, qui avait assisté aux représentations de Casimir et Caroline, souhaite à son tour s’approprier cet espace et surtout la salle de la forge, datée du XVIIe siècle, pour entamer une nouvelle collaboration avec la troupe de La Cornue. Il fait alors spécifiquement appel à Mathieu Falla pour lui écrire un texte correspondant à l’atmosphère du lieu, à son potentiel poétique. L’auteur décide de s’emparer du personnage de Gilles de Rais, alchimiste et compagnon d’armes de Jeanne d’Arc exécuté publiquement pour hérésie et meurtres d’enfants. Comme il l’explique dans la présentation de sa pièce79, même si son élaboration est précédée de nombreuses lectures, son ambition n’est pas de faire éclater la vérité sur cette affaire mais au contraire d’aborder ce personnage comme un symbole des craintes collectives. Le choix de s’emparer d’un univers médiéval est en outre récurrent dans l’œuvre du dramaturge. Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège et le Théâtre de la cornue, Le Théâtre des Machines. Chronique du projet, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie, 1998, p. 2. 78 THÉÂTRE DE LA CORNUE, Casimir et Caroline. Projet, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie, 1991, p. 6. 79 FALLA, M., « présentation », In THÉÂTRE DE LA CORNUE, Gilles ou l’Étranger, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie, 1998, p. 4. 77 30 Le projet est intégré par Robert Halleux dans le cadre des Manifestations Interdisciplinaires des Arts et des Sciences qui ont lieu en octobre 1994. Sa mise en place nécessite un aménagement considérable du lieu, en vue duquel la compagnie s’entoure d’une large équipe technique. Gilles ou l’Étranger est ainsi interprété par des comédiens amateurs, mais entièrement encadré par des professionnels.80 La troisième et dernière collaboration entre la Maison de la Métallurgie et le Théâtre de la Cornue émane cette fois d’une demande spécifique du Musée. Pascal Lefebvre, le directeur en fonction, souhaite amener les jeunes adolescents à découvrir les lieux et le patrimoine liégeois par le biais de l’expression théâtrale. Or, la Cornue propose désormais d’initier des jeunes aux métiers du spectacle (jeu, mise en scène, scénographie, régie, maquillage…). Le Théâtre et le Musée décident ainsi d’un projet en trois étapes, tenant compte des activités organisées par la Cornue. Dans un premier temps, la direction propose une visite-spectacle en nocturne destinée à un public familial. Ensuite, une partie « atelier de création » est offerte aux élèves des écoles environnantes. Les élèves qui ont accroché à l’initiation étant invités à poursuivre des ateliers de façon plus régulière81. Au moment de l’élaboration du projet, le Musée est informé d’une nouvelle campagne lancée par la Fondation Roi Baudoin : « Vivre le Musée ». Celle-ci vise à redéfinir le rôle du musée dans la société actuelle en diffusant la culture de manière active et attrayante. S’insérant parfaitement dans le cadre défini, le projet est primé par le jury de la Fondation. C’est Mathieu Falla qui est chargé de rédiger le texte de la « visite-spectacle », intitulée Oubliez le guide. Il connaissait déjà les lieux pour y avoir réalisé son spectacle précédent mais doit néanmoins se plier à un autre type de démarche : le musée n’est plus seulement le cadre, mais l’objet même de la représentation. Une fois encore, on sent poindre la problématique de l’œuvre de commande et la réduction de la marge artistique du dramaturge. Cependant, d’après Pascal Lefebvre, actuel directeur de la Maison de la Métallurgie, « l’idée de la visite sera totalement transformée par l’imagination et la fantaisie de Mathieu ». Il évoque également « certaines tensions entre les membres du Musée et la troupe », en partie dues à la différence des responsabilités assumées par les 80 La Maison de la Métallurgie et Le Théâtre de la Cornue, Le Théâtre des Machines. Chronique du Projet, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie 1998, p. 2. 81 Ibidem, p. 2. 31 employés du Musée et celles assumées par les membres de la troupe, présents en tant que bénévoles82. I.5. Conclusion L’étude de la trajectoire de Mathieu Falla permet tout d’abord d’observer l’élaboration de différents réseaux « par attroupement »83. Au cours de ses années universitaires, Falla a effectivement fréquenté plusieurs groupes : les cercles étudiants (romaniste et interfacultaire de littératures), le TULg et le « groupe classe », formé par l’ensemble des étudiants de la filière romaniste. Il serait intéressant d’observer dans quelle mesure ces différents groupes se sont homogénéisés dans leurs valeurs artistiques et intellectuelles. Nous aurions pu, par exemple, comparer différentes trajectoires ou productions d’agents appartenant eux aussi au groupe formé par le TULg ou encore par la section romaniste dans laquelle se sont inscrits des auteurs dramatiques et metteurs en scène aujourd’hui largement reconnus : Jean-Marie Piemme, Michèle Fabien et Max Parfondry. Parallèlement à ces réseaux, notre auteur développe également des relations de type vertical avec les différents professeurs de l’Université qui l’encouragent dans ses débuts artistiques et littéraires, mais aussi avec des metteurs en scène français et plus particulièrement Francis Sourbié. Dans la même optique, nous pourrions analyser dans quelle mesure l’écriture du dramaturge s’est subordonnée aux attentes de ces agents qui contribuèrent largement à son émergence. Par exemple, la présence récurrente de thématiques médiévales dans ses productions peut autant être due à la passion communicative de son professeur Rita Lejeune pour cette matière (comme il l’explique au journaliste du Soir84, avec quelques années de recul) qu’à la dynamique artistique menée au Théâtre Universitaire durant ses années d’activité. Nous savons en effet que les textes antiques et médiévaux y ont toujours été largement représentés. La trajectoire du dramaturge témoigne également d’une volonté de rester en retrait des innovations théâtrales développées dans les années 1970 suite aux grands 82 Ibidem p.2. THIBAULT, A., Art. Cit., p. 98. 84 BONMARIAGE, E., « 13 ans après avoir reçu le Prix de la Province de Liège, une pièce du liégeois Mathieu Falla créée à Paris », In Journal Le Soir, 7 mars 1992, [En ligne] http://archives.lesoir.be/13-ansapres-avoir-recu-le-prix-de-la-province-une-piec_t-19920307-Z052M7.html, (consulté le 01/03/2017). 83 32 chamboulements de mai 1968. Cette tendance est en outre à mettre en lien avec le statut général de l’auteur dramatique à cette époque : ne pouvant plus se positionner en amont de la création théâtrale et représentant l’instance textuelle qui a alors perdu sa place centrale, celui-ci représente malgré lui un théâtre jugé révolu. Tout au long de sa trajectoire artistique, Falla continue de produire des textes de théâtre, évoluant ainsi à contresens d’un théâtre « rituel », visant à atteindre l’âme et le corps du spectateur. Cette nouvelle approche théâtrale s’était pourtant largement répandue en France à la suite de la redécouverte des écrits d’Antonin Artaud et de l’arrivée de troupes expérimentales new-yorkaises comme le « Living Théâtre » ou « Bread and Puppet »85. De la même manière, il ne se dirigea pas non plus vers le théâtre-action, pourtant en pleine expansion dans la Belgique des années 1970. Le parcours singulier de l’auteur permet par ailleurs de souligner la multiplicité des activités artistiques qui s’entremêlent et sont menées en parallèle d’une activité professionnelle. Sa carrière artistique mena Mathieu Falla à aborder le champ théâtral en tant que comédien, metteur en scène et surtout, dramaturge. Ses différentes facettes lui permirent en outre de côtoyer différents types de milieux théâtraux, de favoriser la rencontre entre théâtre amateur, théâtre universitaire et théâtre professionnel. Les deux chapitres qui suivent portent sur deux instances théâtrales intervenues dans la trajectoire de Mathieu Falla : Le théâtre universitaire et le théâtre amateur. Après avoir replacé ces deux instances dans le contexte socio-culturel de l’époque qui nous intéresse, nous pourrons en étudier le fonctionnement mais aussi les enjeux et les relations qui les lient entre elles. Cette démarche nous permettra également d’appréhender la trajectoire de Mathieu Falla et, dans une plus large mesure, celle de l’auteur dramatique. 85 BRADBY, D., Op. Cit., p. 23. 33 Chapitre II : Quel placement au sein d’un Théâtre Universitaire en mutation ? 34 Le Théâtre Universitaire a constitué, dans la trajectoire de Mathieu Falla, une instance d’émergence qui lui a permis la constitution d’un premier réseau de sociabilité. Après avoir envisagé l’importance de cette institution du point de vue du développement artistique de ce dramaturge, nous allons à présent nous pencher sur les productions qu’il a réalisées au sein de celle-ci. À partir de l’analyse de cinq pièces de Falla écrites et montées dans le cadre du Théâtre Universitaire de Liège, nous interrogerons les structures et le fonctionnement de cette institution. Ces textes ne seront donc pas appréhendés pour euxmêmes, mais pour ce qu’ils nous disent du Théâtre universitaire : son répertoire, son public, ses enjeux ou encore les méthodes de création employées. Dans l’ordre de leur apparition sur les planches du TULg, nous envisagerons cinq pièces. Tout d’abord, Les Solliciteurs, première pièce de l’auteur à être montée par le Théâtre Universitaire en 1964. Vient ensuite Le Combat de Thanatos, premier texte de Mathieu Falla à paraître dans la revue Écritures, primé lors du concours du Cercle Interfacultaire de Littérature en 1963, et qui ne sera monté au TULg que deux ans plus tard. Il sera suivi de L’Intrus (1965) et Médée (1966) mis en scène par François Duysinx, qui est d’ailleurs le dédicataire de la seconde. Enfin, la dernière pièce analysée ici s’intitule La Rose et le Chardon. Sa mise en scène est plus tardive même si sa rédaction lui est antérieure. Comme dit supra, cette pièce constitue un pivot dans la trajectoire de son auteur. II.1. Une Dynamique centrifuge Les années qui précèdent directement l’entrée de Mathieu Falla à l’Université de Liège coïncident avec la période dite de l’après-guerre. Comme le souligne Robert Germay dans l’ouvrage Le Théâtre Universitaire, pratiques et expériences86, deux tendances apparaissent distinctement dans le domaine du Théâtre Universitaire à cette époque : l’internationalisation et l’institutionnalisation. À la sortie de la guerre, les pays jusque-là refreinés dans leurs avancées artistiques et culturelles marquent une forte volonté d’ouverture. Dès 1946, le festival d’Erlangen voit le jour en Allemagne, où toute une génération va s’approprier la pratique théâtrale en tant 86 GERMAY, R., et POIRRIER, P. (Dir.), Le Théâtre Universitaire. Pratiques et expériences, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2013. 35 que moyen d’expression. Le festival accueille des troupes de tous les horizons jusqu’en 1968. Dans la même optique, le festival de Nancy est fondé par Jack Lang en 196387. La Belgique se trouve alors elle aussi dans une « dynamique centrifuge »88 et ouvre ses portes aux présentations artistiques internationales. En 1958 est inaugurée à Liège la première édition du Festival du Jeune Théâtre (FJT) ayant pour principal enjeu de présenter le théâtre contemporain. Dès les premières éditions, la programmation répond à une volonté de maintenir l’universalisme en évitant les avant-gardes ou les mises en scènes particulièrement en rupture avec le théâtre traditionnel. On y monte des auteurs contemporains comme Becket ou Ionesco, mais les œuvres du répertoire classique restent prédominantes. Il faudra attendre 1966 pour que le festival connaisse un tournant, en accueillant des artistes comme Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine ou Jerzy Grotowski89. Il faut dire que, à l’image de la France de Jean Villar, la politique culturelle belge de l’époque répond aux principes de la démocratisation culturelle. L’enjeu est avant tout de diffuser le plus largement possible les « grandes œuvres » du répertoire, contemporain ou non. La mise en place d’initiatives comme le Festival de Théâtre de Spa, décentralisation du Théâtre National Belge (TNB), est un exemple représentatif de cette politique ; la forme du festival permet en effet une installation rapide dans des provinces moins bien desservies en infrastructures culturelles90. De son côté, le Théâtre Universitaire de Liège entreprend dès ses premières années d’activité des tournées et des accueils de troupes étrangères. En 1935, il reçoit le groupe de théâtre médiéval de la Sorbonne, Les Théophiliens. Les étudiants y présentent leur pièce éponyme : Le Miracle de Théophile. L’expérience est renouvelée l’année suivante avec une présentation du Jeu de Robin et Marion. Les étudiants liégeois se rendent à leur tour dans la capitale voisine pour y présenter de courtes pièces médiévales91. Cette jeune institution s’insère ainsi dans la dynamique d’internationalisation de l’époque. Nous pouvons dès lors nous demander dans quelle mesure ces échanges avec la France ont pu influencer le développement du répertoire du Théâtre Universitaire liégeois. 87 Ibidem, p. 14. DELHALLE, N., Vers un Théâtre politique. Belgique francophone 1960-2000, Bruxelles, Le Cri-ULBULg, p.39. 89 DELHALLE, N., « Les Festivals et la Transformation du champ théâtral en Belgique » [En ligne], URL : https://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/104484/1/N%20Delhalle%20Festivals%20Belgique.pdf, (consulté le 13/12/2016). 90 Ibidem 91 GERMAY, R., 2011, Op.Cit. 88 36 Au début des années 1930, deux troupes voient le jour à la Sorbonne : le Groupe de Théâtre Médiéval et le Groupe de Théâtre Antique. Le premier relève d’une initiative de Gustave Cohen, professeur de littérature du département de Philosophie et Lettres, et a pour but de revisiter les formes du théâtre médiéval (miracles, fables, fabliaux…). Le second est créé par deux étudiants de la filière « classique » : Roland Barthes et Jacques Veil. L’ambition des étudiants, ici aussi, est de lier l’étude littéraire et philologique du texte dramatique, avec sa mise en scène théâtrale. Le groupe est en outre accompagné par des comédiens professionnels comme Maurice Jacquemont et Jean Dasté92. II.2. Émanation estudiantine La création de ces compagnies peut être envisagée parallèlement à celle du Théâtre Universitaire de Liège, qui a lieu à la même époque. On retrouve ici aussi une initiative estudiantine spontanée (les pièces sont d’abord montées par les cercles de Philosophie et Lettres, dans un premier temps, puis romaniste, classique et germanique), encadrée par quelques professeurs des sections correspondantes. Cependant, si l’on envisage l’ensemble des pièces mises en scène avant 1941, date officielle de la création du Théâtre Universitaire de Liège, celles-ci forment un répertoire qui ne peut directement être mis en lien avec les filières d’étude des membres. Sur les neuf pièces clairement recensées par Robert Germay93, trois sont l’œuvre d’auteurs du XIXe siècle de notoriété variable (Théodore de Banville, Louis Legendre et Henry Duvernois), une est la traduction-adaptation d’un texte antique par un étudiant de philologie classique (Le Procès de Catilina), la cinquième est une pièce du liégeois Joseph Duysenx, surtout connu pour ses chansons en wallon94 et les trois dernières sont des extraits de pièces du répertoire (Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, Cinna de Corneille et Songe d'Auguste de Musset). Force est de constater la nature hétérogène du répertoire concernant le choix des auteurs et de leur époque respective. Ce point s’explique en partie par la diversité des filières auxquelles appartiennent les membres du TULg (en comparaison de celles de la Sorbonne où les étudiants restent groupés selon leur propre section) : ils ne peuvent en effet 92 PATRON, S., « Le Groupe de théâtre antique de la Sorbonne », In Les Cahiers de la Comédie Française, 1997, pp. 48-53 [En ligne], URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00698639/document, (consulté le 12/05/2017). 93 Voir Annexe 1. 94 GERMAY, R., 2011, Op.Cit. 37 considérer le texte dramatique comme un élément situé à mi-chemin entre l’application des acquis de leurs études et la création théâtrale, leurs savoirs respectifs étant très variables. D’autre part, là où les étudiants des théâtres universitaires de la Sorbonne sont clairement encadrés par un professeur en particulier (Gustave Cohen) ou par des artistes professionnels, ceux de Liège produisent leurs pièces de façon plus autonome jusqu’en 1941. Le choix des pièces dépend donc de la volonté d’individus très divers, ce qui le rend plus hétéroclite. Nous ne pouvons cependant affirmer une absence totale d’unité au sein du répertoire d’avant-guerre : si l’on parle en termes de durée de la représentation, toutes les pièces sont relativement courtes, elles ne comptent pas plus d’un acte et, dans le cas contraire, seuls des extraits sont montés et présentés au public. On remarque également que, même lorsqu’il s’agit de pièces issues du répertoire classique (Antoine et Cléopâtre, Cina et Songe d’Auguste), on ne peut pas vraiment parler de grands succès publics, les textes restent relativement peu connus ou joués. Ces deux critères peuvent être mis en lien avec la nature même du théâtre universitaire. Tout comme le théâtre amateur, il n’est pas soumis à un souci de rentabilité, ce qui permet aux troupes de jouer des œuvres peu connues du public. Les étudiants qui assistent aux représentations ne vont pas seulement découvrir une pièce, ils viennent aussi pour voir leurs amis et leurs connaissances, leur marquer de l’intérêt ou les encourager. Nous pouvons ainsi supposer que le choix d’une pièce connue n’a que peu d’impact sur la densité du public présent aux représentations. On remarque également que les membres, mêmes s’ils sont issus de filières différentes appartiennent tous à la faculté de Philosophie et Lettres, ce qui suppose un intérêt plus ou moins marqué pour le domaine littéraire. L’étendue de leurs connaissances et leur curiosité pour le littéraire les pousseraient ainsi plus facilement à aborder des textes méconnus et à vouloir les transmettre. II.3. Vers une structure encadrée De 1941 à 1958, Jean Hubaux, professeur de philologie classique, décide de prendre en charge le TULg. Cette décision fait suite à la présentation d’une adaptation des Bacchantes d’Euripide qui avait fédéré un groupe d’une quarantaine d’étudiants désireux d’appréhender l’analyse de ce texte par la voie théâtrale. Si l’on se réfère aux différents types de théâtres pratiqués à l’Université, définis par l’Association Internationale de Théâtres Universitaires (AITU), le TULg passe d’une structure « semi-spontanée » à une 38 structure « encadrée »95. Pour mener à bien son projet, ce professeur fait également appel à certains de ses anciens étudiants. Parmi eux, François Duysinx, qui prendra en charge l’accompagnement musical de la pièce. On relève également la présence de Marcel Hicter, qui jouera plus tard un grand rôle dans l’expansion de la démocratie culturelle en Belgique francophone96. À la fin de la guerre, la troupe va pouvoir bénéficier d’un soutien financier des autorités académiques, ce qui lui permet de maintenir la régularité de ses activités. Ce changement structurel s’accorde avec la deuxième tendance du théâtre universitaire durant les années d’après-guerre : l’institutionnalisation. On voit effectivement poindre à cette époque une volonté générale de construire des structures durables. C’est dans cette visée que sont mis en place des organismes tels que la Fédération Nationale des Théâtres Universitaires en France (1947), l’Association Nationale de Théâtre Amateur à Bruxelles (1952), l’Union Européenne des Théâtre Universitaires (1954), ou encore l’Association Théâtrale des étudiants de Paris (1959)97. La modification structurelle du TULg ne sera pas sans conséquence sur la formation de son répertoire. Jusqu’à la fin de la charge de Jean Hubaux, en 1958, la plupart des textes montés datent de la période antique (Les Bacchantes d’Euripide, La Paix d’Aristophane et Les Euménides d’Eschyle) ou sont l’œuvre de Shakespeare (La Tempête, Jules César et Macbeth). Ajoutons à ces constantes La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, dramaturge emblématique de la tendance textocentriste française98, La Machine à calculer de l’Américain Elmer Rice et L'Admirable Crichton, roman anglais de James-Matthew Barrie. Ainsi, si l’on exclut ces deux dernières pièces et La Tempête de Shakespeare, tous les textes montés par Jean Hubaux sont d’inspiration antique et peuvent donc être mis en lien avec son activité de professeur de philologie classique. Le fonctionnement du TULg se rapproche ainsi désormais de manière notoire de celui qui avait été mis en place par la troupe des Théophiliens. Par ailleurs, dans sa volonté de mettre en scène des textes peu connus ou oubliés et en valorisant la cohésion et le travail collectif des étudiants, le Théâtre Universitaire de Liège est alors parfaitement en accord avec les pratiques générales du théâtre universitaire 95 GERMAY, R., 2005, Op. Cit. GERMAY, R., 2011, Op. Cit. 97 GERMAY, R., 2005, Op. Cit. 98 BOISSON, B., FOLCO, A., et MARTINEZ, A., La Mise en scène théâtre de 1800 à nos jours, Paris, PUF, coll. « Licences Lettres », 2010, pp. 112-113. 96 39 des années 1950, qui seront clairement définies une dizaine d’années plus tard dans la charte du théâtre universitaire (T.U.), en 196299. Rédigée lors d’un festival de Théâtre à Lille par la Fédération Nationale du Théâtre Universitaire (FNTU), cette charte posera les lignes directrices du fonctionnement du T.U. On y voit ainsi apparaître quelques grands principes comme le travail collectif, l’anonymat des comédiens, l’adresse à de nouveaux publics et la priorité de la recherche (dans le répertoire comme dans les formes de présentations théâtrales)100. Comme mentionné au chapitre précédent, la direction de François Duyckaerts à partir de 1958 correspond à un changement de répertoire et de pratique. Il est chargé de cours dans la faculté de psychologie et ne fait donc pas partie des cercles étudiants qui avaient été à l’initiative des prémisses du Théâtre Universitaire. Toutes les mises en scène qui ont lieu durant sa direction sont réalisées par Jean Daulnoye, un professionnel du théâtre de l’Étuve, externe à l’institution et rémunéré. Mentionnons également la mise en place d’un système de location de costumes ainsi qu’un choix de répertoire beaucoup plus conventionnel que celui de son prédécesseur. On y retrouve de grandes œuvres largement connues comme Le Malade imaginaire, Le Misanthrope ou encore Hamlet. De plus, aucun texte du répertoire antique, jusque-là dominant, ne sera monté durant les années de direction du professeur Duyckaerts. Enfin, les « grands rôles » sont systématiquement attribués aux mêmes étudiants, créant ainsi une hiérarchie entre les comédiens et causant la perte de leur anonymat. Pour toutes ces raisons, nous pouvons affirmer que la direction de François Duyckaerts constitue non seulement une parenthèse dans l’organisation du TULg101 mais se tient également en marge de la tendance générale de l’époque. II.4. Tradition et Innovation La prise en charge du Théâtre Universitaire par le professeur François Duysinx en 1963 peut être envisagée comme une synthèse des origines de l’institution. Lui-même avait participé, en qualité d’étudiant, aux premiers spectacles des cercles de Philosophie et BOOS, D., Origines et Évolution du Théâtre Universitaire. Étude de sa pratique à l’Université de Liège, le théâtre universitaire liégeois (TULg) (1941-2001), Mémoire en Sciences historiques, Université de Liège, Département des Sciences historiques, 2001, p. 80. 100 PRUNER, M., « Universitaire (le théâtre) », In CORVIN, M., (Dir.), Dictionnaire encyclopédique du Théâtre à travers le monde, Paris, Bordas, 2008, pp. 1388-1389. 101 GERMAY, R., 2011, Op. Cit. 99 40 Lettres, à l’époque où le TULg n’était pas encore clairement établi. Il avait donc fait l’expérience d’une structure spontanée, légèrement conseillée par quelques professeurs. Après la direction de Jean Hubaux, il décide de s’éloigner du Théâtre Universitaire, ne s’accordant pas avec les pratiques de François Duyckaerts102. Lors de son retour dans l’institution, cette fois en tant que directeur, il marque une double tendance de renouement et de prise de distance avec la tradition. Entre enseignement et mise en scène En sa qualité de professeur en philologie classique, Duysinx se rapproche de son prédécesseur Jean Hubaux. Il marque d’ailleurs cette affinité commune en mettant en scène une pièce de Ménandre dès son entrée en fonction. Les textes inspirés de l’Antiquité resteront d’ailleurs présents dans le répertoire jusqu’à la fin de ses activités. De plus, l’investissement de médiéviste Jeanne Wathelet Willem au sein du TULg semble également en influencer le répertoire, qui compte de nombreux textes d’inspiration médiévale103. Nous voyons donc que les spectacles montés au TULg sous François Duysinx restent très proches des filières de Philosophie et Lettres. Nous pouvons dès lors nous demander dans quelle mesure mises en scène et applications de la matière vue au cours sont liées, mais aussi quel est le degré d’implication du professeur dans le choix ou la réalisation du texte monté. À titre d’exemple, la seule adaptation d’un texte antique réalisée par Mathieu Falla (Médée) est également la seule mise en scène que l’auteur n’a pas lui-même réalisée, celleci étant prise en charge par Duysinx. Or, force est de constater que ce texte est davantage une illustration de sa maîtrise des références littéraires antiques qu’une appropriation ou une remise en question du mythe. En effet, le traitement que Falla fait de ce mythe antique lui permet avant tout de réinterroger des thèmes déjà présents dans le récit tels que la complexité des relations amoureuses, la domination des passions sur la raison ou encore la crainte de la solitude et de la vieillesse. De la même façon, comme annoncé dans l’avantpropos, l’étudiant fait le choix de conserver le cadre spatio-temporel du texte classique : l’action se déroule à Corinthe (l’indication fait d’ailleurs l’objet d’une didascalie), à l’époque du fondement de la civilisation grecque. On retrouve en outre une allusion aux origines mythiques de la protagoniste formulée par trois femmes corinthiennes, qui font 102 103 Ibidem. Voir Annexe 1. 41 office de chœur. Notons que cette instance, pourtant censée représenter l’opinion publique, ne condamne à aucun moment l’infanticide commis par Médée. La maîtrise apparente des références antiques, et leur multiplication au sein du texte illustrent donc bien une démarche d’application de ses acquis universitaire par le biais d’une création dramatique. Ainsi, en choisissant de mettre en scène cette pièce, François Duysinx agit en tant que directeur du TULg, mais aussi en qualité de professeur en philologie classique. La réécriture que Falla fait de Médée ne peut par ailleurs être classée dans une des deux tendances de réappropriation contemporaine du mythe : celui-ci peut être déconstruit par l’immersion du protagoniste dans un univers nouveau (créant ainsi une situation ironique) ou dans l’optique d’en extraire ce qui nous parle encore aujourd’hui104. D’autre part, comme le souligne Maurice Domino, « réécrire c'est gérer un texte antérieur entre les deux pôles du même et de l'autre, de la copie d'ancien et du nouveau »105. Ainsi, si nous devions qualifier cette réécriture de Mathieu Falla, nous pourrions la situer assez proche du pôle « ancien » de par le peu d’innovations qui y sont apportées. Notons que ce positionnement, proche de la tradition, est non seulement conscient mais revendiqué, comme le laisse entendre cet avant-propos rédigé par Vivienne Martin et Jacques De Caluwé dans l’édition de quatre pièces de leur ami : […] il ne s’agit pas comme on pourrait le croire d’une œuvre techniquement conçue dans la lignée tracée par le Giraudoux d’Électre, l’Anouilh d’Antigone, le Sartre ou le Cocteau des œuvres bien connues dont l’originalité dramatique consiste notamment dans le mélange du tragique avec un comique né d’anachronismes verbaux, vestimentaires ou psychologiques. Comme les auteurs que nous avons cités, Mathieu Falla repense un thème connu, mais il ne l’approfondit pas dans le sens d’une mode ; il en recherche au contraire les résonnances humaines éternelles et plie sa dramaturgie aux exigences d’une expression purement tragique.106 Outre le jugement de valeur qui émane de ce propos, opposant un « effet de mode » à la « pureté » tragique, celui-ci rend effectivement compte du positionnement de Falla et de son attachement au texte classique. En ce qui concerne la construction du système narratif, la fable repose entièrement sur les échanges dialogués. C’est de ses échanges avec Jason puis Créon et Créuse que vont naître la jalousie et le désir de vengeance de Médée. En cela, Mathieu Falla se trouve en 104 RYNGAERT, J.P., Écritures dramatiques contemporaines, Paris, Armand Colin, coll. « Lettres sup. », 2011, pp.143-144. 105 DOMINO, M., « La réécriture du texte littéraire Mythe et Réécriture », In Semen, 3 | 1987 [En ligne], URL : http://semen.revues.org/5383, (consulté le 22/07/2017). 106 MARTIN, V., et De CALUWÉ, J., « Avant-propos », In FALLA, M., Théâtre, Liège, Romanicula, 1966, p.5. 42 retrait des procédés développés par le théâtre de l’absurde dans les années d’après-guerre, où la parole est volontairement brouillée et ne sert plus à un échange communicationnel et où l’identité énonciatrice n’est plus directement repérable107. Le personnage principal se construit dès lors de façon très systématique, et en reprenant les termes utilisés dans la méthodologie de Michel Vinaver108, nous pouvons qualifier la majorité de ces échanges de « duels » verbaux, au cours desquels Médée déploie toute la supériorité de sa verve sur celle de ses opposants. Médée.- [A Créuse] Médée humaine, quel choc ! Votre hypocrisie n’y résiste pas, votre bassesse en frémit ! Il vous faut des héros pour vous justifier, des sorcières pour vous excuser, pas moi ! Je suis moi, seule et entière, et c’est cela que vous détestez ! (…)109 Médée.- [A Créon] N’étant pas roi, Créuse ne sait pas que l’on tire son bonheur du sang des autres. Toi tu le sais, Créon, tu sais bien qu’il faut arracher les enfants à leur mère et que le sang du passé purifie le présent.110 Jason.- Comme il m’est facile de te quitter ce soir ! Médée.- C’est le goût du néant qui nous grise déjà. (Il sort.)111 Jean-Pierre Ryngaert et Julie Sermon avancent l’idée que l’empathie éprouvée pour un personnage se construit parallèlement à la régularité et la ponctualité de ses apparitions, qui augmentent leur degré de prévisibilité 112. Ainsi, le système narratif mis en place par le texte va générer chez le lecteur (ou le spectateur) un sentiment d’empathie, voire de complicité avec Médée. De plus, sans nous aventurer dans l’évolution historique du personnage à travers la littérature dramatique, nous pouvons souligner que l’accent mis sur l’humanité du personnage et le développement de son cheminement psychologique se rapporte plutôt à la première version connue de la tragédie, celle d’Euripide, qui contrairement à Sénèque, et plus tard à Corneille, n’accentuera pas la face magicienne du personnage113. On retrouve enfin des allusions à ses origines mythiques à travers les commentaires des trois fileuses à propos du temps qu’il fait. Arrière-petite-fille du soleil, Médée influence le temps au gré de ses humeurs114. 107 RYNGAERT, J.-P., 2011. Op. Cit. VINAVER, M., Écritures dramatiques. Essais d’Analyse de Textes de Théâtre, Paris, Acte Sud, 1993, pp.893-908. 109 FALLA, M., Op. Cit., p.90. 110 Ibidem, p.92. 111 Ibidem, p.94. 112 RYNGAERT, J.-P., et SERMON, J., Le Personnage théâtral contemporain : décomposition, recomposition, Montreuil, Éditions Théâtrales, coll. « Sur le Théâtre », 2006, pp. 132-140. 113 HABERT, M., « Médée et l’Imaginaire. Analyse de quelques aspects de la Médée de Corneille (1635), In Connaissance Hellénique [En ligne], URL : http://ch.hypotheses.org/983, (consulté le 15/05/2017). 114 GRIMAL, P., Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 1963, pp. 278-279. 108 43 Dans la mesure où ce texte constitue la seule trace disponible de la pièce et que Mathieu Falla ne monte pas lui-même son texte, ce dernier représente un matériau capable de rendre compte de son point de vue sur la représentation théâtrale à ce moment précis. L’analyse de Médée illustre ainsi une connaissance certaine des références littéraires antiques et d’un style d’écriture révélant une aisance rédactionnelle, mais aussi un attachement pour l’aspect littéraire du texte de théâtre. En outre, ces références ainsi que l’absence d’innovation en termes dramaturgiques laissent supposer l’influence notable du professeur de philologie classique sur cette pièce, dont il est d’ailleurs dédicataire. On retrouve un cas similaire d’une pièce à mi-chemin entre la représentation théâtrale et l’application de matière d’enseignement avec Le Combat de Thanatos. Dès le titre, nous pouvons relever la présence d’un personnage allégorique. Symbole de la mort dans la mythologie grecque, Thanatos s’oppose dans la pièce au personnage de Bios, qui n’apparait quant à lui nulle part en tant que personnification du concept abstrait de la vie. Le grec ancien n’a d’ailleurs pas recourt à ce terme pour désigner le phénomène de vie, en tant qu’opposition à la mort, celui-ci étant désigné par le substantif « Zôê »115. Ainsi, s’ils paraissent faire référence à la mythologie antique, ces deux personnages relèvent surtout de l’imagination de l’auteur. Ce constat est d’ailleurs valable pour l’ensemble de la distribution : si tous les noms des personnages sont de consonance grecque, les références étymologiques ou littéraires sont quant à elles complètement désordonnées. Il en va ainsi pour le roi Dypilos, dont le nom ne se rapporte à aucune référence littéraire, mais qui en revanche peut évoquer le substantif « diploos, -ous » qui signifie « double, au nombre de deux »116. Cette hypothèse semble assez cohérente dans le sens où ce roi, manipulé par sa femme, ne cesse de changer d’avis, oscille entre le pardon et la vengeance. Néanias, le vieux conseiller du roi, porte quant à lui un nom qui signifie « la jeunesse »117. Ici, la volonté de décalage est évidente. Cynisca et Autolycos peuvent pour leur part être rapportés à des figures mythologiques. Cynisca est le nom d’une princesse spartiate, première femme à avoir remporté un prix aux Jeux Olympiques118. Celle de la pièce présente en effet un 115 DUBREIL, L., « De la vie dans la vie : Une étrange opposition entre Zôê et Bios », In Labirynthe. Atelier Interdisciplinaire, n°22, 2005, pp.47-52 [En ligne], URL : https://labyrinthe.revues.org/1033, (consulté le 17/06/2017). 116 BAILLY, A., Dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1935, p.221 [En ligne], URL : http://home.scarlet.be/tabularium/bailly/index.html, (consulté le 17/06/2017). 117 Ibidem, p. 1315. 118 NAPPY, M. « Cynisca », In FOUQUE, A., CALLE-GRUBER et DIDIER, B. (COLL), Le Dictionnaire universel des créatrices, Paris, Les Éditions des Femmes, 2013 [En ligne], URL : https://books.google.be/books?id=3- 44 caractère déterminé, et insoumis, allant jusqu’à défier Thanatos. Les personnages pourraient donc se rapprocher dans leur désir d’égalité par rapport aux hommes. Cynisca.- C’est donc cela ! Tu vas m’aimer ! Je vais t’arracher ton pouvoir, pour te punir d’écouter les maris jaloux et les vœux des assassins. Tu vas devenir un homme Thanatos, et me rester attaché pour toujours. Thanatos (épouvanté).- Je ne vous laisserai pas faire !119 Enfin le nom d’Autolycos, amant de Cynisca, personnage orgueilleux et égoïste, apparait dans un récit mythologique le mettant en scène dans un démêlé avec Sysiphe. Fils d’Hermès, il profite de ses pouvoirs pour lui voler les bœufs de son troupeau120. Si toutes ces références ne peuvent être confirmées, elles permettent néanmoins d’insérer la pièce dans le cadre spatio-temporel de l’Antiquité gréco-romaine. Celui-ci sera en outre confirmé dès la première réplique de Dypilos « (affalé sur son trône).- Zeus ! Que ces archontes sont fatigants ! »121. Le terme « archonte » désignant le « titre donné dans les républiques grecques et spécialement à Athènes aux principaux magistrats qui dirigeaient la république »122, il précise encore le cadre spatio-temporel. L’enchevêtrement et le caractère décousu des références nous portent à penser que leur enjeu premier est d’insérer la pièce dans un cadre antique sans pour autant se référer explicitement à un mythe de cette période, permettant ainsi une liberté totale quant au déroulement du récit. Envisageons à présent le déroulement de la pièce. Dypilos voit en rêve sa femme Cynisca dans les bras d’Autolycos, le bel l’ambassadeur. Son rêve s’avère ensuite devenir réalité. Désemparé par la nouvelle, il en vient à souhaiter la mort de sa femme. À cette requête apparait Thanatos. Regrettant immédiatement son incantation, le roi fait appel à Bios, esprit de la vie. Par un retournement de situation, Cynisca parvient à effrayer Thanatos en feignant de le séduire, ce qui l’entraîne vers la perte de tous ses pouvoirs. L’esprit refuse ses avances mais ne prétend pas non plus partir les mains vides. Autolycos 0BCwAAQBAJ&pg=PT5719&lpg=PT5719&dq=cynisca,+princesse+spartiate&source=bl&ots=fhFgg9rNm&sig=SD3kwQT4ar91h-p0OCh0J8_XETI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjm6Jah4_VAhWFJFAKHbDXDgkQ6AEIRjAJ#v=onepage&q=cynisca%2C%20princesse%20spartiate&f=false, (consulté le 18/06/2017). 119 FALLA, M., « Le Combat de Thanatos », In CIL, Op. Cit, 1963, p.25. 120 BOUTTIER-COUQUEBERG, C. (COLL.), Dictionnaire de la Mythologie gréco-romaine, Paris, Omnibus, 2012 [En ligne], URL : https://books.google.be/books?id=Q3m92gLxM9MC&pg=PT806&lpg=PT806&dq=autolycos+mythologie &source=bl&ots=43pM9u8by9&sig=GOBKGqJbBaind_WGgADkklXljJ4&hl=fr&sa=X&sqi=2&ved=0ah UKEwiG9_3fgJDVAhUEZFAKHYofCSUQ6AEIUzAN#v=onepage&q=autolycos%20mythologie&f=fals e, (consulté le 16/06/2017). 121 FALLA, M., « Le combat de Thanatos », Op. Cit., p. 7. 122 Centre de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), « Archonte », In CNRTL, Portail lexical [En ligne], URL : http://www.cnrtl.fr/definition/archonte, (consulté le 17/06/2017). 45 propose donc d’offrir à Thanatos une jeune femme prête à tout pour lui plaire. Outré par l’immoralité de l’ambassadeur, Bios convient d’un marché avec son adversaire : si trois personnes venant se présenter comme monnaie d’échange contre la reine se positionnent également en défaveur d’Autolycos, c’est ce dernier qui sera emmené aux Enfers. Leur plan fonctionne, l’amant est emmené et les époux se réconcilient. La situation d’un personnage contraint de choisir entre deux allégories antagonistes (Cynisca est en effet amenée à choisir entre Bios et Thanatos) et le châtiment final de l’amant prêt à sacrifier une jeune innocente pour se mettre à l’abri du danger, peuvent faire penser au schéma de la moralité médiévale123. D’autre part, l’image du roi dépassé par les événements, « affalé sur son trône »124 et prêt à croire sa femme qui « feint de pleurer »125 pour mieux l’amadouer rapproche plutôt la pièce du genre farcesque126. Cynisca parvient en effet à duper son mari et Thanatos par sa verve. Le moment venu, elle sait néanmoins se défaire de son amant pour retourner auprès de son mari, qui, contrairement à Autolycos, a proposé de s’offrir à Thanatos à la place de sa femme. Le foisonnement des références littéraires et mythologiques n’apparait pas uniquement dans l’organisation textuelle de la pièce : Dypilos fait lui-même allusion au Livre de Judith, un de sept livres deutérocanoniques de l’ancien testament, pour blâmer le manque de spontanéité de sa femme : Cynisca.- Les femmes éprouvent toujours quelque pudeur à avouer leur plaisir. Aussi se retranchent-elles souvent derrière leurs devoirs. Dypilos.- C’est ainsi que, par devoir, Judith coucha avec Holopherne. Cynisca.- N’oubliez pas qu’elle lui trancha la tête, ce qui était beaucoup plus facile après qu’avant. Dypilos.- Et vous admirez Judith, je présume Cynisca.- Légende orientale mon ami !127 Notons que le procédé d’intertextualité mis en place par ces répliques est anachronique : un personnage de la Grèce démocratique, sollicité par des archontes, ne peut faire référence à un écrit du Ier siècle ACN. Outre l’intertextualité de cet échange, on remarque que celui-ci se construit sous forme de « duel ». Ici encore, ce sont les dialogues et la parole de manière générale qui permettent l’avancement de la fable et son dénouement. 123 « Moralité » In CORVIN, M, Op. Cit., p. 574. FALLA, M., « Le Combat de Thanatos », In CIL, Op. Cit., 1963, p. 25. 125 Ibidem, p. 11. 126 « Farce » In CORVIN, M., Op. Cit., pp. 320-321. 127 Ibidem, p.10. 124 46 Le rebondissement de la pièce, la venue de Thanatos, est due à un jeu sur la nature du discours. Ignorant que sa parole serait performative, Dycolos n’hésite pas à souhaiter ouvertement la mort de sa femme. Enfin, cette pièce se structure en deux actes, chacun composé de deux tableaux de sept scènes, entrecoupés par des « Rideau[x] ». Nous sommes donc face à une structure très traditionnelle du texte de théâtre, loin de l’écriture fragmentaire ou même de la distanciation brechtienne. Il ne s’agit pas ici de mener une réflexion sur le théâtre, que ce soit sur le texte ou sur la mise en scène. L’enjeu parait plutôt de pouvoir créer un moment de divertissement tout en mobilisant des acquis culturels et théoriques. Un réseau de sociabilité générateur de pratiques artistiques Pour en revenir au fonctionnement de la structure qui accueille cette pièce, nous pouvons relever que François Duysinx, contrairement aux directeurs précédents, n’assume pas seul les mises en scène des spectacles. Seulement treize sur les quarante-trois présentées au public sont de lui. Il laisse ainsi un espace de créativité relativement étendu aux (anciens) étudiants qui désirent s’investir dans le théâtre. En vue d’augmenter la stimulation des membres à s’investir au Théâtre Universitaire, la présentation des spectacles du TULg demande la mobilisation de divers savoir-faire, dans lesquels chacun a l’occasion de s’illustrer. Ainsi, un article de la revue Écritures128 souligne l’investissement des étudiants de l’ULg dans la création de la pièce Le Combat de Thanatos : rédigé par Mathieu Falla, ce texte a été mis en scène par Max Parfondry129, alors étudiant romaniste ; les décors réalisés par Anne-Jacqueline Carpentier qui s’était déjà distinguée lors d’un concours de poésie illustrée, organisé par le Cercle Interfacultaire de Littérature130 ; Robert Duysinx s’est chargé de l’accompagnement musical et Marinette Louis de l’affiche. À noter que les deux étudiantes font seulement partie du C.I.L et ne comptent pas parmi les membres du TULg. Cet exemple témoigne ainsi de l’ouverture de l’institution qui permet à des personnes extérieures au Théâtre d’en intégrer les activités. Le Théâtre Universitaire semble donc bien être un lieu fédérateur et générateur de pratiques artistiques. 128 SOREIL, A., « Remerciement du conseiller », In CILÉcritures, 1965, p.69. Cet étudiant fera partie des membres du TULg ayant décidé de poursuivre la veine théâtrale dans le milieu professionnel. Après un cursus universitaire, il entre au Conservatoire de Liège où il exercera ensuite lui-même comme professeur. Nous reviendrons plus tard sur son activité de metteur en scène. 130 CIL, Op. Cit., 1963, p.70. 129 47 La première année de sa direction, en 1964, François Duysinx laisse à trois étudiants (Claude Vandeloise, Robert Duysinx et Mathieu Falla) le soin de se charger des mises en scène des spectacles. Il instaure la même année une nouvelle formule de présentation, consistant à faire précéder les spectacles nécessitant une lourde mise en place par des pièces plus courtes. On retrouve au programme : L’Intruse de Maeterlinck, Les Fourberies de Nérine de Théodore de Banville et Les Solliciteurs de Mathieu Falla131. Les deux premières, issues du répertoire de la fin du XIXe siècle, sont relativement peu jouées et méconnues du grand public. En proposant des pièces de courte durée, peu connues et mises en scène par des étudiants, Duysinx renoue bien avec les débuts du TULg et les principes fondateurs du T.U. inscrits dans la Charte de 1962. La Décentralisation : enjeux politiques et esthétiques François Duysinx soutient également la décentralisation du Théâtre Universitaire, qui s’inscrit dans une dynamique générale de démocratisation culturelle amorcée dès les débuts de l’institution. Il encourage ainsi les tournées dans différentes provinces de Belgique. Cette volonté n’est pas propre au TULg, on voit partout s’étendre les festivals et les projets de tournée. C’est par exemple en 1964 que le Mouvement des Étudiants Universitaires belges d’Expression française organise son premier Festival du Théâtre Étudiant à Bruxelles. Cinq troupes de théâtre y sont invitées132. Parmi elles, celle du Théâtre de la Communauté des Escholiers déjà mentionné, qui remporte le premier prix pour la pièce Histoire de Vasco133, mise en scène par l’étudiant Robert Louis. Déjà montée par Jean-Louis Barrault en 1957, cette pièce n’avait alors connu aucun succès et reste donc assez peu connue du public134. Par ailleurs, la décision de présenter une pièce du répertoire, même contemporain, est assez représentatif d’une démarche de démocratisation culturelle, qui prédomine alors au Théâtre de la Communauté. Cette dynamique de décentralisation transparait dans le répertoire présenté par le Théâtre Universitaire à cette époque. L’organisation de tournées préconise en effet une 131 Voir Annexe 1. Centre de Recherche de d’Information Socio-Politique (CRISP), « Préoccupations politiques et activités syndicales en milieu étudiant (II) », In Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 234, n°. 9, 1964, pp. 1-23 [En ligne], URL : file:///C:/Users/User/Downloads/CRIS_234_0001.pdf, (consulté le 16/04/2017). 133 LESAGE, S., Op. Cit., p.14. 134 LIEBER, J.-C., « Jean-Louis Barrault monte La Vie parisienne », In Romantisme, 1998, n°102. Sur les scènes du XXème siècle. p. 60 [En ligne], URL : http://www.persee.fr/docAsPDF/roman_00488593_1998_num_28_102_3343.pdf, (consulté le 18/05/2017). 132 48 forme de présentation spécifique incluant la simplicité des décors, une distribution restreinte ou encore une durée de présentation assez brève. Deux textes de Mathieu Falla, insérés dans la rubrique des « spectacles coupés »135 sont particulièrement représentatifs de ce répertoire : Les Solliciteurs et L’Intrus. Ces deux pièces sont des « impromptus », donc des « Petite[s] pièce[s] de théâtre composée[s] rapidement et gardant un caractère d’improvisation. Le genre se fonde ainsi principalement sur une technique d’écriture »136. Tous deux réalisés au cours d’un atelier d’écriture organisé par le Cercle Interfacultaire, ces textes cadrent tout à fait avec cette définition. Les deux titres (Les Solliciteurs et L’Intrus) se composent d’un article défini accolé à un adjectif substantivé. Cette formule peut être rapprochée de celle utilisée pour les titres de comédies classiques de type « l’Avare », généralement opposés à ceux des tragédies, construits sans déterminant et qui renvoient le plus souvent au nom du protagoniste137. Elle permet en outre de créer un effet de dynamisme, un embryon de récit qui va susciter la curiosité du lecteur ou du spectateur138. Les pièces se construisent en un seul acte et sont chacune interprétées par trois comédiens. Leur mise en place n’est donc donc pas en rupture des horizons d’attente créés par le titre et le genre de l’impromptu. Concernant les personnages, ceux des Solliciteurs (« La jeune fille », « Le jeune homme » et « Le Monsieur » sont ensuite simplement désignés par les abréviations « la jf. », « le jh. » et « le M. ». Ils sont donc quasiment anonymes, nous ne connaissons d’eux que leur sexe et leur âge approximatif. Dans L’Intrus, la distribution comprend « Mic », « Clo » et « Lui ». Les deux premiers sont désignés par des diminutifs, ce qui les rend plus familiers que les personnages des Solliciteurs, tandis que le dernier, désigné par un pronom personnel, renvoie à une identité totalement anonymisée. Dans tous les cas, la désignation des protagonistes est particulièrement brève. Ce manque informationnel va permettre une large marge de manœuvre dans la construction des personnages (caractère, niveau social, éventuels tics de langage, etc.) et le choix des comédiens (âge, apparence physique). Les possibilités de distributions sont donc assez étendues, ce qui permet de remplacer 135 Voir Annexe 1. CNRTL, « Impromptu », In CNRTL, Portail Lexical [En ligne], URL : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/impromptu, (consulté le 18/05/2017). 137 RYNGAERT, J.-P., Introduction à L’Analyse du Théâtre, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2011, p. 32. 138 Ibidem, p. 32. 136 49 facilement les comédiens en cas d’empêchement, élément important lorsqu’il s’agit d’organiser une tournée. Les Solliciteurs nous raconte avant tout une situation simple et cocasse : une jeune fille joue de sa naïveté apparente pour berner deux hommes et leur voler leur portefeuille. Le texte est entamé par une longue didascalie servant de scène d’exposition. On y décrit précisément les déplacements, les mouvements et les intentions que les comédiens doivent présenter sur scène : Il [le jeune homme] jette un coup d’œil discret en arrière. Ensuite, il fait demi-tour. La jeune fille ignore ce nouveau passage, tout occupée à consulter sa montre et à battre du pied. Ce type de didascalies dites « actives »139 (elles marquent une action et font avancer le récit), sont en outre récurrentes dans toute la pièce. De cette façon, contrairement aux deux autres pièces déjà analysées (Médée et Le Combat de Thanatos), la parole n’est pas le principal moteur du récit, qui est surtout construit par des jeux de situations : entrées et sorties de scène, regards et humeur des personnages. À titre d’exemple, au cours d’un même échange entre « la jeune fille » et « le Monsieur », celle-ci est successivement « indignée », « tout heureuse », « accablée », « effarée », « spontanée », « impressionnée », « modeste » et « lasse »140. Ces changements abrupts d’attitude permettent d’attirer l’attention du lecteur/ spectateur sur leur caractère factice. Ces didascalies annoncent ainsi la chute de la pièce. Enfin, la subjectivité de certaines indications suggère la présence de l’instance narrative (« Le Monsieur qui passait par là a surpris cette dernière partie de leur conversation. Procédé peu élégant, sans doute, mais tellement courant qu’on ne saurait en faire grief au Monsieur. »141). En plus de créer une distance ironique par rapport à la scène, cette remarque place le texte dans un contexte de lecture. En effet, la didascalie se distinguant du corps de texte (notamment par une graphie en italique), elle n’est par définition pas sensée être prononcée sur scène. Seul le lecteur peut donc en avoir connaissance142. Or, dans la mesure où cette pièce n’a fait l’objet d’aucune publication et était donc avant tout destinée à être entendue plutôt que lue, on peut se demander quel est 139 VINAVER, M., Op. Cit., p. 900. FALLA, M. « Les Solliciteurs », In FALLA, M., Op. Cit., pp. 8-9. 141 Ibidem, p.6. 142 RYNGAERT, J.P. Introduction à L’Analyse du Théâtre, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 2011, p. 38. 140 50 l’enjeu d’un tel procédé. Celui-ci est sans doute à chercher dans le contexte de rédaction de la pièce, qui n’est pas ici le plateau de théâtre mais l’atelier d’écriture. Dès lors, il s’agit à la base d’une performance littéraire plus que théâtrale. Cette conception du texte précédant le processus de création théâtrale fait en outre partie des principes rejetés par les défenseurs d’un nouveau théâtre dans une époque qui va voir se développer la pratique des créations collectives143. La fable de L’Intrus s’articule autour d’une situation particulière : un jeune couple se retrouve, un an après son mariage à l’endroit de sa lune de miel, une cabane perdue dans les bois. Ce cadre ne suffit cependant pas à combler la distance qui sépare déjà les époux. Une fois son mari couché, Clo se trouve face à un satyre. Le lendemain elle annonce à son mari qu’elle est enceinte. Ici, la construction de la situation initiale est permise par un échange de réplique « en duel »144. Nous l’avons vu, cette construction est récurrente dans les pièces de Falla datant de cette époque. Ici, le ton est cependant plus détaché et à plusieurs reprises on perçoit un jeu de mise en abîme. Mic et Clo sont représentés en train de s’inventer un rêve commun à partir d’une situation qu’ils imaginent ensemble. Mic. —Tu me regardes. Clo. — Passionnément ? Mic. — Intensément. Ça suffira. Clo. — De cette façon ? Mic. — Excellent. (Un temps.) Tes yeux sont immenses… Clo. — Tu exagères ! Je ne suis pas difforme. Mic. — C’est une licence poétique.145 Cet échange de répliques tourne en dérision un topos qui voudrait que de jeunes époux se regardent « passionnément ». De la même façon, comme dans Le Combat de Thanatos, on remarque un métadiscours portant sur le style d’écriture adopté. Clo. — Je ne suis pas venue ici pour respirer les exhalaisons perfides de cette pétroleuse antique. Mic. — Tu ferais mieux de fermer cette fenêtre. L’air te saoule et tu deviens lyrique.146 143 BRADBY, D., Op. Cit., p. 127. VINAVER, M., Op. Cit., pp. 900-901. 145 FALLA, « L’Intrus », In FALLA, M., Op. Cit., p.65. 146 Ibidem, p. 62. 144 51 D’ailleurs, comme dans l’autre pièce, ces métadiscours apparaissent lors d’un échange de répliques en duel. Le style d’énonciation d’un personnage peut ainsi constituer un point d’attaque pour son interlocuteur. À propos des didascalies, toujours selon la terminologie de Michel Vinaver, cellesci peuvent être qualifiées d’« instrumentales »147 dans la mesure où elles apportent au lecteur ou au metteur en scène des indications favorisant « l’intelligence » de la situation d’énonciation. Certaines didascalies portent par exemple sur l’éclairage scénique (« maigre éclairage d’une lampe à pétrole fumeuse » 148), ou encore la musique (« La scène qui suit se joue dans un éclairage particulier. On entend une flûte jouer une ritournelle un peu mélancolique » 149), qui annonce généralement l’arrivée du satyre. Son style légèrement suranné permet en outre d’affirmer la présence d’une créature venue, elle aussi, d’une autre époque (ici encore, l’Antiquité gréco-romaine). Cependant, l’apparence humaine de ce satyre, et les traces de boucs découvertes le lendemain matin, tendent davantage à assimiler la pièce au genre fantastique qu’à la mythologie gréco-romaine (comme c’était le cas pour les deux premières pièces). Comme nous pouvons le voir, les didascalies, qu’elles soient actives ou instrumentales, sont beaucoup plus présentes dans les deux impromptus. Le genre de ces pièces étant par définition lié à l’improvisation théâtrale, nous pouvons supposer qu’il entraîne une plus grande prise en considération de la représentation scénique. Dans la même optique, l’ancrage des deux pièces dans l’époque contemporaine laisse place à un jeu plus décontracté, avec des personnages facilement cernables, ce qui rend le jeu plus aisé et plus naturel. Ces deux pièces paraissent ainsi se détacher plus nettement de l’aspect scolaire de l’université et, d’une certaine manière, du théâtre universitaire. Théâtre Universitaire et jeune théâtre Un dernier trait significatif de la direction de François Duysinx est le réfrènement des tournées à l’étranger. De manière générale, on constate que l’internationalisation ne fait pas partie des priorités du directeur150. Or, c’est précisément à 147 VINAVER, M., Op. Cit., pp. 900-901. FALLA, M., « L’Intrus », Op. Cit., p.60. 149 Ibidem, p. 67. 150 BOOS, D., Op.Cit. p. 82. 148 52 cette époque que les festivals universitaires commencent à répandre de nouveaux idéaux esthétiques, méthodologiques ou encore politiques émanant des collectifs. En effet, même si les grands bouleversements qui traversent le domaine théâtral datent surtout de la fin des années 1960, le début de cette décennie voit déjà naître un engouement pour les écrits d’Antonin Artaud qui n’avaient connus qu’un succès restreint lors de leur parution, en 1948. Celui-ci propose une rupture radicale du théâtre occidental en refusant la sacralisation du texte et la notion même d’œuvre. La recherche théâtrale de cette époque est également influencée par la vogue des performances et des happenings, développée aux Etats-Unis, ainsi que par le théâtre d’intervention prônant la libération des classes populaires151. Le domaine théâtral se trouve donc dans une dynamique de reconstruction des codes et des règles qui le cadraient jusqu’alors, entraînant ainsi l’émanation d’un nouveau système de pensée. L’Institution universitaire se trouve ainsi dans une position ambiguë, étant à la fois novatrice et dépassée. Novatrice en ce qu’elle compte parmi ses membres des figures représentatives d’une nouvelle conception de la mise en scène, comme Ariane Mnouchkine ou Patrice Chéreau. Dépassée car elle symbolise, malgré elle, un système d’enseignement élitiste, qui sera rejeté par les idéaux de mai 1968. Les divers bouleversements survenus dans le domaine théâtral à partir des années 1960 vont donc mener à une remise en question et une restructuration du Théâtre Universitaire européen. Certaines troupes disparaissent comme celles du Théâtre Antique de la Sorbonne qui, nous l’avons vu, a de nombreux points communs avec celle de Liège et d’autres vont se renouveler, véhiculant de nouvelles valeurs d’ouverture152. La présentation que font Jacques De Caluwé et Vivienne Martin des pièces que nous venons d’analyser est d’ailleurs assez représentative de cette position d’entre-deux. « Impromptu », « Impromptu de salon » même, sont bien les mots justes qui peuvent définir -s’ils se définissent vraiment- Les Solliciteurs et L’Intrus, petites pièces en un acte sans exigence de décors compliqués, sans structure dramatique complexe, sans cette recherche paralogique que nous avons accoutumé de rencontrer dans le théâtre moderne, « le jeune théâtre »153. En décrivant de cette façon les textes de leur ami, Vivienne Martin et Jacques De Caluwé les insèrent dans un cadre artistique relativement traditionnel ou qui, en tout cas, 151 DELHALLE, Vers un Théâtre politique. Belgique francophone 1960-2000, Bruxelles, Le Cri-ULB-ULg, p. 58. 152 BOOS, D., Op. Cit. p.83. 153 MARTIN, V., et De CALUWÉ, J., Op. Cit. p.3. 53 ne contribuent pas à un renouvellement formel. Ce commentaire introductif peut également être mis en parallèle avec celui de Médée, qui qualifie la pièce de création originale, ne cherchant pas à suivre un quelconque courant ou mode. Par ailleurs, il faut noter que, même si le jeune théâtre et les nouveautés théâtrales font ici office de repoussoir, ils constituent par ailleurs une instance de référence. Qu’il se pose en accord ou en opposition de ces nouvelles revendications, il ne peut en faire abstraction. Dans une optique plus large, cette position est d’ailleurs applicable à l’Institution théâtrale universitaire de manière générale. Dans le cas concret du TULg, force est de constater que la direction mise en place jusqu’au milieu des années 1970 a plutôt tendance à se positionner en marge de ce « jeune théâtre ». Le répertoire du TULg durant cette époque reste en effet centré sur le texte, ne semble pas s’ouvrir à la création collective et continue de s’adresser à un public universitaire, donc instruit et restreint. En cela, nous pouvons affirmer que les pièces de Mathieu Falla sont représentatives de la dynamique du Théâtre Universitaire sous la direction de François Duysinx. En conclusion de l’analyse de ces quatre pièces, toutes écrites et présentées entre 1963 et 1966, il est possible de relever quelques traits caractéristiques de l’écriture de Mathieu Falla dans le contexte du Théâtre Universitaire. La première constance est le statut de soumission de la femme dans une société régie par des hommes. Médée est vouée à se faire remplacer alors qu’elle s’est mise plus d’une fois en danger et a trahi sa famille pour sauver son mari ; Cynisca échappe de peu à la mort à cause de la jalousie de Dypilos, qui lui-même entretient une relation adultère ; une jeune fille se fait importuner dans la rue par deux hommes et enfin Clo est délaissée par son mari après seulement un an de vie commune. Toutes les situations initiales placent donc les femmes en position d’infériorité par rapport à l’homme. Par ailleurs, chaque développement du récit va permettre un revirement radical de situation. Les femmes vont recourir à différents outils ou stratagèmes pour reprendre le contrôle de la situation. Médée, le cas le plus extrême, ira jusqu’à tuer ses propres enfants pour se venger de son mari et de l’injustice qu’il lui fait subir. D’autre part la jeune femme des Solliciteurs ou encore Cynisca, se servent des préjugés que leur attribuent les hommes pour les retourner contre eux : l’infidélité et la légèreté pour l’une, la naïveté et la candeur pour l’autre. Enfin, Clo, délaissée par son mari, le laisse à ses lectures pour passer la nuit avec un satyre. 54 Le sujet de la condition féminine est alors en pleine expansion. Comme l’explique Danielle Bajomée dans son article « La Cause des femmes »154, les idéaux défendus par Simone de Beauvoir dans son ouvrage Deuxième Sexe en 1949 se répandent réellement dans toute l’Europe à partir de 1965, par le biais des mouvements féministes américains. Elle y dénonce la domination masculine générée et consentie par nos sociétés patriarcales. Ce pan des revendications féministes peut être mis en lien avec les valeurs défendues dans les quatre pièces de Falla que nous avons développées ici. Par ailleurs, les contestations de l’époque s’accompagnent de combats politiques concernant, par exemple le droit à l’avortement, longuement défendu en France par Simone Veil, ou l’égalité salariale. Ce dernier point est d’ailleurs l’aspect le plus représentatif de la conscientisation féministe belge, à travers le grand mouvement de grève mené par les ouvrières de la Fabrique Nationale d’Herstal en 1966155. Or, cet aspect politique de la lutte ne transparait nullement dans ces quatre textes. Les contestations mises en place par les personnages féminins restent strictement liées au cadre privé ou quotidien. De plus, les protagonistes restent, dans trois cas sur quatre, liées à leur statut de mère (Médée) ou d’épouse (Médée, Cynisca et Clo). Même la jeune fille, qui parait émancipée en ce qu’elle parvient à se jouer des hommes, vit cependant à leurs dépens. Ainsi, si les pièces de Falla paraissent dénoncer les cadres d’une société patriarcale, l’image de la femme n’est quant à elle pas remise en question. Autre trait commun à toutes les pièces : la prédominance des échanges de répliques sous forme de « duels ». Les personnages sont très souvent présentés dans des situations conflictuelles où chacun doit affirmer sa place par la qualité de sa défense orale. Ce dernier point peut être envisagé en parallèle avec certains traits de la posture de Mathieu Falla déjà abordés au chapitre précédent. Certains articles des revues des Cercles romaniste et interfacultaire (La Guimbarde et Écritures) le présentent en effet comme un personnage usant de son sens de la répartie, au risque de paraître parfois impertinent. À titre d’exemple : Ces Poètes !... Les habitués de l’Étuve se souviendront de LA GUERRE DE LA VACHE. À ce sujet on raconte que… Le professeur X et Mathieu Falla s’entretenaient, place Cockerill, de la pièce et de son auteur, Roger Avermaete. 154 BAJOMEE, D., « La Condition des Femmes », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J. (Dir.), Op. Cit., pp. 45-61. 155 Ibidem, pp. 45-47. 55 Comment cet écrivain, demande le professeur, s’est-il introduit à Liège, lui qui est d’Anvers ? Bé !...Par le train, répond Mathieu, avec cet air ineffablement sien, vous savez bien : naïf ou pince-sans-rire ; comment jamais savoir ? Nous opterions volontiers, ce coup- ci, pour la bêtise !156 En ce qui concerne le placement du texte au sein du processus de création de la pièce, celui-ci se positionne clairement en aval. L’enjeu n’est donc pas de créer collectivement une pièce de théâtre à partir d’exercices, de collaborations ou de concertations entre les différents membres d’une troupe. Les personnages créés par l’auteur paraissent davantage correspondre à des figures préexistantes que s’inspirer de son entourage proche. Nous sommes donc bien ici dans une perspective textocentriste157 de la représentation théâtrale, telle que rejetée par les nouvelles idéologies émanant des événements de mai 1968. Nous pouvons ainsi affirmer que Mathieu Falla s’oppose à l’esthétique, aux réflexions mais aussi à la méthodologie adoptée par le jeune théâtre. Toutes les pièces sont enfin marquées, de près ou de loin, par l’instance professorale. Médée et Le Combat de Thanatos, chacune à leur façon, sont inscrites dans le cadre antique et mobilisent un savoir littéraire, mythologique et historique relativement étendu. Notons par ailleurs que Le Combat de Thanatos s’est vu récompenser, en 1963 du Prix du Cercle Interfaculaire de littérature dont le jury se compose majoritairement de professeurs. Quant à la pièce Les Solliciteurs, bien que son appartenance au genre de l’impromptu lui confère un caractère plus léger, sa réalisation est liée au Théâtre Universitaire de façon plus intime que les autres, étant destinée à être jouée dans le salon de Mme Hubaux, la veuve du premier directeur de l’Institution. Seul L’Intrus se détache du cercle fondateur du TULg, sa première représentation ayant lieu à la maison des jeunes de Liège158. Les pièces analysées ne sont donc pas seulement liées à l’Institution du Théâtre Universitaire mais aussi aux membres (fondateurs) qui la composent. Leur influence transparait en effet dans les pièces de l’étudiant au même titre que d’autres facteurs extérieurs. Étant donné qu’en 1968, le professeur devient le symbole d’une autorité dépassée, le lien que Falla entretient avec le corps enseignant peut sembler en marge de 156 CERCLE DES ÉTUDIANTS ROMANISTES, Op. Cit.,vol.1, 1963, p.20. PAVIS, P., La Mise en scène contemporaine. Origines, tendances, perspectives, Paris, Armand Colin, 2010, p.30. 158 CIL, Op. Cit., Écritures, 1964, p.7. 157 56 cette dynamique. Dans la même optique, en s’opposant à l’ordre établi, aux règles et aux méthodes générées par l’université, le mouvement du jeune théâtre n’aurait sans doute pas encouragé une telle proximité avec le corps professoral. La Rose et le Chardon, une pièce de transition Attardons-nous à présent sur une pièce présentée dans le cadre du théâtre universitaire, cette fois bien après la sortie de l’Université de Mathieu Falla : La Rose et le Chardon. Bien que sa rédaction leur soit antérieure, la création et la présentation de la pièce datent de 1979. Alors que les revendications esthétiques, idéologiques et politiques de mai 1968 commençaient seulement à poindre à l’époque de la mise en scène des quatre autres pièces, elles sont à présent complètement affirmées voire, pour certaines, déjà en train de s’essouffler. Le Théâtre Universitaire a lui aussi connu certains changements ; outre l’acquisition d’une salle fixe au sein des nouveaux locaux du Sart Tilman en 1973, la dynamique du TULg est loin de celle qu’il a connue une dizaine d’années plus tôt : les étudiants ne montrent plus autant d’enthousiasme qu’auparavant pour les mises en scène de François Duysinx. En 1980 ils vont s’adresser à Robert Germay, alors en charge du Théâtre universitaire des Germanistes (TUG) pour leur nouvelle création. Ensemble, ils monteront Le Bouc, de R.W Fassbinder159. Pour la création de La Rose et le Chardon, Mathieu Falla et sa femme, Vivienne Martin, décident d’assembler leurs réseaux de sociabilité en faisant appel à des amis, mais aussi à certains de leurs (anciens) élèves. Il s’agit donc cette fois d’un groupe plus hétérogène que celui du théâtre universitaire au niveau de l’âge et des professions exercées. D’autre part, tous les membres y ont été choisis et se sont déjà exercé dans la pratique théâtrale. Le texte comprend une vingtaine de personnages avec, parmi eux, des rôles de figuration sans texte ni fonction précise dans le déroulement de la pièce (« Quelques filles », « courtisans », « gardes »). Leur nombre étant indéfini, ils peuvent être présentés par de nombreux comédiens. Nous sommes donc bien loin des textes à distribution restreinte que nous avons analysés précédemment. À propos de la désignation des personnages, elle peut être mise en lien avec celle du Combat de Thanatos : les prénoms ne 159 BOOS, D., Op.Cit. p. 83. 57 renvoient à aucune référence précise, sont écrits en toutes lettres (contrairement à « Clo » et « Mic ») et sont, dans ce cas-ci, individualisés par un titre (« princesse », « prince »), une profession (« chancelier », « tenancière de maison ») ou encore le lien qu’ils entretiennent avec les autres personnages (« camériste de Gertrude », « fils bâtard du défunt roi Sisigmont », « confident de Torchemodo »). Ces indications permettent déjà au lecteur d’anticiper le déroulement de la fable160 : la coprésence d’un prince, d’une princesse et d’un bâtard du roi laisse par exemple imaginer un problème de succession. En ce qui concerne le choix du titre : La Rose et le Chardon, nous pouvons y voir une allusion à certains contes, comme Blanche-Rose et Rose-Rouge ou La mariée blanche et la Mariée noire des frères Grimm. Tous deux désignent en effet des jeunes filles, dont la tradition veut que leur caractère ou leur parcours soit antithétique. Le premier titre (Blanche-Rose et Rose-Rouge), rappelle la construction métaphorique de celui de la pièce, et le second (La Mariée blanche et la Mariée noire), répond lui aussi au canevas « article défini + adjectif substantivé ». Le choix d’un titre se rapprochant d’histoires populaires ancestrales contribue à orienter l’horizon d’attente du lecteur/spectateur vers un cadre temporel relativement lointain. Notons que les attentes du lecteur, qui aura eu accès à la liste de distribution des personnages, sont encore renforcées par la présence de prénoms ou de fonctions surannés (« Virgula, camériste de Gertrude », « Aldo, jeune moine confident de Torchemodo »)161. Les premiers dialogues marquent une continuité de la pièce avec le titre et la distribution des personnages, maintenant ainsi les horizons d’attente du lecteur/spectateur. Le vocabulaire et les expressions employés tout au long du texte ne correspondent en outre plus à notre parler contemporain ; beaucoup de termes sont directement tirés du registre antique (« mélopée »162, « hétaïre »163, « ganymède »164, « dryade »165, « ménade »166, etc.) et certaines tournures correspondent également à un style très littéraire (« les larmes dont j’abreuvais cette étoffe »167, « il n’en faut plus douter »168, « je ne pouvais le souffrir »169, 160 RYNGAERT, J.-P., et SERMON, Op Cit, p. 49. FALLA, M., La Rose et le Chardon, 1979, p.1. 162 Ibidem, p. 16 163 Ibidem p. 36 164 Ibidem p. 47 165 Ibidem, p. 58. 166 Ibidem, p. 58. 167 Ibidem, p. 2. 168 Ibidem, p. 9 169 Ibidem, p. 16 161 58 etc.). Les surnoms que se donnent entre eux les personnages, rompent cependant avec le ton solennel, généralement employé dans les contes (« mon poulet »170, « tendre grenouille »171, « mon oiselle »172…). La recherche formelle touche également les insultes (« petit panaris jambu »173, « petite pourriture en gestation »174). Cette habitude se retrouve en outre chez plusieurs personnages, issus de divers milieux sociaux. La recherche de termes peu usités à l’époque, les tournures littéraires et l’accumulation des références confèrent une fois de plus au texte un aspect très élitiste. Or, non seulement le théâtre des années 1970 se tourne davantage vers les émotions et la dimension corporelle de la représentation, mais en plus, dans sa volonté de prise de conscience du « non public » depuis la déclaration de Villeurbanne, il a pour ambition d’abolir le théâtre élitiste, réfractant la culture bourgeoise175. Les thèmes de la condition féminine et de l’hypocrisie du pouvoir transparaissent également. La princesse, symbolisée par le chardon à cause de sa laideur pourra accéder au trône alors que tous étaient contre elle. Elle commente d’ailleurs à ce propos : « que je suis aise d’être affreuse, pour être ainsi préservée de la bêtise des femmes qui peuvent tout espérer des hommes au point d’oublier qu’elles existent »176. Cette réflexion fait en outre référence à son pendant antithétique : la Carmina. Éprise d’un prince qui la méprise jusqu’à la tuer tant il est oppressé par sa présence. L’intrigue se construit autour de la convoitise du trône par personnages interposés. En réalité, aucun ne désire personnellement gouverner mais voudrait pouvoir choisir qui en aura la charge. Ce jeu permet de mettre en lumière les hypocrisies de la sphère du pouvoir. Contrastant avec ce milieu fermé de la cour royale, deux personnages populaires font leur apparition. Ils se présentent également comme un duo antithétique : Damien est laid mais intelligent alors que son acolyte est beau mais simple. Tous deux viennent se venger de la politique répressive du roi et entreprennent de s’infiltrer au château pour le tuer, ne sachant pas que celui-ci est déjà mort. Ils vont permettre une critique du pouvoir politique et sacré 170 Ibidem, p. 2. Ibidem, p. 34. 172 Ibidem, p. 3. 173 Ibidem, p. 45. 174 Ibidem, p. 58. 175 RYNGAERT, J.-P., Écritures dramatiques contemporaines, Paris, Armand Colin, coll. « Art du spectacle », p. 57. 176 FALLA, La Rose et le Chardon, 1979, p.17. 171 59 (« les marches d’un trône sont toujours sales »177, « le Dieu de colère et de vengeance ressemble trop aux hommes pour que j’y croie »178). Ces deux personnages sont cependant tournés en ridicule et chacun de leur plan se traduit par un échec. Ainsi, même si la pièce semble dénoncer un pouvoir oppresseur, elle présente la rébellion comme une tentative naïve et veine. Encore une fois, Mathieu Falla se situe en marge de la dynamique de l’époque, qui elle en revanche se caractérise par la conviction que la contestation et l’engagement permettent d’atteindre des idéaux. Ce dernier texte mis en scène au TULg présente donc des constantes et des divergences par rapport aux quatre autres analysés précédemment. En ce qui concerne la littérarité du texte, celle-ci est toujours aussi construite, mêlant vocabulaire recherché et expressions au style très écrit. Par ailleurs, la construction en duel des dialogues reste inchangée. On retrouve également les thèmes de l’hypocrisie du pouvoir ou encore de la condition féminine dans une société patriarcale, sans lien direct avec des problématiques concrètes et contemporaines. D’autre part, la durée de la pièce et la distribution des personnages font de La Rose et le Chardon un projet de plus grande ampleur que les précédents. Le nombre de comédiens présents sur scène est en effet notablement plus élevé. Cette divergence est à mettre en lien avec les enjeux de cette création, qui visent avant tout à fusionner différents réseaux de sociabilités dont les membres respectifs ne se connaissaient pas au préalable. 177 178 Ibidem, p.66. Ibidem p.91. 60 Chapitre III : Perméabilité des réseaux amateur et professionnel 61 Que ce soit en tant que comédien, metteur en scène ou auteur, Mathieu Falla est en relation avec le théâtre amateur depuis le début de son cursus universitaire. Cette trajectoire spécifique permet le développement de diverses réflexions et problématiques, propres à ce secteur. Le concept de « théâtre amateur » est envisagé ici selon les critères définitoires avancés par Marie-Madeleine Mervant-Roux. Directrice de recherche au CNRS, ses travaux s’insèrent dans une réflexion portant sur l’exercice de la fonction dramatique en Europe. Ses recherches l’ont ainsi menée à étudier le secteur du théâtre amateur. Pour qu’une activité dramatique relève du théâtre dit « d’amateurs » ou « amateur », trois conditions- en dehors du caractère non lucratif de l’activité, critère objectif de tout amateurisme- sont exigées : a) le but de l’activité doit être le théâtre, non une action menée par le biais du théâtre ; b) sa structure doit être autonome ; c) d’une façon ou d’une autre, la relation à un public doit être inscrite dans la perspective, proche ou moins proche, des participants.179 III.1. Formation d’une troupe amateur Une fois diplômé, Mathieu Falla poursuit, dans un premier temps, ses activités au Théâtre Universitaire. Il procède entre autres à une mise en scène du Ratnâvali, célèbre pièce en sanscrit indien du XIIe siècle, en 1970. Deux ans plus tard, c’est François Duysinx qui reprend Les Solliciteurs pour le mettre en scène180. Il continue également à fréquenter le Cercle Interfacultaire de Littérature, comme en témoigne la mention de son nom dans la liste des « anciens du cercle »181. Sa collaboration avec l’Université de Liège ne cessera réellement qu’après la représentation de sa pièce La Rose et Le Chardon, en 1979. Parallèlement à son engagement au sein du TULg, Falla investit le champ théâtral en qualité d’auteur, avec des productions comme Une Poule sur un mur, Henry VI et Aliénor ou l’Aigle se réjouira, et de comédien, dans des mises en scène présentées au Théâtre de l’Étuve ou au Centre Dramatique de Liège182. C’est d’ailleurs par le biais de cette activité qu’il rencontre Francis Sourbié, qui devient le principal metteur en scène de ses pièces, l’intégrant ainsi au réseau professionnel dès 1978. Pendant plus de dix ans, de 179 MERVANT-ROUX, M. -M. (Dir.), Du Théâtre amateur. Approche historique et anthropologique, Paris, CNRS Éditions, 2004, p. 7. 180 Voir Annexe 1. 181 CIL, Op.Cit., 1967, p. 34, 182 Voir Annexe 3. 62 1966 à 1979, Falla fréquente donc trois secteurs différents du champ théâtral : le théâtre universitaire, le théâtre amateur et le théâtre professionnel. C’est de l’articulation de ces trois réseaux de fréquentation que va naître la Compagnie de la Cornue, en 1979. Avant de nous engager plus avant dans la création et la structure de cette nouvelle compagnie, il convient tout d’abord d’envisager l’état du champ théâtral amateur liégeois au moment de sa création. Cet état des lieux permettra ensuite de définir son placement par rapport à la dynamique de l’époque. Placement dans le paysage théâtral amateur Trois ans avant la création de la Cornue, en 1976, ont lieu les états généraux du théâtre amateur. Du 16 au 20 août, responsables culturels et directeurs de troupes se réunissent afin de « redéfinir la vocation culturelle des compagnies de théâtre amateur et préciser leur position au sein de l’action théâtrale »183. En amont de cette manifestation, les fédérations de théâtre amateur184 et les services provinciaux établissent ensemble un inventaire des compagnies de théâtre amateur en Communauté française et leur envoient à toutes un questionnaire relatif à leur composition et leur mode de fonctionnement (public, répertoire, diffusion, etc.)185. Les quelques questionnaires renvoyés sont ensuite analysés par le Centre de Sociologie du Théâtre de l’Université Libre de Bruxelles, dirigé à l’époque par Roger Deldime. Les résultats de ces enquêtes constituent ainsi le point de départ de quatre jours de réflexion, qui se concluent par des propositions concrètes visant à l’amélioration du fonctionnement des compagnies de théâtre amateur. Parmi elles, citons la coalition des fédérations théâtrales en une seule interfédérale représentant toutes les compagnies amateurs de Bruxelles et de Wallonie186, l’établissement d’un Vade-Mecum en vue d’améliorer l’accès aux informations relatives aux aides proposées187 et d’une liste des compagnies de théâtre amateur188. 183 HERLEMONT, M. (Dir.), Les États généraux du Théâtre amateur, In CACEF, numéro spécial, févriermai 1977, Centre d’Action culturelle de la Communauté française et Le Ministère de la Culture française, Spa, 1977, p. 15. 184 La Fédération Nationale des Compagnies Dramatiques de langue française, la Fédération Nationale des Dramatiques Catholiques de Belgique et l’Union Royale Nationales des Fédérations Wallonnes. 185 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit. p. 8. 186 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit. p. 49. 187 Ibidem, pp. 54-68. 188 Ibidem, pp. 69-106. 63 Outre l’intérêt des différents constats et propositions formulés par l’assemblée, il convient de s’interroger sur les enjeux d’une telle organisation et sur ce qu’elle réfracte du champ politico-culturel de l’époque. En 1976, la politique culturelle belge est animée par les principes de la démocratie culturelle, fervemment défendue par Marcel Hicter, alors directeur de la jeunesse et des loisirs189. Plus qu’un accès à la Culture, c’est à présent la médiation culturelle qui est visée. Dans cette optique, les activités artistiques en amateur sont fortement encouragées en ce qu’elles permettent une appropriation directe du fait culturel. C’est d’ailleurs la principale idée qu’Hicter développe dans son « Introduction aux états généraux » en déclarant : Si, depuis plus d’une génération, je proclame la nécessité d’amener les hommes à n’être pas des consommateurs de culture préfabriquée mais d’être des artisans de leurs propres loisirs, les inventeurs de leur joie c’est -je me dois de le dire ici- parce que j’ai formulé ma doctrine en situant en prémisse la pratique du Théâtre Amateur (sic).190 D’un point de vue diachronique, les années 1970 comptent un nombre croissant de troupes de théâtre amateur, après une forte baisse au cours des années 1960191. Parmi les différents facteurs qui pourraient expliquer cette diminution on retrouve l’expansion considérable de l’accès à la télévision, qui devient alors un véritable objet de consommation192. Cet argument est d’ailleurs avancé de façon détournée par Franck Lucas, dans son « avis » précédant la publication des résultats du Centre de Sociologie du Théâtre sur le théâtre amateur en Belgique francophone193. Il prône en effet l’unification des différents réseaux théâtraux, amateur comme professionnel car c’est « bien le théâtre tout entier (…) qui fut agressé une première fois, au début de ce siècle, par le cinéma, puis plus dangereusement, après la seconde guerre-mondiale (…) par la télévision »194. Relevons ici les termes « agressé » et « dangereusement », qui tendent à présenter le théâtre en position de faiblesse et de fragilité par rapport à ces autres médias. NOSSENT, J.-P., « Pratique de Démocratie culturelle : une méthode de l’égalité ? », In Les Analyses de l’Institut d’Histoire Ouvrière, économique et sociale (IHOES), 2009, p.2 [En ligne], URL : http://www.ihoes.be/PDF/JP_Nossent_Pratique_democratie_culturelle.pdf, (consulté le 09/07/2017). 190 HICTER, M., « Introduction », In HERLEMONT, M., Op. Cit., p.4. 191 MERVANT-ROUX, M.-M., « Amateur », In CORVIN, M., Op. Cit., p. 120-127. 192 GAILLARD, I., « De l'étrange lucarne à la télévision. Histoire d'une banalisation (1949-1984) », In Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 91, n°. 3, 2006, p. 4. 193 LUCAS, F., « Avis de l’Éditeur », In DELDIME, R. et VERHELPEN, P., Le Théâtre amateur. Enquête par questionnaires, Bruxelles, Institut de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles, 1980, p.6. 194 Ibidem 189 64 Cette image d’un théâtre « en danger » est particulièrement observable dans le secteur du théâtre dialectal. En effet, s’il était jusqu’alors notablement présent dans le champ théâtral belge, une forte baisse se fait également ressentir dans ce secteur 195. La tendance centripète des années d’avant-guerre dans le domaine théâtral belge avait favorisé la multiplicité des compagnies amateurs en langues dialectales : la plupart des infrastructures étant situées à Bruxelles, les autres provinces wallonnes développèrent principalement des théâtres accueillant des pièces de boulevard ou dialectales196. D’autre part, le mode de transmission oral de ces littératures avait jusque-là favorisé l’exploitation du domaine théâtral 197 . Dans les années 1970 en revanche, « la pratique décroissante des dialectes »198 entraîne dans le secteur un enlisement dans la tradition. En effet, seuls les ainés manient encore aisément l’usage de ces langues, ce qui leur confère un statut de supériorité par rapport aux nouveaux arrivants qui ne parviennent pas à renouveler les pratiques et le répertoire199. Ce manque de dynamisme va avoir pour effet l’isolement du théâtre en wallon des autres compagnies de théâtre amateur. À ce problème, l’assemblée propose d’instaurer un système de formation qui (…) sauvegardera l’écriture, la pensée ou le jeu d’instinct (…) mais étayera ces éléments par des bases solides de culture générale, sociale et littéraire, de psychologie, de connaissance et de maîtrise de soi, de scénographie, de terminologie théâtrale, de critique, d’élagage et d’actualisation du répertoire traditionnel.200 Cette proposition est en outre significative de la politique d’éducation permanente qui est alors menée en Belgique. La pratique du théâtre dialectal, telle qu’elle est préconisée ici, s’apparente davantage à un outil permettant l’acquisition d’un savoir pluriel qu’à une fin en soi. Par ces différentes démarches, la volonté prédominante de ces assemblées est l’unification et la valorisation du secteur théâtral amateur en Belgique francophone. Notons également que les résultats de l’analyse des questionnaires préalablement distribués aux différentes troupes fédérées seront encore étayés par une étude menée de 1979 à 1980 à l’initiative du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Culture. Le Centre de Sociologie du Théâtre approfondira en effet plusieurs aspects du questionnaire comme les motivations 195 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit., p. 44. DENIS, B., et KLINKENBERG, J.-M., Op. Cit. pp. 166-167. 197 Ibidem, p. 167. 198 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit. p. 44. 199 Ibidem, p. 44. 200 Ibidem, p. 45. 196 65 et les difficultés des troupes ou le statut socio-professionnel des comédiens amateurs201. Ce secteur intéresse donc bien la politique culturelle de l’époque. Un autre document témoigne d’un intérêt pour le théâtre amateur, plus spécifiquement dans le cadre de la ville de Liège. Il s’agit d’un mémoire de fin d’étude, réalisé en 1978 par Bernard Gabriel en vue de l’obtention d’une licence en Arts et Sciences de la Communication202. L’étudiant y contredit ou remet en question des éléments développés lors des états généraux. Ce travail universitaire ouvre une autre perspective sur le sujet. Sa première partie consiste en une recension des différentes troupes de théâtre amateur liégeois. Pour ce faire, l’étudiant mobilise trois sources différentes : la liste des théâtres amateurs liégeois établie par les états généraux de 1976, l’inventaire socio-culturel des Chiroux de 1978 et la liste des troupes invitées par le Centre d’Animation et de Loisirs Créatifs lors du Festival de Théâtres de Jeunes, la même année. La seule liste des états généraux n’est donc pas une base suffisante pour ses recherches. Une première cause de ce manque de fiabilité est relevée par la publication de l’Assemblée elle-même : Au moment de la recension, « près de 50 % des compagnies [contrôlées] n’avaient plus d’activités théâtrales ou n’existaient plus (…), tout en figurant toujours sur les différents fichiers »203. D’autre part, les questionnaires ne sont envoyés qu’aux troupes fédérées, excluant ainsi nombre de compagnies amateurs liégeoises, souvent plus jeunes ou plus marginales. En prenant en compte les compagnies oubliées par l’enquête des états généraux, Bernard Gabriel parvient à démontrer des innovations notables dans le champ théâtral amateur liégeois. Selon lui, trois nouvelles motivations sont en émergence chez les compagnies au moment de la réalisation de son mémoire : la diffusion d’un théâtre pour l’enfance et la jeunesse, le théâtre comme témoin d’une réalité sociale et un théâtre d’animation. Le théâtre pour l’enfance et la jeunesse connait lui aussi les répercussions de mai 1968. La redécouverte des préceptes de la pédagogie active développée par Freinet et Montessori, considérant l’enfant comme un adulte en devenir, capable de réflexion et 201 DELDIME, R., et VERHELPEN, P., Le Théâtre amateur. Enquête par questionnaires, Bruxelles, Institut de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles, 1980, p. 18. 202 GABRIEL, B., Le Théâtre amateur à Liège en 1978. Mémoire réalisé en vue de l’obtention d’une licence en Arts et Sciences de la Communication, Liège, Université de Liège, 1978. 203 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit. p.5. 66 désireux de s’exprimer, va entraîner un bouleversement de ce secteur théâtral. Les spectacles infantilisants ou moralisateurs laissent ainsi place à de nouvelles créations stimulant l’imaginaire de l’enfant et abordent des thématiques susceptibles de le concerner204. Dans cet élan de renouveau, un rassemblement des instances culturelles est également organisé en août 1970. À l’occasion du festival de Spa, plusieurs compagnies « jeune public » sont invitées à présenter leurs créations devant une assemblée d’enfants et adolescents, dont les réactions sont analysées par le Centre de Sociologie du Théâtre. S’ensuivent une série de débats, qui mèneront à la volonté de construire un théâtre d’innovations et de recherches pour le secteur jeune public205. Par ailleurs, le théâtre amateur liégeois va développer diverses méthodologies visant à faire de la pratique théâtrale un outil de témoignage d’une réalité sociale. Dans son mémoire, Bernard Gabriel relève deux types d’action. D’une part, les compagnies dont les membres vont eux-mêmes se faire les témoins d’une réalité sociale, comme par exemple la compagnie La Marre-Mythe, qui rassemble quelques jeunes femmes du conservatoire venues échanger leurs expériences en vue de soutenir ou de participer à des actions politiques concernant la condition féminine206. Ce type d’action théâtrale est par ailleurs représentatif d’une prise de conscience du statut de la femme dans les années 1970, déjà évoquée dans le chapitre précédent. D’autre part, certaines compagnies vont, à partir d’une réflexion menée en interne, présenter à un public cible un spectacle déjà créé. À titre d’exemple, mentionnons la troupe « Et pourtant, papa m’avait dit », qui va présenter la création Une blanche vaut deux noires lors de la manifestation « Tiers-Monde », organisées en 1978 à Malmedy. Ce projet de pièce est d’ailleurs soutenu et encadré par des agents du Théâtre de la Communauté des Escholiers, devenu « Théâtre de la Communauté ». La mention de ces démarches théâtrales en tant que caractéristiques émergentes du théâtre amateur liégeois est en contradiction avec les résultats de l’enquête menée par les états généraux207. Celle-ci révélait en effet « la prédominance d’une certaine conception du théâtre amateur (jouer, s’amuser, distraire, subsister) »208 sans mentionner une quelconque visée sociale ou politique dans le chef des troupes. Encore une fois, ce décalage peut 204 DELDIME, R., Une Aventure héroïque. Les pionniers du renouveau du théâtre jeunes publics en Belgique francophone (1970-1980), Bruxelles, Lansman Editeur, 2010, p. 11. 205 Ibidem, p. 2. 206 GABRIEL, B., Op. Cit. p. 41. 207 Ibidem, p. 71. 208 HERLEMONT, M. (Dir.), Op. Cit. p. 5. 67 s’expliquer par le mode de recensement des compagnies, qui ne pouvait tenir compte de toutes les émanations éphémères ou marginales. Venons-en enfin au développement du théâtre d’animation, qui se construit en lien étroit avec la catégorie précédente. Selon les recherches menées par le même étudiant, ce type de démarche théâtrale va majoritairement s’illustrer de deux façons à Liège. La première mène à l’implication directe du public dans l’action théâtrale tandis que la seconde fournit à ce public un outil de réflexion par le biais d’échanges idéologiques209. Ces deux types de démarches sont tout d’abord à replacer dans un contexte de développement de la forme du théâtre-action en région liégeoise. L’enjeu n’est plus ici de développer un système de médiation théâtrale entre le public et les œuvres mais bien d’encourager ce public à créer un théâtre qui soit le témoin de sa réalité. Dans cette perspective, des troupes de comédiens professionnels comme celle du Théâtre de la Communauté vont se rendre dans les banlieues et les quartiers ouvriers, créant ainsi un véritable échange avec les habitants. Leurs témoignages serviront de base de travail à la troupe pour monter une nouvelle création. Dans la seconde approche, les pièces sont jouées dans ces espaces et le débat y occupe alors une place centrale, allant parfois jusqu’à prendre le dessus sur le spectacle en cours. Par la suite, cette prise de distance par rapport à l’esthétique théâtrale sera remise en question par des auteurs comme Marc Liebens ou Jean-Marie Piemme, qui entendent combiner qualité esthétique et engagement social210. Du côté du théâtre amateur, l’animation théâtrale va également se développer dans différents types de cadres. Les compagnies favorisant une action directe du public ne se positionneront pas nécessairement dans une démarche de revendication politique. C’est le cas par exemple de la troupe du « Cirque Divers », qui va recourir au public dans une visée de reconstitution du quotidien211. La méthodologie de création est surtout tournée vers l’improvisation et ne recourt donc à aucun support écrit. Par ailleurs, la pratique du débat va se développer sur différents terrains, comme par exemple le milieu scolaire, qui est alors sujet à de nombreuses remises en question. Les discussions menées entre élèves et professeurs suite aux présentations tendent également à estomper l’écart hiérarchique qui les sépare. 209 GABRIEL, B., Op. Cit. p. 72. DELHALLE, N., Vers un Théâtre politique. Belgique francophone 1960-2000, Bruxelles, Le Cri-ULBULg, pp. 138-139. 211 GABRIEL, B., Op. Cit. p. 28. 210 68 La formation du Théâtre de la Cornue, en 1979 a donc lieu à une période charnière de renouveau du domaine théâtral amateur avec, d’une part, un affaiblissement notoire de la pratique théâtrale en wallon et d’autre part, l’émergence de nouvelles formes et de nouveaux enjeux. Par ailleurs, celui-ci tend à s’institutionnaliser, ce qui témoigne d’une volonté de valorisation du secteur mais aussi d’une uniformisation à venir. Un double placement L’état des lieux du secteur théâtral amateur réduit au cadre liégeois permet, dans un premier temps, d’interroger le placement de la Compagnie de la Cornue d’un point de vue historique. La partie qui suit consistera à articuler ce placement avec celui qu’elle occupe au sein de la pratique artistique amateur de manière générale. Cette démarche se construit en deux temps : l’analyse du discours produit par la compagnie elle-même et l’étude des membres qui la composent. En ce qui concerne le discours produit par la Cornue sur ses propres pratiques, un extrait du texte de présentation de la compagnie, inséré dans le dossier pédagogique de la pièce Casimir et Caroline d’Odön von Horvath, montée par la troupe en 1991, constitue le matériau de base de notre recherche : « Amateurs », c’est-à-dire bénévoles, par la force des contraintes économiques, les membres de la Cornue ont, pour la plupart, acquis leur expérience dans des écoles d’art dramatique et/ ou dans diverses troupes professionnelles. Quelques-uns ont appris le métier dans la troupe même, qui se veut un lieu d’apprentissage rigoureux. C’est ainsi que la Cornue a formé des personnalités qui font aujourd’hui partie du théâtre professionnel en tant que comédien, metteur en scène et scénographe212. Plusieurs éléments sont ici symptomatiques d’un placement particulier au sein du théâtre amateur. Premièrement, le caractère non lucratif de la Cornue (qui est le premier critère définitoire d’une compagnie théâtrale amateur) parait relever uniquement de « contraintes économiques ». Selon cet extrait, sans ces dernières, les membres ne relèveraient pas d’un statut de « bénévoles » mais de professionnels ; en atteste leur formation au sein des écoles d’art dramatique, d’ailleurs avancée ici comme un critère de qualité de la compagnie. Or, la formation professionnelle ne compte pas parmi les deux méthodes d’apprentissage majoritairement pratiquées dans le réseau amateur, à savoir le 212 CNRTL, « Amateur » In CNRTL, Portail lexical [En ligne], URL : http://www.cnrtl.fr/etymologie/amateur, (consulté le 30/07/2017). 69 tâtonnement et la mimesis213. Ainsi, en valorisant la qualification professionnelle de ses membres, la Cornue entend ici encore se distinguer du réseau amateur. De cette façon, la première partie de l’extrait témoigne d’une certaine conception de la pratique théâtrale amateur qui peut être mise en opposition avec les récents travaux de Mervant-Roux, selon laquelle « [f]aire du théâtre en amateur, ce n’est (…) pas faire la même chose que le théâtre professionnel, gratuitement et plus gauchement »214. Dans ses recherches, elle s’oppose à une hiérarchisation des pratiques théâtrales. Elle revendique en revanche leur distinction, articulée autour d’un statut, revendiqué pour le professionnel, inexistant pour l’amateur.215 La seconde partie de l’extrait présente la compagnie non seulement comme un espace d’accueil et de rencontres entre professionnels du spectacle, mais aussi comme un lieu de formation à part entière. Ici encore, le fait de se revendiquer comme un « lieu d’apprentissage rigoureux » marque une prise de distance par rapport au théâtre amateur qui, toujours à l’heure actuelle, est entouré de clichés, parmi lesquels persiste le manque de formation216. Enfin, le rôle formateur de la compagnie, qui va permettre à des comédiens, metteurs en scène ou scénographes d’atteindre le milieu professionnel, témoigne de ce que Laurent Fleury dénomme une « représentation évolutionniste de l’histoire et de la carrière des comédiens »217. Or, comme il le démontre, les concepts d’antériorité et d’infériorité étant très couramment associés, cette représentation contribue à la dévalorisation de la pratique amateur. Après avoir analysé ce bref métadiscours de la Compagnie de la Cornue relatif à la qualité de ses membres, nous allons à présent nous concentrer sur sa composition effective. Si une liste de tous ses membres n’est pas directement disponible, celle des productions permet d’en répertorier les auteurs, metteurs en scènes et scénographes, le nom des comédiens faisant donc défaut. Ce manque est néanmoins partiellement comblé par la consultation de la page Facebook du Théâtre de la Cornue. On y trouve en effet une dizaine d’anciennes photos, sur lesquelles des comédiens sont « identifiés ». La constitution d’un bref inventaire des membres de la troupe permet d’une part d’identifier différents réseaux 213 MORINIERE, T., Le Théâtre des Amateurs. Un jeu sur plusieurs scènes, Broissieux, Éditions du Croquant, 2007, p. 37. 214 MERVANT-ROUX, M.- M., « Introduction », In MERVANT-ROUX, M.-M., Op. Cit., p. 14. 215 Ibidem, pp. 12-14. 216 COLSON, R. « Idées reçues sur le théâtre amateur », In L’avant-scène théâtre n° 12631264, Paris, 1er mai 2009, pp. 189-190. 217 FLEURY, L., « Généalogie d’un Théâtre ´sans qualité`. Le Théâtre amateur, l’Éducation populaire et l’État culturel », In MERVANT-ROUX, M.-M.,(Dir.), Op. Cit., p. 65. 70 de sociabilité coexistant dans cette association et, d’autre part, d’envisager son placement au sein du théâtre amateur liégeois. Parmi les noms figurants à de nombreuses reprises dans la liste des productions, outre Mathieu Falla et Vivienne Martin, reviennent régulièrement ceux de Maggy Jacot et Francis Sourbié. Comme évoqué brièvement dans le chapitre II, Maggy Jacot est une ancienne élève de Vivienne Martin, professeur de français à l’école secondaire technique d’Avroy. Cet établissement scolaire peut ainsi être considéré comme un espace social autour duquel se réunissent également Dominique Brévers, Joëlle Ledent et Claudine Maus. Par la suite, Maggy Jacot et Dominique Brévers vont toutes deux entamer un cursus en Histoire de l’Art à l’Université de Liège. Elles y rencontreront deux autres membres de la compagnie : Éliane Jortay et Thierry Wesel. Toutes ces personnes se sont ensuite professionnalisées dans le milieu artistique. Parallèlement, un deuxième réseau va se constituer autour de Francis Sourbié, qui appartenait déjà au milieu professionnel au moment de sa rencontre avec Mathieu Falla. Il va enrichir la compagnie de la Cornue de personnes spécialisées dans le domaine théâtral, comme Françoise Varenne218, une dramaturge qui avait déjà collaboré avec lui auparavant et qui va participer à la mise en scène de Les Amours de Don Perlimplin et de Bélise en son jardin en 1996219. Sourbié va aussi intégrer des membres de la compagnie à son propre réseau social, en montant par exemple des spectacles avec la collaboration de Maggy Jacot (Aliénor ou l’Aigle se réjouira en 1992 et Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut en 1999)220. Un troisième réseau de sociabilité peut être relevé, cette fois au sein des comédiens participants aux créations. On retrouve en effet « identifiés » sur les photos des spectacles de la compagnie Christiane Beaujot, Gaetan Giambra, Michel Gramme (qui se charge de la mise en scène du Chasseur français de Boris Vian en 1995)221 et Vincent Kelner. L’association de ces quatre noms réapparait en 2012, dans la distribution du spectacle Sous le même ciel…Il m’arrive parfois de penser à autre chose, mis en scène par Diego Messina et produit par le Théâtre Imbroglio. Il est intéressant de constater que cette création figure Théâtre de la Cornue, « La Cornue », In Projet. Casimir et Caroline d’O. Von Horvath, p.2. Les Archives du Spectacles, « La Maison de Bernada Alba », In Les Archives du Spectacles, moteur de recherche pour les Arts de la Scène [En ligne], URL : http://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Spectacle=76457, (consulté le 04/08/2017). 220 Bnf, « Maggy Jacot », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14684521/maggy_jacot/, (consulté le 25/05/2017). 221 Voir Annexe 2. 218 219 71 dans la programmation de l’édition 2012 d’Odyssée Théâtre222. Créée par le service culturel de la Province de Liège depuis maintenant quinze ans, « l’opération Odyssée » consiste à valoriser la collaboration entre réseau professionnel et réseau amateur en permettant aux troupes retenues de bénéficier d’un encadrement professionnel. Or, le fonctionnement de la Cornue décloisonne également les réseaux amateurs et professionnels lors de ses créations. De cette façon, même si ces comédiens amateurs n’appartiennent plus à la compagnie, ils s’intègrent dans une démarche de création valorisant le même mode d’encadrement. Nous observons donc une continuité dans ces pratiques amateurs. Parmi les noms mentionnés dans la liste des créations, relevons également celui d’Alain-Guy Jacob. Romaniste formé à l’Université de Liège et ancien membre du TULg, il y avait lui aussi mis en scène plusieurs pièces sous la direction de François Duysinx. À la fin des années 1960, il entre comme professeur au Conservatoire de Liège, Institution qui connaîtra très rapidement de nombreuses réformes. C’est en effet à cette époque que René Hainaux décide d’enrichir le cursus de la formation d’acteur d’une session expérimentale, visant à rendre compte des diverses mutations que le domaine théâtral connait alors. Une figure emblématique de ce renouveau est Max Parfondry. Ancien étudiant romaniste de la même promotion que Mathieu Falla, il décide de suivre une formation de comédien suite à laquelle il intègre rapidement le conservatoire comme professeur d’Art Dramatique. En 1976, il devient le représentant de la formation des comédiens-animateurs, visant à former les comédiens à la démarche du théâtre-action, qui est alors en pleine expansion. Pour ce faire, les étudiants sont confrontés à de nouvelles méthodologies, fondées sur la réalisation de projets et de créations collectives. Ces nouveautés ne plaisent cependant pas à tout le monde et, par manque de soutien public, la section est contrainte de fermer à la fin des années 1980. Cette décision va alors générer un véritable clivage au sein de l’Institution, opposant deux conceptions de la pratique théâtrale, « classique » d’une part et novatrice de l’autre223. Elles seront respectivement représentées par Alain-Guy Jacob et Max Parfondry. 222 ODYSSÉE THÉÂTRE, « Saison 2012 », In Site Odyssée Théâtre [En ligne], URL : http://archives.odysseetheatre.be/archives/saison2012b/spectacles/souslememeciel/index.html, (consulté le 29/07/2017). 223 DELHALLE, N., « Théâtre : Croisement entêté avec le Politique », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J.(Dir.) Op. Cit. pp. 149-152. 72 Or, c’est précisément de cette époque que date la collaboration d’Alain-Guy Jacob avec la Théâtre de la Cornue. En 1989, il met en scène La Métaphysique d’un veau à deux têtes, puis, en 1991, Casimir et Caroline dont nous avons exploité le dossier pédagogique. Sachant la dynamique de rivalité qui existe alors entre les professeurs plus conservateurs (représentés par Jacob) et ceux qui défendent l’innovation théâtrale (représentés par Parfondry)224 au conservatoire, la collaboration de la compagnie de la Cornue avec AlainGuy Jacob laisse supposer un retrait volontaire par rapport aux innovations théâtrales de l’époque. Revenons à présent à la participation active de Maggy Jacot aux créations de la compagnie. Au total, elle réalise neuf scénographies de spectacle, dont sept entre 1980 et 1984. Sachant qu’elle suit un cursus en Histoire de l’Art de 1978 à 1982225, elle est donc étudiante, puis jeune diplômée durant cette période. Ainsi, dès 1985, elle réalise des scénographies (décors, costumes, maquillages) pour des compagnies théâtrales qui se positionnent clairement dans la veine progressiste et novatrice du champ théâtral. De 1985 à 1990, elle travaille avec le Théâtre de l’Échappée, qui manifeste « le souci d’aller vers des publics et dans des lieux où le spectacle n’est pas une affaire habituelle »226 ; la compagnie Mezza Luna, appartenant à « la mouvance du théâtre alternatif et de recherche »227; et le Théâtre-Poème, installé dans la commune de Saint-Gilles et qui développe les créations théâtrales pour la jeunesse228. Aujourd’hui, Jacot est surtout connue dans le monde théâtral liégeois pour sa collaboration avec Axel De Booseré, cofondateur de la Compagnie Arsenic et ancien élève de Max Parfondry. Ainsi, alors qu’elle collabore surtout avec une compagnie amateur en marge des formes d’engagements sociaux de l’époque, Maggy Jacot poursuit la majorité de son parcours professionnel dans le secteur du théâtre militant. Cette migration vers un réseau professionnel engagé se remarque également chez Claudine Maus. Bien que moins active à la Cornue que son amie Maggy Jacot, elle réalise cependant les scénographies de Dialogue de Courtisane en 1984 et Les 224 GUTTIEREZ, M., « Malaise au Conservatoire de Liège », In Journal Le Soir du 8/11/1990 [En ligne], URL : http://www.lesoir.be/archive/recup%3A%252Fmalaise-au-conservatoire-de-liege_t-19901108Z0394A.html, (consulté le 01/08/2017). 225 La Bellone « Maggy Jacot », In Site La Bellone. Maison du Spectacle [En ligne], URL : http://www.bellone.be/fr/persondetail.asp?IDfichier=1680230, (consulté le 01/08/2017). 226 THÉÂTRE DE L’ÉCHAPPÉE, « La Compagnie », In Site du Théâtre de l’Échappée [En ligne], URL : http://www.theatrelechappee.com/index.php?page=compagnie, (consulté le 02/08/2017). 227 COMPAGNIE MEZZA LUNA, « Qui sommes-nous ? », In Site de la Compagnie Mezza Luna [En ligne], URL : http://www.cie-mezzaluna.be/, (consulté le 03/08/2017). 228 THÉÂTRE - POÈME 2, « Histoire », In Site de le Compagnie Théâtre-Poème 2 [En ligne], URL : http://www.theatrepoeme.be/info-pratiques/#histoire, (consulté le 03/08/2017). 73 Amoureux en 1987. Elle mettra également en scène La Plaisante Aventure de Goldoni en 1993. À ce jour, elle travaille pour le Collectif Mensuel229, lui aussi « investi dans un Théâtre de sens »230. Les débuts de la Compagnie de la Cornue sont donc marqués par la présence de membres qui s’orienteront par la suite vers une veine théâtrale qui se revendique progressiste tant sur le plan esthétique que politico-social. C’est d’ailleurs ce type de théâtre qui va dominer à Liège dans le réseau professionnel. En témoigne, entre autres, la composition de la direction du Théâtre Nouveau Gymnase, qui deviendra ensuite le Théâtre de la Place : Guy Lesire et Billy Fassbender sont en effet choisis au détriment du duo formé par Alain Guy-Jacob et José Brouwer, lui aussi concurrent231. D’autre part, le Conservatoire, Institution symbolique de ce champ, se positionne lui aussi clairement dans cette optique théâtrale. Nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure le départ de membres comme Maggy Jacot, Claudine Maus et Thiery Wesel a pu avoir un impact sur le fonctionnement de la Cornue, et sur sa posture au sein du champ théâtral. Quel répertoire ? Toujours dans le dossier de présentation de la pièce Casimir et Caroline d’Odön von Horvath, la compagnie de la Cornue explicite les objectifs et les valeurs qu’elle entend défendre. Alors active dans le champ théâtral liégeois depuis une douzaine d’années, elle choisit tout d’abord de mettre en avant la « régularité », « l’ouverture » et la « qualité » qui caractérisent sa production. La valeur de régularité avancée dans le dossier de présentation se justifie par un rythme de production constant, comptant en moyenne deux spectacles par an. Le principe d’ouverture se rapporte en revanche à la formation du répertoire, constitué de textes « méconnu[s] ou oublié[s], généralement ignoré[s] des compagnies professionnelles », 229 La Bellone « Claudine Maus », In Site La Bellonne. Maison du Spectacle [En ligne], URL : http://www.bellone.be/fr/persondetail.asp?IDfichier=1680695, (consulté le 03/08/2017). 230 Collectif Mensuel, « Le Collectif », In Site du Collectif mensuel [En ligne], URL : http://www.collectifmensuel.be/le-collectif-mensuel, (consulté le 03/08/2017). 231 DELHALLE, N., « Théâtre : Croisement entêté avec le politique », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J., (Dir.), Op. Cit. p. 142. 74 pouvant appartenir « à tous les genres théâtraux pourvu qu’[ils] comportent des qualités (littéraires, intellectuelles, émotionnelles, distractives…) »232. De prime abord, un parallélisme peut être établi entre la définition du répertoire de la Cornue et celle revendiquée dans la charte des Théâtres Universitaires de 1962, qui elle aussi préconisait l’exploration de textes méconnus ou peu joués. Ce point commun s’explique sans doute par la forte présence d’anciens membres du Théâtre Universitaire de Liège dans la troupe, parmi lesquels les deux principaux fondateurs. Par ailleurs, le fait de ne mentionner que des « textes » pour qualifier la formation du répertoire suggère l’absence de créations collectives. Enfin, l’« ouverture à toutes les formes d’expression artistique » préconisée par la compagnie peut faire écho à la récurrence des créations et représentations musicales ou dansées sous la direction de François Duysinx, lui-même musicien reconnu. L’analyse du répertoire des pièces présentées par la compagnie de la Cornue de 1980 à 1991 relève en effet une volonté d’originalité, de recherches de pièces oubliées, méconnues ou rarement montées. Plusieurs types de textes méconnus sont dès lors à distinguer. Majoritairement, la démarche de la compagnie consiste à choisir des œuvres d’auteurs consacrés mais peu jouées ou n’appartenant pas au genre dramatique. À titre d’exemple, nous pouvons citer : L’Équarrissage pour tous et Le Chasseur Français de Boris Vian, Le Vampire d’Alexandre Dumas, La famille de Carvajal de Prosper Mérimée, ou encore deux romans de Victor Hugo : Les Gueux et Mangeront-ils ? On retrouve également des pièces contemporaines comme La Vie singulière d’Albert Nobs, roman de l’Irlandais George Moor, adapté par Simone Benmussa en 1977, La métaphysique d’un veau à deux têtes, pièce tropico-australienne en trois actes, de Stanislaw Ignacy Witkiewicz et L’Oiseau vert de Benno Besson. Par ailleurs, jusqu’en 1991 on ne compte que deux créations réalisées par Mathieu Falla : Le Satiricon II, qui fera ici l’objet d’un commentaire plus approfondi, et Les Amours de Mariana. Les productions inédites seront en revanche beaucoup plus nombreuses les années suivantes avec quatre nouvelles pièces du même auteur (Gilles ou l’étranger, L’emporte-pièce, Oubliez le guide et Adrienne Marthe Pélouagne, dernière pièce présentée par la compagnie, en 1999) mais aussi de Laurence Adam et Vincent Kelner, également membres de la compagnie. 232 Théâtre de la cornue, « La Cornue », In Théâtre de la Cornue, Op. Cit.,p.2. 75 Envisageons à présent le positionnement de la Cornue par rapport à l’étude menée par Marie-Madelaine Mervant-Roux sur le répertoire du théâtre amateur233. Après une analyse de la programmation inventoriée de 1995 à 2001 par la Fédération Nationale (française) des Compagnies de Théâtre et d’Animation (FNCTA), en ressort comme premier constat « la domination écrasante de la comédie »234. Or, à la Cornue, du point de vue du genre des œuvres présentées, seulement un tiers relève de celui de la comédie235. Cette caractéristique est d’autant plus marquée pendant les premières années de la compagnie : sur les cinq textes montés de 1980 à 1982, aucun n’appartient à ce genre. Un autre point de divergence avec la tendance générale du répertoire amateur est la présence notable de littérature dramatique étrangère, qui fait généralement défaut. Treize pièces sur les trente-trois présentées de mars 1980 à novembre 1999 sont en effet des traductions de pièces étrangères. Il apparait donc ici que la volonté de distinction par rapport au théâtre amateur, déjà soulevée au point précédent, transparait dans la composition du répertoire de la compagnie. L’analyse de celui-ci laisse en effet à penser que les membres veulent se positionner en opposition des clichés qui entourent le répertoire du théâtre amateur, trop souvent perçu comme « un fourre-tout de saynètes et de pièces purement divertissantes »236. Par ailleurs, force est de constater le peu de « propositions contemporaines de constructions non linéaires »237 dans la composition du répertoire. Cette caractéristique est quant à elle commune aux tendances générales du répertoire amateur relevée par l’étude de MervantRoux. Envisageons à présent le répertoire de la compagnie dans une perspective historique. Comme le démontre Mervant-Roux, la période suivant les événements de mai 1968 voit naître la production de textes qualifiés de « théâtre pour dire »238. L’objectif est alors de réunir l’ensemble de la compagnie autour d’une création collective, devant être le reflet d’une contestation, d’une revendication. Toujours selon les recherches menées par Mervant-Roux, si l’objet des textes montés n’est plus aussi clairement politiques, les 233 MERVANT-ROUX, M.- M., « Le répertoire des Amateurs. Ethnographie du texte dramatique », In MERVANT-ROUX, M.-M.,(Dir.), Op. Cit., p. 114. 234 Ibidem, p.115. 235 Voir Annexe 2. 236 MERVANT-ROUX, M.- M., « Le répertoire des Amateurs. Ethnographie du texte dramatique », In MERVANT-ROUX, M.-M., Op. Cit., p. 114. 237 Ibidem, p. 115. 238 Ibidem, p. 120. 76 procédés d’écriture se sont maintenus et même développés au fil des ans. Rappelons que l’émergence de ce type d’écriture est également relevée pour le secteur théâtral amateur liégeois dans le mémoire réalisé par Bernard Gabriel. Cependant, cette tendance n’apparait nullement dans le répertoire du Théâtre de la Cornue. Seule la pièce Lucrèce Borgia ?, montée en mars 1981, est présentée comme une « création collective ». Or d’après le titre, il s’agit surtout d’une adaptation de Lucrèce Borgia, drame en prose de Victor Hugo. La création s’inspire donc clairement d’un texte préexistant. Il est vrai que la liste des productions compte quelques textes originaux, rédigés par des membres de la compagnie, mais il apparaît clairement que les textes de Mathieu Falla ont été écrits en aval des répétitions menées par le reste de la troupe. Le Satiricon II et Adrienne Marthe Pélouagne, respectivement présentés en 1982 et en 1999 par la Compagnie de la Cornue, sont d’ailleurs mis en scène dès 1979 et 1984 par la troupe professionnelle de Francis Sourbié. III.2. Théâtre amateur et théâtre professionnel : des vases communicants La partie qui suit a pour enjeu d’illustrer les divers échanges et accointances entre réseaux amateur et professionnel. La première étape de notre démarche consiste en l’élaboration d’un corpus des textes composés par Falla depuis sa dernière collaboration avec le Théâtre Universitaire. Une fois ces derniers classés en fonction de leur date de composition et de leur insertion dans le réseau théâtral amateur ou professionnel, il apparait que la production dramatique de Mathieu Falla à partir de 1978 alterne entre réseau professionnel et réseau amateur. De plus, certains textes s’insèrent, à des époques différentes, dans l’un et l’autre réseau. Les précédentes parties de ce chapitre ont déjà relevé certaines caractéristiques prégnantes du théâtre amateur liégeois, et en particulier dans la troupe de la Cornue. Nous allons donc à présent nous pencher sur les spécificités du réseau professionnel dans lequel s’intègrent les productions de Falla. Intégration du réseau professionnel Mis à part Tricoter à Pontoise, mis en scène par Dominique Poulange en 1980, Francis Sourbié se charge de toutes les mises en scènes des pièces de Mathieu Falla 77 présentées dans le réseau professionnel239. Ainsi, l’étude du répertoire des productions réalisées par Francis Sourbié au sein de ce réseau240 permet un premier aperçu du champ dans lequel s’insèrent les productions de Falla. La comparaison de deux de ces pièces avec l’ensemble des mises en scène de Sourbié permet, dans un second temps, l’évaluation des influences mutuellement subies par les deux agents. Au moment de sa première collaboration avec la Compagnie de la Cornue en 1981, Francis Sourbié a déjà réalisé plusieurs scénographies, costumes et mises en scènes dans le réseau professionnel. L’ensemble de ses productions se partagent entre Paris et Compiègne, commune française du département de l’Oise, dont il est originaire. Parmi les établissements parisiens apparaissent : le Café-théâtre Le Sélénite, le Globe MCDV, petit théâtre de quarante places, et le Théâtre Essaïons. Tous appartiennent au secteur privé. La Salle Nicolas, qui accueille d’autres de ses mises en scène dans la Commune de Compiègne, est également privée. Or, il existe en France un véritable clivage entre théâtre subventionné et théâtre privé. Ce dernier est souvent associé à des valeurs mercantiles : installées pour la plupart en Ile-de-France en raison de l’accessibilité de la main d’œuvre et du flux touristique, les infrastructures privées répondent avant tout à des impératifs économiques, car elles ne peuvent se permettre le manque de succès d’un spectacle. Elles privilégient ainsi les formes standardisées, susceptibles de plaire au plus grand nombre, comme les grands classiques du répertoire ou les pièces humoristiques. C’est également dans cette optique que certains théâtres mettent à l’affiche des stars du cinéma ou de la télévision, déjà connues d’un large public241. En ce qui concerne les productions de Francis Sourbié, deux tendances souvent associées au secteur privé sont relativement constantes : la prédominance de la comédie et une esthétique du faste. Parmi les comédies, trois sont issues du grand répertoire français : Les Fourberies de Scapin et Le Malade Imaginaire de Molière et La Double Inconstance 239 BnF, « Mathieu Falla », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14678646/mathieu_falla/, (consulté le 11/10/2016). 240 BnF DATA, « Francis Sourbié », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14654435/francis_sourbie/#rdt500-14654435, (consulté le 30/09/2016) et Les Archives du Spectacles « Francis Sourbié », In Les Arcives du Spectacle. Moteur de recherche pour les Art de la Scène [En ligne], URL : http://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Spectacle=64810, (consulté le 06/05/2017). 241 BARBERIS, I., et POIRSON, M., L’économie du Spectacle vivant, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2016, p.25. 78 de Marivaux. D’autres sont de nouvelles créations comme Mais qui est donc MarieGoujon, définie comme « un opéra-cavalcade en 36 tableaux, 120 costumes et une apothéose »242 et J’habite seul avec maman. Certains documents témoignent de l’importance accordée aux costumes. La rubrique « À ne pas manquer ce soir » du Nouvel Observateur recommande par exemple Mais qui est donc Marie-Goujon, première mise en scène de Sourbié à être répertoriée, pour le « joli tour de force qui fait défiler cent douze très beaux costumes »243. De la même façon, le comédien Philippe Miglioli témoigne sur son site244 à propos de J’habite seul avec maman : « En dehors des répétitions, nous procédions à de nombreux essayages chez une couturière et dans les boutiques »245. Enfin des photos de la mise en scène de la Salomé d’Oscar Wilde, réalisée en 1988246 témoignent d’une recherche portée sur le faste et le réalisme, qui ne correspondent pas aux codes esthétiques du théâtre contemporain subventionné. Davantage situé dans une démarche de recherche et d’innovation théâtrale, ce secteur a plus facilement assimilé la remise en question de l’illusion réaliste, amorcée depuis le mouvement symboliste à la fin du XIXe siècle247. À côté de ces caractéristiques transparaissent cependant quelques pièces plus audacieuses comme Renaud et Armide de Cocteau, La Lacune, pièce en un acte de Ionesco ou les Ignudi, une courte pièce créée à partir des « Sonnets » de Michel-Ange. Citons encore deux créations : Enluminures autour du procès de Gilles de Rais et Moi, Pierre Cauchon, je m’y emploierai. La première est un « texte original des minutes du procès [de Jeanne d’Arc], traduit en français moderne et découpé pour la scène, sans altérations ni rajouts »248, présenté au Théâtre Essaïons en mars 1975. Cette pièce s’éloigne donc radicalement des comédies légères ou des grands titres connus et appréciés du public. La 242 Les Archives du Spectacles « Francis Sourbié », In Les Arcives du Spectacle. Moteur de recherche pour les Art de la Scène [En ligne], URL http://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Spectacle=64810, (consulté le 06/05/2017). 243 LE NOUVEL OBSERVATEUR, « À ne pas manquer ce soir ! » In Journal Le Nouvel Observateur, 06/03/1972, p.17 [En ligne], URL http://referentiel.nouvelobs.com/archives_ pdf/OBS0382_19720306/OBS0382_19720306_017.pdf, (consulté le 23/05/2017. 244 MIGLIOLI, P., « Travesti au Globe MCDV », In Site de Philippe Miglioli, Comédien et auteur [En ligne], URL : https://www.philippe-miglioli-theatre.org/com%C3%A9dien/le-globe-j-habite-seul-avecmaman/, (consulté le 03/08/2017). 245 Ibidem 246 Voir Annexe 4 247 PAVIS, P., Op.cit., p.21. 248 BnF DATA, « Enluminures autour du procès de Gilles de Rais », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/39492945/enluminures_autour_des_minutes_du_proces_de_gilles_de_rais_spectacle_197 5/, (consulté le 02/08/2017). 79 seconde est présentée en janvier 1978, à l’occasion du onzième centenaire de la ville de Compiègne, dont le patrimoine historique doit beaucoup à la figure de Jeanne d’Arc249. La pièce est d’ailleurs rédigée par Geneviève Baïlac, alors directrice du Centre Culturel. Cette collaboration témoigne, une fois de plus, de l’importance des réseaux de sociabilité dans une trajectoire artistique. Cette brève élaboration de la production de Francis Sourbié laisse donc apparaître un balancement entre, d’une part, des mises en scène portant sur des textes classiques, contenant certaines caractéristiques généralement attribuées au secteur privé, et d’autre part, certaines pièces plus originales, moins susceptibles de rencontrer l’approbation d’un large public. Les deux textes sélectionnés ici afin d’évaluer le positionnement de Mathieu Falla au sein du secteur professionnel Anticosi ou les péchés capiteux et Aliénor ou l’Aigle se réjouira, sont respectivement le premier et le dernier de ses textes mis en scène par Francis Sourbié. Anticosi ou les péchés capiteux, est donc la première pièce résultant d’une collaboration entre Mathieu Falla et Sourbié ; commandée par le metteur en scène, elle répond à trois critères liés à un objectif de réduction des coûts : une petite distribution (trois comédiens), pour un spectacle de courte durée, demandant peu de mise en place. Falla met une semaine à écrire ce texte, construit comme une paraphrase du Cosi fan tutte de Mozart. La fable de la version originale est assez simple : deux jeunes Napolitains sont mis au défi de conserver l’amour de leurs fiancées respectives durant leur absence. Ils décident alors de feindre un départ à la guerre et reviennent ensuite travestis en soldats étrangers pour les séduire et ainsi tester leur fidélité. Après avoir succombé aux avances des soldats, les jeunes filles apprennent qu’il s’agit en réalité de leurs maris. Tous finissent néanmoins par se réconcilier250. L’intrigue de cet opéra est donc assez peu originale : on y retrouve les topos du travestissement et de l’infidélité amoureuse, particulièrement récurrents dans le genre de la comédie. Comme voulu par Francis Sourbié, l’adaptation qui en est faite par Falla ne nécessite par ailleurs qu’un budget réduit et une distribution restreinte. Ajoutons à cela la 249 DEHARVENG, P., « Le souvenir et le culte de Jeanne d'Arc à Compiègne », In Bulletin de la Société historique de Compiègne 28 (1982), pp. 231-243 [En ligne], URL : file:///C:/Users/User/Documents/M%C3%A9moire/Textes%20Falla/Textes%20Falla%20%20Copie/gilles%20de.pdf, (consulté le 06/08/2017). 250 LAROUSSE, « Cosi fan Tutte », In Encyclopédie [En ligne], URL : http://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/Cosi_fan_tutte/114797, (consulté le 06/07/2017). 80 rapidité de rédaction de la pièce, pouvant également être mise en lien avec une contrainte de rentabilité. À première vue, L’Anticosi semble donc répondre aux exigences économiques mais aussi esthétiques généralement associées au théâtre privé. Par ailleurs, Falla intervertit les rôles masculin et féminin, puisque ce sont ici les femmes qui feignent de partir et reviennent incognito pour tenter de séduire leurs maris. L’auteur adopte ainsi un regard critique par rapport aux clichés misogynes qui voudraient que l’infidélité soit un « vice proprement féminin ». Cette tendance n’est pas nouvelle, elle a déjà été abordée lors de l’analyse de ses textes présentés au Théâtre Universitaire. La visée critique reste la même également, la pièce fait allusion à des stéréotypes concernant la figure féminine mais n’a pas pour enjeu de les remettre véritablement en question. La brièveté de la pièce et sa distribution restreinte ne sont d’ailleurs pas non plus des traits spécifiques à Anticosi : ils apparaissent en effet dès les premiers textes de l’auteur comme Les Solliciteurs ou L’Intrus. Nous pouvons donc nous demander si la forme de l’Anticosi relève entièrement des exigences imposées par Francis Sourbié (qui semblent de prime abord contraignantes) ou si elles constituent au contraire une constante dans l’esthétique des pièces de Mathieu Falla. Si la construction du titre d’Aliénor ou l’Aigle se réjouira tend à rapprocher ce texte du précédent (Anticosi ou les péchés capiteux), les deux pièces se distinguent pourtant de manière notoire. Composée en 1977, Aliénor reçoit le Prix Littéraire Dramatique de la Province de Liège en 1979, ce qui lui confère une certaine légitimité dans le champ littéraire. Plusieurs éléments ont pu susciter la reconnaissance de cette pièce. D’après l’interview que Mathieu Falla donne au Journal Le Soir251, le parcours atypique d’Aliénor d’Aquitaine, doublement couronnée de France et d’Angleterre l’avait déjà fasciné lorsqu’il suivait les cours de Rita Lejeune. Sa curiosité et l’envie d’écrire l’ont ensuite poussé vers de longues recherches sur ce personnage de l’Histoire médiévale et son parcours atypique252. Ce travail de recherche est perceptible à la lecture du texte. Le personnage d’Aliénor y est présenté lors des derniers instants de sa vie, en conversation avec le chevalier Geoffroy, dernier amant de son fils Richard. En parallèle de cette action, située dans un temps présent, la reine se confronte à différentes pensées, représentant chacune des 251 252 BONMARIAGE, E., Art. Cit. Ibidem. 81 périodes de sa vie. Les différents dialogues entre ces souvenirs sont ainsi prétexte à retracer l’histoire d’Aliénor, ou plutôt, l’histoire de ses sentiments et ressentis. Comme l’illustre l’extrait suivant, si le contexte historique de la pièce apparait bien en toile de fond, c’est avant tout de l’évolution d’un personnage dont il est question ici. A 2 : Quel Raymond ? L’oncle Raymond qui vivait chez les païens ? A 5 : Encore un souvenir bien aigu, une tendre flèche au cœur qui fait les jours plus doux ; ou plus déchirants, c’est selon. A 2 : Mais qu’est-ce qu’elles ont à se mettre dans des états pareils ? A 6 : Raymond est une affaire classée et qui ne nous concerne plus. Ce fût triste. Point c’est tout. […] A 3 : Et toi, la dernière, toi, la vieille, tu l’oublies aussi l’horrible douleur ? Tu ne te souviens pas du cri qui nous est monté des entrailles, et que nous n’avons même pas pu pousser parce qu’un regard de Louis ne nous quittait pas ? Une reine ne peut pleurer que la mort de son défunt roi, pas un amour ! […]253 Le passage retranscrit ici évoque la relation qu’Aliénor a entretenue avec Raymond de Poitiers, le plus jeune frère de son père, lors d’une expédition à Antioche 254. La discontinuité chronologique du récit et le ton allusif des différents souvenirs rendent cependant insaisissable les références historiques pour un spectateur non averti. De plus, seul un numéro, sensé indiquer l’époque dans laquelle se situe chaque souvenir d’Aliénor permet au lecteur de contextualiser leur réplique. Ces échanges de souvenirs alternent avec des dialogues entre Aliénor « du temps présent » et Geoffroy. Les échanges sont ici plus concrets et retracent les derniers voyages de la reine. Aliénor : Il est temps de vous retirer, Monsieur l’impertinent, et de préparer votre équipage. Nous descendons sur Bordeaux. Geoffroy : Vous êtes donc inépuisable. Aliénor : Je tâche de m’en persuader255. Aliénor ou l’Aigle se réjouira est donc une pièce particulièrement construite, tant du point de vue narratif que de l’analyse psychologique des personnages. En cela, elle se distingue nettement de l’Anticosi, dont l’intrigue s’articule autour d’une situation cocasse, au cours de laquelle les personnages se définissent par leurs actions, plus que par leurs FALLA, M., Aliénor ou l’Aigle se réjouira, 1977, p. 24. FAVIER, J., « ALIÉNOR D'AQUITAINE (1122 env.-1204) », In Encyclopædia Universalis [en ligne], URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/alienor-d-aquitaine/, (consulté le 11/12/2017). 255 FALLA, M., Aliénor ou l’Aigle se réjouira, 1979, p. 37. 253 254 82 discours (travestissement, séduction, tromperie). Une partie de la mise en scène est ainsi déjà intrinsèque au texte, ce qui la rend plus aisée. Cette facilité de montage fait en outre défaut dans Aliénor car le caractère décousu des répliques et la superposition de différents cadres spatio-temporaux doit pouvoir être rendue sur scène. Notons à ce propos que la scénographie de ce spectacle conçue par Maggy Jacot 256 contraste avec celle de la Salomé de 1988257, réalisée quatre ans plus tôt par Francis Sourbié. La surcharge et le réalisme du décor et des costumes laissent cette fois place à une esthétique de l’épuration. La prédominance du blanc et les décors non figuratifs contribuent à atténuer le cadre historique de la pièce pour se focaliser sur les personnages. Ces éléments donnent ainsi l’impression d’un non-lieu, dans lequel évoluent les souvenirs, eux-mêmes entre rêve et réalité. Collaboration avec une troupe de théâtre amateur Après avoir envisagé l’investissement d’un dramaturge amateur au sein du réseau professionnel, nous allons à présent focaliser notre point de vue sur l’insertion d’un metteur en scène professionnel dans une compagnie amateur. La position de Falla au sein de la compagnie de la Cornue, dont il est le principal fondateur, laisse supposer d’une certaine liberté créatrice. Les textes qui y sont présentés sont donc, a priori, représentatifs de ses convictions artistiques. Ce contexte de mise en scène s’oppose ainsi à celui des théâtres privés français, qui doivent quant à eux se soumettre à certaines contraintes économiques, entraînant d’éventuelles altérations esthétiques. Au total, six textes de Mathieu Falla ont été mis en scène par la compagnie de la Cornue : Satiricon II (1982), Les Amours de Mariana (1986), Gilles ou l’Étranger (1994), L’emporte-pièce (1995) Oubliez le Guide (1997) et Adrienne-Marthe Pélouagne (1999). Le premier et le dernier texte ont préalablement fait l’objet d’une représentation dans le milieu professionnel. Pour cette raison, leur analyse sera envisagée séparément des quatre autres. Les Amours de Mariana est la deuxième pièce de Falla à être présentée à la Cornue. Il s’agit cette fois d’une variation sur le thème de l'École des femmes et du Barbier de Séville. Un barbon, Guzman, séquestre sa jeune épouse, ce qui n'empêche pas la jeune femme de tomber amoureuse d'un beau jeune homme. Mais celui-ci se révèle vénal : 256 257 Voir Annexe 5. Voir Annexe 4. 83 Guzman l'a acheté pour qu'il séduise Mariana. Celle-ci, qui a compris que Guzman se sacrifie et lui offre ainsi la liberté de fuir avec le séducteur, est plus touchée par ce geste, qui lui apparaît comme une vraie preuve d'amour, que par les déclarations stéréotypées du jeune homme. Elle décide de rester auprès de son barbon pourvu qu’il la laisse vivre librement258. L’intrigue est donc assez conventionnelle, du type de celle de l’Anticosi. Par ailleurs, d’après les informations de Vivienne Martin, cette pièce est en réalité un texte de jeunesse, seulement légèrement remanié lors de la mise en scène que Falla prend d’ailleurs lui-même en charge et qui ne dépassera pas le cadre de la Cornue. Dès lors, si cette pièce semble de prime abord fortement influencée par les esthétiques et thématiques du théâtre privé, ces informations laissent penser à un choix délibéré de l’auteur. Sachant que Les Amours de Mariana est le remaniement d’une œuvre de jeunesse, cela fait huit ans que Falla n’a plus composé de texte au moment de monter Gilles ou l’Étranger. Sa dernière production remonte en effet à 1986, avec L’Armoire au voyage, mise en scène au Centre culturel de l’Yonne259. Comme nous l’avons développé au chapitre II, c’est avant tout le cadre de la Maison de la Métallurgie, et plus particulièrement la salle de la forge, qui séduit Francis Sourbié et le motive à monter cette pièce. Il semble également éprouver un vif intérêt envers Jeanne d’Arc, en témoignent ses deux mises en scènes de textes relatifs à cette thématique : Enluminures autour du procès de Gilles de Rais et Moi, Pierre Cauchon, je m’y emploierai. Celles-ci se placent d’ailleurs en marge des autres productions de Francis Sourbié par le sujet qu’elles traitent et leur insertion dans un répertoire méconnu du public. Ici encore, comme Falla l’explique dans la présentation de sa pièce260, même si son élaboration est précédée de nombreuses lectures, son ambition n’est pas de faire éclater la vérité sur cette affaire mais au contraire d’aborder ce personnage comme un symbole des craintes collectives, entre vérité et imaginaire. Ce positionnement entre rêve et réalité est déjà remarquable dans Aliénor et comme l’illustre l’extrait suivant, génère ici aussi, un ton énigmatique et décousu : 258 Courriel de Vivienne Martin daté du 31/07/2017. Bnf, « Francis Sourbié », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/14654435/francis_sourbie/#rdt500-14654435, (consulté le 30/09/2016). 260 FALLA, M., « présentation », In Théâtre de la Cornue, Gilles ou l’Étranger, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie, 1998, p. 4. 259 84 Gilles : Je veux te dire…Je veux, je vais, te dire peut-être un cauchemar qui serait un rêve idéal. Où les fées seraient des sorcières bossues, et les amants des proies écartelées. Horrifiées. Consentantes…Amoureuses de leur fin, enivrées de leur bourreau. JE VEUX Oh ! oui, je veux te dire ce ragoût de notre être où le sang et le sperme deviennent le contraire de leur symbole. Vie et Mort. Mort et Vie. Amants. Amants. Amants désespérés. Vos étreintes fatales racontent geste à geste toutes nos dérisions.261 Selon la terminologie de Vinaver, Gilles ou l’Étranger peut ainsi être qualifiée de « pièce-paysage »262. Les paroles du personnage ne servent en effet aucunement à l’avancée de l’action et portent plutôt sur les divagations et les ressentis d’un homme. Il en va de même pour les échanges dialogués, dans lesquels la parole reste un « instrument de l’action »263 et non une action elle-même, comme l’illustre par exemple cet échange entre Poitou et Henriet, les présumés complices de Gilles de Rais : Henriet : Pourquoi ne nous permettent-ils de nous voir ? Poitou : Tu as peur ? Henriet : Qu’ont-ils fait de lui ? Poitou : Moi aussi264. De plus, cet extrait illustre l’incommunicabilité des personnages, Poiton répondant lui-même à la question qu’il adresse à Henriet. Cet échange s’inscrit ici en opposition par rapport aux échanges « en duel »265, que l’on retrouve dans la plupart des textes de Falla présentés au Théâtre Universitaire. Toujours concernant le traitement de la parole, on relève la présence d’un chœur, qui représente le monde extérieur et l’opinion publique. Cette caractéristique est quant à elle déjà présente dans d’autres réalisations de Falla comme Médée et Le Satiricon Comme dans Aliénor, même si la pièce ne se définit pas par son appartenance au genre historique, la connaissance de diverses références est indispensable à sa compréhension. Surtout dans le cas d’une présentation et non d’une lecture. Le public supposé de Gilles ou l’Étranger se doit donc de maîtriser les codes et les références nécessaires pour accéder à l’intrigue. Par ailleurs, l’hermétisme du texte est atténué par la FALLA, M., Gilles ou l’Étranger, 1994, p. 2. VINAVER, M., Op. Cit., p. 901. 263 Ibidem, p. 901. 264 FALLA, M., Gilles ou l’Étranger, 1994, p. 7. 265 VINAVER, M., Op. Cit. p. 903. 261 262 85 présence d’un texte introductif, rédigé par l’auteur. Il y a donc bien une démarche visant à l’accessibilité du texte. Les thématiques et les enjeux de cette pièce témoignent d’une véritable collaboration entre l’auteur et le metteur en scène. En effet, nous l’avons vu, le choix d’un cadre spatio- temporel médiéval est une constante qui apparait dès les premiers écrits de Mathieu Falla (Mélusine, Médée, Aliénor ou l’Aigle se réjouira). Par ailleurs, le texte de Falla s’élabore à partir d’une traduction du procès de Gilles de Rais, déjà mise en scène par Francis Sourbié, qui semble quant à lui porter un intérêt particulier à la figure de Jeanne d’Arc. L’Emporte-pièce est écrit peu de temps après Gilles ou l’Étranger, qui aurait redonné à Falla le goût de l’écriture266. Construit comme un soliloque, il n’est, à priori, pas destiné à être monté au théâtre. Ce n’est que suite à la demande d’une comédienne que le texte est légèrement modifié pour être joué. Ce long monologue porte sur les sentiments d’un personnage qui vient de vivre son énième échec amoureux. Sachant qu’il n’était pas destiné à la mise en scène, ce texte parait dès lors témoigner d’une forte implication personnelle. Par ailleurs, sa mise en scène ne sera pas prise en charge par Mathieu Falla mais par Vivienne Martin. Le titre de la pièce peut être mis en lien avec l’apparente déconstruction du propos. Le protagoniste laisse libre cours aux sentiments et ressentiments qui l’animent sans préoccupation d’en faire un récit cohérent. Déjà perceptible dans les monologues de Gilles de Rais, cette tendance est donc ici portée à l’extrême, et ce, dès la première page du texte. Je savais- même si j’ai été amené, si je me suis amené à l’ignorer- qu’en entrant dans ta vie, je pénétrais tes Everglades, riches de fleurs et de poisons, de chenaux clairs et de bayous confus. […] Quoi ? Ah oui, bien sûr ! Le chant des sirènes, les Éternels Mirages… Ils n’existent que dans mon Désir et mon Besoin d’y croire. Moi ! Moi ! Moi ! Et cette inéluctable urgence du Toi, qui eût pu être toi. Mon Rocher de Sisyphe267 266 267 Courriel de Vivienne Martin daté du 08/08/2017. FALLA, M., L’Emporte-pièce, 1995, p. 1. 86 La discontinuité confère ici au texte une dimension poétique, d’ailleurs renforcée par une métaphore filée, dans laquelle l’être aimé apparait comme un lieu lointain et exotique où un aventurier se serait perdu. L’hermétisme de cet extrait est également dû à la présence de nombreux termes inusités (« chenaux », « bayous ») et des références géographiques (« Everglades ») et culturelles (« le chant des sirènes » et « le rocher de Sisyphe). Le niveau de langage élevé qui traverse cet extrait est ailleurs contrebalancé par des registres linguistiques très différents, de la pire vulgarité agressive au lyrisme et de la familiarité à l'exposé quasi pédagogique. Si l’on envisage l’ensemble formé par les trois pièces précédentes (Les Amours de Mariana, Gilles ou l’Étranger et L’Emporte-Pièce), les deux premières semblent aux antipodes l’une de l’autre, tant du point de vue du genre que du traitement de la fable et des personnages ou encore du contexte de rédaction. Notons en outre que la première est une œuvre de jeunesse, tandis que l’auteur a cinquante-deux ans lorsque la seconde est montée. Gilles ou l’étranger se trouve ainsi à l’intersection des deux : elle contient en effet une intrigue mais celle-ci est rendue imperméable par le caractère décousu et allusif des dialogues. III.3 Perméabilité des réseaux La première mise en scène de Francis Sourbié au sein de la compagnie est une présentation de Salomé d’Oscar Wilde, en novembre 1982268. Cette pièce a alors déjà fait l’objet d’une adaptation au Théâtre du Globe en 1973269. Ainsi, le passage du réseau professionnel au réseau amateur ne parait pas, à première vue, avoir un impact sur le choix des pièces. Le même texte sera d’ailleurs présenté une nouvelle fois dans un théâtre professionnel, cette fois en 1988270. C’est de cette édition que datent les photographies de la mise en scène évoquée supra271. Cet exemple de transfert du réseau professionnel vers le réseau amateur n’est pas un cas isolé dans la trajectoire de Francis Sourbié : dès sa seconde collaboration avec la 268 Voir Annexe 2. Bnf, « Francis Sourbié », In Data. Ressources en ligne de la Bibliothèque Nationale de France [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/cross-documents/14654435/12268469/2080/page1, (consulté le 07/05/2017). 270 Ibidem. 271 Voir Annexe 4. 269 87 troupe, il décide de monter Le Satiricon, un texte de Mathieu Falla qui avait alors déjà fait l’objet de plusieurs représentations au festival off d’Avignon. Les deux adaptations du Satiricon (I et II) étant disponibles sous forme tapuscrites272, elles ont pu être analysées en parallèle. Le Satiricon I fera l’objet d’un premier commentaire, à partir duquel nous mettrons en avant les différentes variations survenues au cours de la version de 1984. L’enjeu de la démarche est donc bien d’interroger le placement du Satiricon au sein de la production de Mathieu Falla et, dans un second temps, d’observer les variantes survenues lors de sa présentation dans le réseau amateur. Il ne sera donc que très peu question de l’œuvre originale et de la façon dont Falla se l’approprie. Le Satiricon de Mathieu Falla est donc l’adaptation d’un roman du Ier siècle communément attribué à Pétrone. La pièce se centre ici sur la scène dite du « Cena Trimalchionis », dans laquelle Trimalcion, un jeune affranchi, organise un festin pour fêter l’acquisition de son nouvel héritage. En juxtaposition du repas sont mis en scène les entremêlements amoureux de trois autres protagonistes : Giton, Encolpe et Eumolpe. S’il s’est déjà réapproprié plusieurs œuvres du répertoire (Médée, tragédie d’Euripide, le Ratnavali de Harsa et Henry IV, pièce historique de Shakespeare), c’est en revanche la première fois que Falla décide d’adapter une œuvre romanesque au genre théâtral. Néanmoins, comme l’illustre Johana Augier-Grimaud dans son article273, la scène du banquet se construit déjà de façon théâtrale dans le texte original. Trimalcion met un point d’honneur à épater ses invités en leur présentant un « dîner-théâtre », au cours duquel interviennent divers comédiens et danseurs, venus animer la soirée. Il complète en outre ces divertissements par des plaisanteries et des calembours274. On retrouve des allusions à ces passages dans l’adaptation de 1979. « Trimalcion : Du moins s’il vous reste un peu de goût ! Admirons ce que mes artistes vous ont mitonné ! »275 « Trimalcion : Pouce, amis ! Poussez, mais pouce ! (Silence). Vos ventres sont servis, mais il reste l’esprit. (Murmures admiratifs ; quelques applaudissements) »276 272 Textes reçus par voie postale le 28/06/2017. AUGIER-GRIMAUD, J., « La théâtralité dans la Cena Trimalchionis : esthétique du vulgaire et fracture sociale », In Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°1,2011. pp. 137-153 [En ligne], URL : http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_2011_num_1_1_6768, (consulté le 01/08/2017). 274 Ibidem, p. 3. 275 FALLA, M., Satiricon, 1979, p. 16 276 Ibidem, p. 22. 273 88 Étant donné la récente ascension sociale de Trimalcion, la plupart de ses invités ne possèdent pas encore les codes et les références culturelles de la classe dominante. Seul le personnage d’Agamemnon contraste avec la vulgarité ambiante par des envolées lyriques, elles aussi tournées en ridicule. Agamemnon : « Un savetier chantait du matin jusqu’au soir ; C’était merveille de le voir, Merveille de l’ouïr ; il faisait des passages, Plus content qu’aucun des sept sages ». La Pute nature : Pauvre con !277 La coprésence de personnages issus de milieux sociaux différents permet ainsi d’alterner entre un niveau de langue élevé et un registre assez vulgaire. Notons que ce type d’alternance n’est pas uniquement généré par la spécificité de cette situation : on le retrouve déjà dans La Rose et la Chardon au sein d’un cercle constitué de gens de Cour. Cette caractéristique n’est donc pas neuve dans la production de Falla. Cet extrait relève également d’un procédé d’intertextualité. En effet, les vers cités par Agamemnon sont en réalité issus de la fable Le Savetier et le Financier de Jean de La Fontaine. Son intervention suscite d’ailleurs une vive réaction de Trimalcion, qui se sent visé à l’évocation du savetier, membre d’une classe sociale défavorisée. Voulant ainsi détourner les présupposées insinuations de son invité, il s’empresse lui aussi de replacer une référence littéraire : « […] et comme dit Homère-que je lis dans le texte depuis mon âge tendre : ``qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage`` ». Cette réplique tourne en ridicule le personnage du parvenu qui, pour se faire bien voir, est prêt à attribuer à Homère un proverbe bien connu. Il réitère d’ailleurs son intervention avec une version tronquée du « Quand vous serez bien vieille » de Pierre de Ronsard (« Vivons, si m’en croyez, n’attendons à demain, / Cueillons dès aujourd’hui les roses de la vie »278). La femme d’Agamemnon le reprend d’ailleurs sur sa citation, les vers originaux étant conjugués à la deuxième personne. Les anachronismes et l’intertextualité sont déjà présents dans le roman de Pétrone, qui multiplie les références littéraires. Dans le cas précis de la « Cena Trimalchionis », il 277 278 Ibidem, p. 11. Ibidem, p. 20. 89 s’agirait par exemple d’une parodie du Banquet de Platon279. Ces procédés se retrouvent en outre dans d’autres textes dramatiques de Mathieu Falla, dont l’exemple le plus représentatif est sans doute Le Combat de Thanatos, dans lequel le personnage de Cynisca mentionne Le Livre de Judith. Comme le démontre Gian Biagio Conte280, outre les références littéraires explicites, le roman de Pétrone adopte constamment un ton ironique, visant par exemple la posture mélodramatique de certains personnages. Il suppose ainsi la maîtrise des références culturelles et la subtilité du lecteur. En cela, il s’adresse avant tout à un lector doctus. Cette figure du « lecteur érudit » peut aisément s’appliquer au « spectateur/lecteur modèle »281 de Mathieu Falla. Par la recherche du vocabulaire employé et des situations évoquées, ses pièces requièrent en effet de nombreuses compétences de types encyclopédique et interprétative. Enfin, le trio formé par Giton, Encolpe et Eumolpe forme une intrigue parallèle à la scène du banquet. À première vue, le ton et les thématiques abordés dans ces séquences contrastent avec la réception, dans laquelle les invités sont obnubilés par la fortune de leur hôte, ne pensant qu’à manger et à se quereller. Les trois protagonistes en revanche sont habités par de profonds sentiments amoureux, de trahison ou de liberté. Cependant, le pathétique de certaines situations est tourné en ridicule et entrecoupé par des insertions d’un registre moins élevé. Eumolpe : Emu par toute lyre, un poète, à mon âge Pourrait-il, sans trembler, laisser sur son passage Le seul cœur, dans ces lieux, capable de pleurer ? Si tu le crois, ami, c’est vraiment te leurrer Encolpe : Taille-toi, vieux ! Tu me les brises282. Les relations amoureuses sont fréquemment traitées dans les pièces de Mathieu Falla. Le plus souvent, il s’agit de déception (L’Intrus, Médée, La Rose et le Chardon) ou de tromperies (Le Combat de Thanatos, La Rose et le Chardon). Dans ce texte, l’auteur choisit pour la première fois de traiter de relations amoureuses homosexuelles. Aborder 279 DUBUISSON, M. « Aventure et Aventurier dans le Satiricon de Pétrone », In Cahiers des paralittératures, 1993, vol. 5, p. 14 [En ligne], URL : http://web.philo.ulg.ac.be/antiquite/wpcontent/uploads/sites/5/2017/04/MDubuisson_Aventure.pdf, (consulté le 02/08/2017). 280 CONTE, G.B., The Hidden Author. An Interpretation of Petronius's Satyricon, University of California Press, Berkeley-Los Angeles-London, 1996 ; cité dans PUCCINI-DELBEY, G., « Présence-Absence de la figure du Lector dans les romans latins de l’époque impériale », In Cahiers de Narratologie, 11, 2004 [En ligne], URL : http://narratologie.revues.org/15?lang=en#ftn15, (consulté le 3/08/2017). 281 ECO, U., Lector in fabula : le rôle du lecteur ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Librairie Générale française, coll. « Le Livre de Poche », 1985, pp. 278-290. 282 FALLA, M., Satiricon, 1979, p. 19. 90 cette thématique peut être mis en rapport avec l’orientation sexuelle de Francis Sourbié et de Falla lui-même, qui se revendique bisexuel. Une courte remarque, placée à la suite de la liste de distribution des personnages, atteste d’une recherche esthétique particulière dans les intentions de mise en scène. En cela, Le Satiricon semble se démarquer par rapport aux autres textes de Mathieu Falla, et aux pièces montées jusque-là par Francis Sourbié, plus conventionnelles. « L’action se situe en parallèle et en surimpression, d’une part, chez Trimalcion (banquet) et d’autre part, dans différents lieux de Rome et d’Italie, fréquentés par Giton, Encolpe et Eumolpe. Dans la version scénique ici présentée, les dialogues des personnages du banquet seront dits par les trois meneurs de jeu. »283 Ce procédé qui consiste à faire prononcer les paroles de certains personnages par des figures neutres crée un rapport de distanciation par rapport à l’action qui se déroule sur le plateau. De plus, les invités présents au banquet sont représentés comme des manipulateurs de marionnettes et leur nombre est augmenté de quelques mannequins284. Les principaux changements survenus lors de la présentation de la pièce au Théâtre de la Cornue en 1982 portent précisément sur ces innovations scéniques. Les personnages du banquet sont désormais des personnages parlants, dont le nombre a considérablement augmenté. De plus, une « anthropologie satiriconnienne », placée en annexe de la seconde version, décrit en quelques lignes chaque personnage présent au banquet : La femme de lettres : Madame de Sévigné + Elsa Maxwell qui auraient rencontré Georges Sand. Culture encyclopédique servant une langue acérée. Aucun genre ne lui fait peur. Du sublime au crapuleux, elle assume tout, apparemment. Sa poésie est cependant très matérielle, d’où son goût pour les jeunes bâtons de vieillesse. Terrorisme de l’esprit 285. Le ton presque scientifique du commentaire, rédigé comme un diagnostic sociomédical, lui confère une dimension ironique. Ici encore, ces petits textes supposent un lecteur modèle capable de mobilier des compétences culturelles (« Madame de Sévigné », « Elsa Mexwell », « Georges Sand ») et interprétatives (« Terrorisme de l’esprit ») relativement précises. D’autre part, dans le corps de texte, mis à part les protagonistes (Eumolpe, Giton, Encolpe, Trimalcion et Agamemnon) les personnages ne sont plus désignés que par des numéros, et leurs interventions respectives sont interchangeables. La 283 Ibidem, p. 2. Courriel de Vivienne Martin daté du 23/06/2017. 285 FALLA, M., « Anthropométrie satiriconienne », In Satiricon II,1982, (document non paginé). 284 91 description détaillée des différents intervenants s’apparente donc davantage à une digression humoristique qu’à des informations sensées guider le jeu du comédien. De cette façon, en conservant des traits caractéristiques de son écriture et en proposant des innovations par rapport aux précédentes mises en scène de Francis Sourbié, cette première version du Satiricon de Mathieu Falla semble démontrer une relative liberté de composition de l’auteur. L’analyse comparative des deux versions vient en outre renforcer cette hypothèse. Le texte de l’adaptation de 1982 reste relativement inchangé, contrairement aux procédés de mise en scène, qui eux s’adaptent aux cadres d’une troupe amateur, qui offrent par exemple la possibilité de travailler avec un grand nombre de comédiens. Les motivations principales qui semblent avoir mené Francis Sourbié à collaborer avec le réseau amateur sont ainsi multiples. Tout d’abord, la possibilité de mobiliser un grand nombre de comédiens sur le plateau. Cette donnée est liée au principe de non rémunération des amateurs : ne devant pas rétribuer ses collaborateurs, le metteur en scène peut se permettre d’en employer davantage. Par ailleurs, le Théâtre de la Cornue compte un nombre de membres très élevé. Même si ceux-ci ne s’investissent pas tous de la même façon, le réseau qui gravite autour de la compagnie est très important. C’est ainsi qu’une centaine de personnes ont participé à la création de Satiricon II. Ensuite, le lieu de présentation est lui aussi perçu comme un avantage notable du réseau amateur. Même si la Cornue ne possède pas de lieu de répétition fixe, la liste de ses productions révèle que nombre de représentations ont eu lieu dans la salle « Les Waroux », située dans le quartier Sainte Marguerite à Liège doté d’une salle « à l’italienne » de cent trente-six places, donc d’une configuration assez conventionnelle. En revanche, la salle des machines du Musée de la métallurgie constitue un lieu plus original. Pour Sourbié, la différence entre les prix de location liégeois et français est également un argument en faveur de son travail avec la Cornue. Enfin, comme évoqué supra, Sourbié va mettre en scène avec la Cornue AdrienneMarthe Pélouagne (1933-1982). Il s’agit d’une pièce réalisée en hommage à une des membres de la compagnie de Francis Sourbié, « La Fine Équipe ». Mathieu Falla qui la connait lui-aussi, décide de retracer la vie de leur amie en différents tableaux, mobilisant 92 chacun des techniques de mise en scène différentes286. La première partie présente une chronologie éclatée et des moyens d'expression très divers (dialogues, lettres, journaux, radio, etc.). Viennent ensuite deux monologues, respectivement attribués à « Solitude A » et « Solitude B »287. La pièce se clôture par une succession de courtes scènes, plus classiques. De cette façon, tant par le sujet qu’elle traite que par sa construction scénique, Adrienne Marthe Pélouagne se distancie des productions conventionnelles déjà relevées dans le répertoire de Francis Sourbié. La reprise de cette pièce plus de dix ans après la mort de l’amie de Francis Sourbié et de Mathieu Falla par des comédiens qui ne l’ont jamais connue semble à priori incompréhensible. En vérité, 1999 correspond à l’année du vingtième anniversaire de la Compagnie de la Cornue, qui avait vu le jour après la présentation de La Rose et le Chardon. Pour l’occasion, Sourbié décide de monter une pièce qui représenterait au mieux sa collaboration avec son ami Mathieu Falla, décédé un an auparavant. Ce qui devait être une simple lecture du texte donne finalement lieu à un véritable spectacle, dans lequel tous les membres acceptent de s’investir. Les activités de la Cornue se clôturent ainsi sur une dernière collaboration entre Sourbié et Falla288. Vivienne Martin explique l’arrêt des activités de la Cornue par une volonté de sa part. La réponse est peut-être aussi à trouver dans la nouvelle activité professionnelle de Francis Sourbié, qui devient en 1998 directeur artistique du Vingtième théâtre, trop occupé donc pour s’engager dans des projets artistiques personnels, il fait cependant une exception à l’occasion des vingt ans de la Cornue pour lesquels il met en scène le dernier spectacle de la compagnie. Une association par accointance ? L’analyse de la trajectoire de Mathieu Falla a permis de soulever la coexistence de plusieurs types de réseaux de sociabilité. Celui constitué autour de Francis Sourbié a dès lors été interprété comme étant pour Falla un réseau formé par « accointance ». En effet, l’appartenance du metteur en scène au réseau professionnel et, qui plus est, au domaine français, lui confère de prime abord un statut de légitimation supérieur à celui de ce 286 Courriel de Mme Vivienne Martin daté du 31/07/2017. Ibidem. 288 Courriel de Vivienne Martin daté du 06/08/2017. 287 93 dramaturge amateur liégeois. Si l’on se réfère à l’article d’Adrien Thibault289, l’appariement par adoubement suppose ainsi une relation « fortement asymétrique » entre les deux agents. Pourtant, suite aux diverses analyses opérées dans ce chapitre, force est de constater que l’apparente relation asymétrique supposée lier Mathieu Falla et Francis Sourbié doit être nuancée et remise en question. Certes Sourbié est un metteur en scène inséré dans le réseau professionnel français, mais comme le démontre l’analyse de leurs créations communes et respectives, leur collaboration ne s’arrête pas à une influence d’un metteur en scène sur un auteur amateur. On retrouve en effet des constantes de l’œuvre de Falla qui perdurent après sa rencontre avec Sourbié et leurs créations communes dans les réseaux de théâtre amateur et professionnel s’avèrent être le résultat de cet échange. De cette façon, il convient de nuancer notre propos en affirmant que l’association entre Mathieu Falla et Francis Sourbié s’apparente plus précisément à un type « d’appariement par accouplement » 290. Dans son article, Thibault l’associe davantage à un lien amoureux mais les caractéristiques émanant de ce type de relation peuvent tout à fait s’appliquer à une relation d’amitié, bien réelle entre les deux hommes291. Parmi ces éléments, nous pouvons d’une part soulever l’accroissement du réseau professionnel, applicable à l’un et l’autre des agents. Concrètement, dans le cas de Mathieu Falla, cet accroissement se manifeste par la constitution d’un second réseau professionnel, construit en parallèle à celui lié à son métier d’enseignant. En ce qui concerne Francis Sourbié, cet accroissement se traduit par exemple par les associations qu’il crée avec Maggy Jacot. D’autre part, l’agrégat de valeurs que ce type d’appariement génère est, nous l’avons démontré, tout à fait observable dans les pièces de Falla au moment de sa collaboration avec Sourbié. 289 THIBAULT, A., Op. Cit. p. 101. Ibidem, p. 104. 291 Courriels de Vivienne Martin daté du 23/04/2017 et du 10/08/2017. 290 94 CONCLUSION 95 L’étude de la trajectoire de Mathieu Falla nous a tout d’abord permis d’envisager les mutations du champ politico-culturel qui sont survenues en Belgique, et plus particulièrement à Liège, entre 1960 et 1999. Nous l’avons ensuite traitée en tant qu’exemple symptomatique d’une trajectoire artistique. Ainsi avons-nous relevé l’influence des réseaux de sociabilité et leurs répercussions concrètes sur le placement de l’agent au sein des champs littéraire et théâtral et sur sa production. Ces deux approches, nous les avons articulées dans l’analyse des œuvres et des réseaux de l’auteur, réfractant à leur tour un état des champs artistique, théâtral et politique de l’époque. Les textes de Falla, produits au cours de ses études universitaires et pour la plupart mis en scène, sont diffusés par le biais de revues estudiantines encadrées (Écritures) et autonomes (La Guimbarde). Certains sont d’ailleurs récompensés par des Prix émanant de l’Institution. Ces modes de diffusion constituent un panel représentatif des diverses instances de reconnaissance que peut connaitre un auteur de théâtre. Cette étude a dès lors permis de mettre en avant l’importance des réseaux de sociabilité à chaque étape de la trajectoire de l’auteur. Parallèlement à l’analyse de ces réseaux de sociabilité, celle des pièces réalisées dans le cadre du Théâtre Universitaire de Liège a révélé une adhésion complète de l’auteur aux valeurs esthétiques et morales défendues par l’Institution (diversité du répertoire, textes courts, mobilisation des acquis culturels, etc.). Par ailleurs, le TULg, au moment de sa dernière collaboration avec Falla en 1979, accuse un retard par rapport aux innovations apportées par le Jeune Théâtre. La fréquentation baisse et les étudiants se tournent vers Robert Germay pour apporter un souffle nouveau à leur travail. Falla reste quant à lui attaché aux anciennes valeurs du Théâtre Universitaire et ne prend pas le tournant des innovations théâtrales de l’époque. L’Université de Liège avait constitué jusque-là un microcosme dans lequel il était parfaitement intégré. De plus, son occupation principale en tant qu’étudiant pouvait facilement rejoindre ses activités théâtrales et littéraires. Or, l’auteur se voit à présent contraint de combiner carrières professionnelle et artistique. Cette situation nous permet de mettre en avant le statut de l’amateur et des possibilités qu’il doit mettre en œuvres afin de combiner activités rémunératrices et artistiques. L’atelier théâtral organisé par Mathieu Falla au sein de son établissement scolaire illustre bien cette problématique. 96 L’investissement d’un champ théâtral élargi s’accompagne chez Falla d’un sentiment de manque de reconnaissance. En 1979, il reçoit cependant le Prix Littéraire Dramatique de la Province de Liège a priori perçu comme une instance de consécration. Si l’obtention de ce Prix lui vaut un article dans le journal Le Soir, elle n’entraine néanmoins ni une publication de son texte, ni une représentation publique. Ce n’est que treize ans plus tard que Francis Sourbié, monte Aliénor ou l’Aigle se réjouira dans le réseau professionnel. Dès lors, nous pourrions nous demander quelles sont les portées réelles de ce Prix. Notons justement que la Province de Liège, Institution qui lui a remis son Prix, est également celle qui régit l’ISIS, école supérieure où il était professeur. Cette consécration illustre ainsi un développement de son réseau de sociabilité au sein de sa sphère professionnelle, qui se répercutera sur ses activités artistiques. Falla fait ensuite son entrée dans les théâtres privés français par le biais du metteur en scène Francis Sourbié. Son statut de metteur en scène professionnel français aurait dû créer entre eux une relation « par accointance ». Or, l’étude de leurs productions met en avant un agrégat de leurs valeurs et esthétiques respectives, ce qui tend plutôt à qualifier leur collaboration d’« accouplement ». Le cas particulier de cette relation ouvre de nouvelles perspectives démontrant l’absence de hiérarchisation entre réseaux amateur et professionnel. Enfin, toutes les pièces de Mathieu Falla requièrent un bagage culturel et littéraire important du lecteur/spectateur. Or, sachant le peu de capital social dont il bénéficiait luimême, on peut se demander dans quelle mesure le degré d’érudition dont témoignent ses textes ne sont pas le résultat d’une volonté d’ascension sociale. Ses parents avaient d’ailleurs déjà montré de telles ambitions en encourageant leur fils à poursuivre des études universitaires. Dès lors, il serait intéressant d’envisager Mathieu Falla comme un exemple de transfuge de classe. L’étude de ce concept, développé par Bourdieu dans son ouvrage La Distinction, que nous avons déjà évoqué, pourrait ainsi être articulée à l’analyse de deux autres trajectoires : celles de Jean Louvet et de Jean-Marie Piemme. Tous deux contemporains de Falla et comme lui issus de la classe ouvrière, ils adopteront quant à eux une démarche réflexive en traitant de leurs origines sociales dans leurs œuvres. De plus, ils rejoindront le mouvement du Jeune Théâtre. L’étude de ces divergences pourrait ainsi être articulée à celle de leur évolution au sein du champ théâtral par le biais d’une analyse de 97 leurs œuvres et réseaux de sociabilité respectifs. Nous consulterons à ce propos l’ouvrage de Nancy Delhalle, Vers un Théâtre Politique, déjà plusieurs fois évoqué dans le cadre de notre recherche. La trajectoire de Mathieu Falla s’est ainsi avérée être un moyen d’investigation efficace du champ théâtral liégeois de 1960 à 1999. Certes les diverses stratégies adoptées par l’auteur au sein du champ ne lui ont pas permis d’accéder à la consécration. Mais peutêtre n’était-elle pas son réel objectif ? La constance de ces œuvres en dépit des diverses mouvances qui voient le jour à l’époque ne témoigne-t-elle pas d’une certaine liberté ? Quoi qu’il en soit, si la production littéraire de Falla n’a pas atteint la postérité, il reste quant à lui bien présent dans les esprits de ceux qui l’ont connu. Sa capacité à fédérer des réseaux et à conserver des amitiés ont fait de lui un personnage inévitable dans le milieu théâtral liégeois de son époque. 98 BIBLIOGRAPHIE 99 Sources scientifiques AGHULON, M., Le Cercle dans le France bourgeoise, Paris, Armand Colin, 1977. AUGIER-GRIMAUD, J., « La théâtralité dans la Cena Trimalchionis : esthétique du vulgaire et fracture sociale », In Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°1,2011. pp. 137-153 [En ligne], URL : http://www.persee.fr/doc/bude_0004- 5527_2011_num_1_1_6768, (consulté le 01/08/2017). BAJOMÉE, D., « La Condition des Femmes », In DELHALLE, N., et DUBOIS, J. (Dir.), In DELHALLE, N. et DUBOIS, J., Le Tournant des années 1970. Liège en effervescence, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2010. 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Projet, Liège, Archives du Musée de la Métallurgie et de l’Industrie, 1991. 110 ANNEXES 111 Annexe 1 : Chronologie des spectacles du Théâtre Universitaire (Royal) de Liège TU(R)Lg 1941 Les Bacchantes, d'Euripide, mise en scène de Jean Hubaux 1943 La Tempête, de William Shakespeare, mise en scène de Jean Hubaux 1948 La Paix, d'Aristophane, mise en scène de Jean Hubaux 1949 Jules César, de William Shakespeare, mise en scène de Jean Hubaux 1950 La Machine à calculer, d'Elmer Rice, mise en scène de Jean Hubaux 1952 L'Admirable Crichton, de James-Matthew Barrie, mise en scène de Jean Hubaux 1954 Les Euménides, d'Eschyle, mise en scène de Fanny Thibout 1955 La Guerre de Troie n'aura pas lieu, de Jean Giraudoux, mise en scène de Jean Hubaux 1956 La Machine à calculer, d'Elmer Rice, mise en scène de Georges Konen 1957 Macbeth, de William Shakespeare, mise en scène de Jean Hubaux 1958 La Répétition ou L'Amour puni, de Jean Anouihl, mise en scène de Jean Daulnoye 1959 Le Malade imaginaire, de Molière, mise en scène de Jean Daulnoye 1961 Intermezzo, de Jean Giraudoux, mise en scène de Jean Daulnoye Un Caprice, d'Alfred de Musset, mise en scène de Jean Daulnoye 1962 Le Misanthrope, de Molière, mise en scène de Jean Daulnoye 1963 Le Dyscolos ou Père Grognon, de Ménandre, adaptation en vers libre de François Duysinx, mise en scène de Jean Daulnoye 1964 Spectacle «coupé» : L'Intruse, de Maurice Maeterlinck, spectacle de marionnettes animées par Claude Vandeloise Les Fourberies de Nérine, de Théodore de Banville, mise en scène de Robert Duysinx Les Solliciteurs, de Mathieu Falla, mise en scène de l'auteur 1965 La Condamnation de banquet, de Nicolas de la Chesnaye, adaptation de Jeanne Wathelet-Willem, mise en scène de François Duysinx Le Combat de Thanatos, de Mathieu Falla, mise en scène de l'auteur 1966 Spectacle «coupé» : La Farce de maître Mimin, anonyme, mise en scène de Jeanne Wathelet Humulus le muet, de Jean Anouihl et Jean Aurenche, mise en scène de François Duysinx Adormir et Gazoline, opéra loufoque express, livret et musique de François Duysinx, mise en scène de l'auteur L'Intrus, de Mathieu Falla, mise en scène de l'auteur Médée, de Mathieu Falla, mise en scène de François Duysinx Prométhée enchaîné, d'après Eschyle, spectacle de marionnettes, mise en scène de François Duysinx et Claude Vandeloise 1967 Volpone ou Le Renard, de Ben Jonson, mise en scène d'Alain-Guy Jacob 1968 Lappschiess, de Hans-Günter Michelsen, mise en scène d'Alain-Guy Jacob Le Retable des merveilles, de Miguel de Cervantes, mise en scène de Fanny Thibout 1969 112 Jacques ou La Soumission, d'Eugène Ionesco, mise en scène d'Alain-Guy Jacob Un Chagrin d'amour, de Louis-Alexis Dubois, mise en scène de François Duysinx L'Otage, de Louis-Alexis Dubois, mise en scène de François Duysinx 1970 La Descente sur Récife, de Gabriel Cousin, mise en scène de Michel Demblon Ratnâvalî, de Harsa, mise en scène de Mathieu Falla Les Mamelles de Tirésias, opéra bouffe de Guillaume Apollinaire, musique de Francis Poulenc, spectacle de marionnettes, mise en scène de François Duysinx 1971 La Nuit des visiteurs, de Peter Weiss, mise en scène de Michel Demblon La Famille Tot, de Istvan Örkeny, mise en scène de Max Parfondry 1972 X, le nègre blanc, montage de Claude Loxhay, musique de Daniel Droixhe, mise en scène de Vivienne Martin Hommage à Joseph Duysinx : Amoûrs di Prince, Vîx sot, Cabaret wallon, opérettes, chansons et monologues de Joseph Duysenx, mise en scène de François Duysinx Reprise de Humulus le muet de Jean Anouihl et Jean Aurenche, Les Solliciteurs de Mathieu Falla et Adormir, Gazoline de François Duysinx, tous trois mise en scène par François Duysinx 1973 Arbalètes et vieilles rapières, de Georges Michel, mise en scène de Max Parfondry La Bréhatine, de Guillaume Apollinaire et André Billy, mise en scène de Michel Demblon 1975 La Farce du Graully, de Jacques Kraemer, mise en scène de Max Parfondry et Jean-Claude Boken 1976 Cérémonial pour un combat, de Claude Prin, mise en scène de François Duysinx Scènes de la vie quotidienne, de Daniel Simon, mise en scène de Michel Demblon Ruzzante revient de guerre, d'Angelo Beolco dit Ruzzante, traduction d'Alfred Mortier, adaptation et mise en scène de François Duysinx 1977 Les Invisibles, d'après Bertolt Brecht, mise en scène de Michel Demblon Le Monde et Abus, Le Lazare, anonymes du Moyen Âge, mise en scène d'Albert Dardenne Il était une fois des enfants placés, casés, cassés, création collective sous la direction d'Yvette Lecomte 1978 L'Empereur et la fille violée, La Farce du meunier, anonymes du Moyen Âge, mise en scène de Christian et Simone Capelle L'Usine bleue est fermée, de Jacques van de Weerdt, mise en scène de Georges Koussantas 1979 Chronique d'un jour combattant, de Marcos Portnoy, mise en scène de l'auteur La Rose et le chardon, de Mathieu Falla, mise en scène de l'auteur 1980 Vices-Vertus, moralité médiévale, adaptation de Jean-Claude Bologne, mise en scène de François Duysinx Le Bouc, de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Robert Germay Berthe, de Michel Tremblay, mise en scène de Robert Germay 1981 Indians, d'Arthur Kopitt, mise en scène de Robert Germay 1983 Velleÿtar, d'après Gyubal Wahazar de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, traduction d'Alain van Crugten, adaptation collective, mise en scène de Robert Germay 1984 Le Gardien, de Harold Pinter, mise en scène de Robert Germay 1985 Érasme ou La Paix persécutée, d'après des textes d'Érasme, version courte, mise en scène de Robert Germay 1986 Érasme ou La Paix persécutée, d'après des textes d'Érasme, version longue, mise en scène de Robert Germay 1988 Le Projecteur...etc... réparé ?, d'après des textes de Karl Valentin, mise en scène de Robert Germay 1989 Connaissez-vous la voie lactée ?, de Karl Wittlinger, coproduction avec le Théâtre de l'Etuve, mise en scène de Robert Germay 113 Escurial, de Michel de Ghelderode, mise en scène collective avec Rossano Rosi, Pierre Bodson, Françoise Delmez et Laurence Vanpaeschen 1990 L'Impromptu de Versailles, de Molière, mise en scène de Pierre Wathelet À la cloche de bois, de Guillaume Apollinaire, mise en scène de Pierre Wathelet 1991 En pleine mer, de Slawomir Mrozek, version masculine, mise en scène de Robert Germay Simplement compliqué, de Thomas Bernhard, coproduction avec le Théâtre de l'Etuve, mise en scène de Robert Germay 1992 E pur si muove, d'après La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, coproduction avec le Conservatoire Royal de Liège, mise en scène de Lorent Wanson et Pierre Wathelet Strip-tease, de Slawomir Mrozek, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur 1993 Sadi Hozètes, d'Albert Maquet, en wallon, mise en scène de Robert Germay En pleine mer, de Slawomir Mrozek, nouvelle version féminine, mise en scène de Robert Germay Cymbeline, de William Shakespeare, coproduction internationale (France, Belgique, Italie, Roumanie, Lituanie, Royaume-Unis) à l'initiative du T.U. de Besançon Le Liseur, d'Arsène Soreil, mise en scène de Robert Germay 1994 L'Inexorable, d'après Prédiction de Peter Handke, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur Across the Border, coproduction internationale avec les T.U. de Graz (A) et de Sofia (BG), création collective sous la direction d'Eduard Hauswirth Communication à une académie, d'après la nouvelle de Franz Kafka, mise en scène de Robert Germay 1995 Jacques et son maître, de Milan Kundera, mise en scène de Pierre Wathelet Trois petits tours, de Michel Tremblay, mise en scène de Robert Germay Commedia dell' regio, coproduction internationale avec les T.U. de Maastricht et de Aachen, mise en scène de Tom Witkowsky (D), Marion Prickaerts (NL) et Jean-Marc Lelaboureur La Nuit sous les arbres, création collective d'après Le Monde est rond de Gertrude Stein, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur QSN DOVN OAN, création collective, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur Hommage à Marie Delcourt, montage de textes, mise en scène de Robert Germay 1996 L'Innocence des bœufs, d'après des textes d'Alphonse Allais, mise en scène de Pierre Wathelet Communication à une académie, 2ème version, mise en scène de Pierre Wathelet 1997 Comme un poulet dans le noir, création collective, mise en scène de Charlotte Lancelot et Héloïse, de Pascal Renard, mise en scène de l'auteur Paraphernalia, création et mise en scène collective avec Bernadette Lambert, Céline Van Rompaye, David Boos, Catherine Poitoux et Vanessa Tichon Rien du tout, d'après Histoires enfantines de Peter Bichsel, adaptation et mise en scène de Pierre Wathelet Communication à une académie, 3ème version, mise en scène de Robert Germay 1998 Fiesta chez Abdellah, d'après Ein Fest bei Papadakis de Volker Ludwig et Christian Sorge (GRIPS Theater), en français et en arabe, adaptation et mise en scène d'Alain Chevalier Hamlet variations, création collective avec les Kids du TULg, mise en scène de Charlotte La Panière, création collective avec les Kids du TULg, mise en scène d'Annick Dominé La Mandragore, d'après Nicolas Machiavel et Li Harloucrale d'Albert Maquet, mise en scène de Robert Germay 1999 En chantant du Gershwin, création collective avec les Kids du TULg, mise en scène d'Annick Dominé Herzstück, de Heiner Müller, coproduction internationale avec Roermond (NL) et Aachen (D), mise en scène d'Alain Chevalier Passion des romantiques, coproduction avec la Chorale universitaire, montage de textes et mise en scène de Pierre Wathelet La Pharmacie, de Philippe Héroufosse, mise en scène de l'auteur 2000 Charlie and the Chocolate Factory, d'après le roman de Roald Dahl, en anglais, adaptation et mise en scène d'Ingrid van den Peereboom 114 Si tu m'aimes..., de Hans Sachs, mise en scène de Robert Germay Capucines à Bécaussine, de Marian Pankowski, mise en scène de Pierre Wathelet Le Rat, le loup et la fourmi, de Vera Feyder, mise en scène de Robert Germay 2001 Adormir et Gazoline, de François Duysinx, nouvelle version, adaptation et mise en scène d'Alain Chevalier Roméo, de Charlotte et Benoît Sacré, mise en scène de Charlotte Quand je serai grand(e), montage de textes et mise en scène de Robert Germay Les Bacchantes, d'Euripide, nouvelle version, adaptation et mise en scène de Pascal et Karin Renard-Jadoul Pourquoi j'ai mangé mon père, d'après le roman de Roy Lewis, adaptation et mise en scène de Pierre Wathelet 2002 L'Écume des jours, d'après le roman de Boris Vian, adaptation et mise en scène de Patrick Bastin Les Souliers rouges, d'après le conte de Hans Christian Andersen, adaptation et mise en scène de Dominique Donnay Poivre de Cayenne, de René de Obaldia, mise en scène de Robert Germay I Tulgiani, d'après des textes de Ruzzante, adaptation et mise en scène de Romina Pace 2003 Momo, d'après le roman de Michaël Ende, en allemand, adaptation et mise en scène de David Homburg La Comédie des vanités, d'Elias Canetti, adaptation et mise en scène de Pierre Wathelet Roméo, Juliette, William, les autres... et moi, d'après William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Robert Germay Personnages en quête de tueur, de Xavier Diskeuve, adaptation et mise en scène de Robert Germay L'Amour en noir et blanc, d'Aurélie Henceval et Marine Theunissen, mise en scène collective dirigée par les auteurs 2004 Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, mise en scène de Romina Pace Encore heureux qu'on va vers l'été, d'après le roman de Christiane Rochefort, adaptation et mise en scène d'Alain Chevalier et Dominique Donnay L'Homme qui rit, d'après le roman de Victor Hugo, adaptation et mise en scène de Robert Germay et Pierre Wathelet L'Affaire de la rue de Lourcine, d'Eugène Labiche, mise en scène d'Andrei Myasnikov 2005 Shéhérazade, de Tawfik Al-Hakim, mise en scène de Rachid Bellitir Les Oiseaux, d'Aristophane, mise en scène de Robert Germay Le Petit chaperon rouge, d'après le conte de Charles Perrault, adaptation et mise en scène d'Andrei Myasnikov Mardi, d'Edward Bond, mise en scène de Sylvain Plouette Litchè, de Sylvain Plouette, mise en scène de l'auteur Harold et Maude, de Colin Higgins, mise en scène d'Andrei Myasnikov 2006 L'Enseigneur ou Une Ombre au tableau, de Jean-Pierre Dopagne, mise en scène de Robert Germay L'Éveil du printemps, de Frank Wedekind, mise en scène de Pierre Wathelet Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène d'Andrei Myasnikov 1831-2006 : La Constitution, 175 ans d'histoire, de Clément Triboulet, mise en scène de Robert Germay La Commedia des ratés, d'après le roman de Tonino Benacquista, adaptation et mise en scène de David Homburg Le Joueur de flûte, d'après le poème de Robert Browning, adaptation et mise en scène de Dominique Donnay et Robert Germay 2007 Les Contes de Hakim, d'après Norberto Avila/Thomas Brasch, adaptation et mise en scène de Rachid Bellitir Calling You, de Christelle Burton, mise en scène collective dirigée par l'auteur Comment calmer monsieur Bracke, d'après le roman de Gérard Mordillat, adaptation et mise en scène de David Homburg Nanesse présente « La Princesse et le porcher », d'après deux contes de Hans Christian Andersen, adaptation et mise en scène d'Andrei Myasnikov (avec J Cube) La Répétition ou Le Royaume de la mer, de Frédéric Latin, mise en scène d'Andrei Myasnikov La Jeune première, de Jean-Pierre Dopagne, mise en scène de Patrick Antoine L'Arrache-cœur, d'après le roman de Boris Vian, adaptation de Romain Parizel et Julien Legros, mise en scène de Julien Legros 2008 Fin de siècle sur l'île, d'Alejandro Finzi, mise en scène de Robert Germay Le Citoyen général, de Johann Wolfgang von Goethe, mise en scène de Pierre Wathelet 115 Oz(e), d'après Le Magicien d'Oz de Lyman Frank Baum, adaptation et mise en scène de Marco Pascolini Vague à l'âme, d'après des textes de Karl Valentin, adaptation et mise en scène d'Olivier Moreau L'Oiseau bleu, de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur Nanesse présente «Le Coq d'or», d'après deux contes d'Alexandre Pouchkine, adaptation et mise en scène d'Andrei Myasnikov Voix de femmes, montage de textes de Marie-Anne Barbier, Marie-Angélique Gomez, e.a., mise en scène de Robert Germay Projekt Eden/Eden, le projet, coproduction avec Trotz Ensemble (Eupen), mise en scène de et avec Nicole Dahlen, Chantal Heck et Yannick Franck 2009 Boulevard du boulevard du boulevard, de Daniel Mesguich, mise en scène de Pierre Wathelet Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur Le Crime Galilée, de Pierre Wathelet, mise en scène de l'auteur 2010 Le Dernier Godot, de Matei Visniec, mise en scène de Robert Germay Le Miroir aux camisoles, montage de textes et mise en scène de Christelle Burton Têtes rondes et têtes pointues ou Pauvres gens, de Bertolt Brecht, mise en scène de David Homburg Les Enfants de Lîr, d'après un conte traditionnel irlandais, adaptation et mise en scène de Dominique Donnay, assistée de Pierre Wathelet Hamlet, de Luis Buñuel, mise en scène de Jesus Manuel Germeau, assisté d' Alain Chevalier 2011 Les Années zéro, création collective, mise en scène de Jean-Marc Lelaboureur La Tour de Babel, de Fernando Arrabal, mise en scène de Marco Pascolini Le Procès, d'après le roman de Franz Kafka, adaptation et mise en scène de Brice Ramakers et Hugo Vandeplas Lux in tenebris, de Bertolt Brecht, mise en scène d'Alain Chevalier Le Rôti de lapin, de Karl Valentin, mise en scène De Robert Germay, coproduction Liège, Metz, Nancy, Saarbrücken, dans le cadre du projet « A table ! » de l'Université de la Grande Région (UGR) La Farce du cuvier, anonyme du XVe siècle, adaptation et mise en scène de Pierre Wathelet 2012 Lysistrata, d'Aristophane, mise en scène de Marco Pascolini Don Juan revient de guerre, de Ödön von Horvath, mise en scène de Robert Germay, assisté de Dominique Donnay Bricoles queniennes, montage théâtral d'après Chêne et Chien, de Raymond Queneau et autres textes, mise en scène Alain Chevalier, dans le cadre du colloque « Parentés. Raymond Queneau et l'esprit de famille » Communication à une académie, 4e version, mise en scène de Robert Germay 2013 Les Musiciens de Brême, d'après le conte des frères Grimm, adaptation et mise en scène de Dominique Donnay 2014 Commémorations, de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Brice Ramakers et Hugo Vandeplas Ceux qui marchent dans l'obscurité, de Hanokh Levin, mise en scène de Julien Legros Soie, d'après le roman d'Alessandro Barrico, mise en scène de Marco Pascolini 2015 Le Vol d'Icare, de Raymond Queneau, mise en scène d'Alain Chevalier 116 Annexe 2 : Chronologie des spectacles de la Cornue 1980 La famille de Carjaval, de Prosper Mérimée, mise en scène de Mathieu Falla, décors et costumes de Maggy Jacot. Théâtre de l’Œil (Liège) Les Gueux, de Victor Hugo, adaptation et mise en scène de Mathieu Falla, costumes de Maggy Jacot. Chapelle des Sœurs de la Visitation (Liège) 1981 Lucrèce Borgia ?, création collective, mise en scène de Vivienne Martin, costumes de Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) Salomé, d'Oscar Wilde, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Salle des Waroux (Liège) 1982 Le vampire, d’Alexandre Dumas, mise en scène et décors de Vivienne Martin, costumes de Monique Ledent. Salle des Waroux (Liège) Satiricon 2, d’après Pétrone, adaptation de Mathieu Falla, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Salle des Waroux (Liège) 1983 Le loup-garou, de Roger Vitrac, mise en scène de Vivienne Martin, décors et costumes de Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) Le jeu de Don Cristobal, de Federico Garcia Lorca, mise en scène de Vivienne Martin, décors et costumes de Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) 1984 L’équarrissage pour tous, de Boris Vian mise en scène de Vivienne Martin, décors et costumes de Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) Dialogues de courtisanes, de Lucien Samosate, adaptation de Pierre Louÿs, mise en scène de Claudine Maus, décors et costumes de Maggy Jacot. Maison Sauveur (Chaudfontaine) 1985 Dialogues de courtisanes, de Lucien Samosate, adaptation de Pierre Louÿs, mise en scène de Claudine Maus, décors et costumes de Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) Mangeront-ils ?, de Victor Hugo coproduction La Cornue et le Théâtre de Novembre (Paris), mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Salle des Waroux (Liège) 1986 Les amours de Mariana, de Mathieu Falla, mise en scène de l’auteur, décors et costumes d’Éliane Jortay. Salle des Waroux (Liège) La vie singulière d’Albert Nobbs, de Simone Benmussa, mise en scène de Claire Servais, costumes de Maggy Jacot. Temple protestant du quai Marcellis (Liège) 1987 Arden de Feversham, anonyme anglais du XVIe siècle, mise en scène de Vivienne Martin, décors de Dominique Vanrykel, costumes de Monique Ledent. Salle des Waroux (Liège) Les amoureux, de Carlo Goldoni, mise en scène de Claudine Maus, décors de Thierry Wesel, costumes de Monique Ledent. Salle des Waroux (Liège) 1988 Bains-douche, de Vladimir Maïakovski, adaptation de Jacqueline Razgonnikoff, mise en scène de Vivienne Martin, décors et costumes de Thierry Wesel. Salle des Waroux (Liège) 1989 La métaphysique d’un veau à deux têtes, de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, adaptation de François Marié, mise en scène d’Alain Guy Jacob, décors de Thierry Wesel, costumes de Monique Ledent. Salle des Waroux (Liège) 1990 La Tosca, de Victorien Sardou, mise en scène de Francis Sourbié, décors et costumes de Francis Sourbié et Maggy Jacot. Salle des Waroux (Liège) 1991 Casimir et Caroline, d’Odon von Horvath, mise en scène d’Alain-Guy Jacob. Maison de la Métallurgie (Liège) 1992 Molière et les emmerdeurs : la Comtesse d’Escarbagnas et les autres, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Salle des Waroux (Liège) 1993 117 Molière et les emmerdeurs : la Comtesse d’Escarbagnas et les autres, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Festival de Vincenza (Italie) La plaisante aventure, de Carlo Goldoni, mise en scène et décors de Claudine Maus et Thierry Wesel, costumes de Monique Ledent. Salle des Waroux (Liège) 1994 L’oiseau vert, d’après Carlo Gozzi, de Benno Besson, mise en scène de Fred Timmermans et Pathy Proesmans. Anciennes usines ACEC (Herstal) Gilles ou l’Etranger, de Mathieu Falla, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Maison de la Métallurgie (Liège) 1995 L’emporte-pièce, de Mathieu Falla, mise en scène, décors et costumes de Vivienne Martin. Local du Conservatoire (Liège) Le chasseur français, de Boris Vian, mise en scène de Michel Gramme, arrangements musicaux de Michel Jaspar. Salle des Waroux (Liège) 1996 Les amours de Don Perlimplin et de Bélise en son jardin, de Federico Garcia Lorca, mise en scène, décors, et costumes : Francis Sourbié et Françoise Varenne. Théâtre de l’Etuve (Liège) Les Ennemis, de Maxime Gorki, mise en scène, décors et costumes de Vivienne Martin. Salle des Waroux (Liège) 1997 Hôtel titre provisoire, de Laurence Adam, mise en scène, décors et costumes de l’auteur. La Courte Echelle (Liège) Théâtre à domicile, de Vincent Kelner, mise en scène de l’auteur et Michel Gramme. Lieux divers Oubliez le guide…, de Mathieu Falla, mise en scène et costumes de Robert-Gaël Maleux. Maison de la Métallurgie (Liège) 1998 Variations sur le canard, de David Mamet, adapation de Pierre Laville, mise en scène de Luc Jaminet, création musical de Sidi Hamra. La Courte Echelle (Liège) 1999 Adrienne Marthe Pélouagne 1933-1982, de Mathieu Falla, mise en scène, décors et costumes de Francis Sourbié. Salle des Waroux (Liège) 118 Annexe 3 : Curriculum Vitae de Mathieu Falla tel que fourni par Vivienne Martin En tant qu'auteur292 : 1963 : Le combat de Thanatos (1er prix du Cercle Interfacultaire de Littérature de l'U.Lg.) 1964 : Adieu Amanda - poèmes et nouvelles - Les solliciteurs 1965 : L'intrus Prix Spécial de Littérature du Cercle Interfacultaire de Littérature de l' U.Lg. 1966 : Médée 1970 : Ratnavali, d'après Harsa - Une poule sur un mur 1972 : Henry VI, d'après Shakespeare 1975 : Mélusine 1977 : L'Aigle se réjouira... (Prix de littérature dramatique de la Province de Liège) 1978 : Anticosi 1979 : La Rose et le Chardon - Vers à l'ancienne - Satiricon, d'après Pétrone 1980 : Tricoter à Pontoise - Les Gueux, d'après Hugo 1981 : Petite suite tolosane - Ordalie ou la mise en abîme - Promenades occitanes 1982 : Satiricon 2 1983 : Les printemps dérobés 1984 : Adrienne Marthe Pélouagne, un vécu 1985 : Les amours de Mariana 1994 : Gilles ou l'Etranger 1995 : L'emporte-pièce 1997 : Oubliez le guide... En tant que comédien : Au Théâtre de la Communauté : Impromptus (Obaldia) Histoire de Vasco (Shéhadé) Au Théâtre Universitaire Liégeois : Au Théâtre de l'Etuve : La condamnation de Banquet (anonyme) L'intrus - Les solliciteurs (Falla) Volpone (Ben Jonson) L'homme, la bête et la vertu (Pirandello) Les 17 Jésus (Willemaers) La guerre de la vache (Avermaete) Les mystères de l'amour (Vitrac) Au Centre Dramatique de Liège : Sappho (Durrell) Le trompeur de Séville (Tirso de Molina) Georges Dandin (Molière) Au Théâtre de la Cornue : 292 Salomé (Wilde) Satiricon 2 (Falla) Les amours de Mariana (Falla) Arden de Ferversham (anonyme) Bains-douches (Maïakovski) La métaphysique d'un veau à deux têtes (Witkiewicz) La Tosca (Sardou) Casimir et Caroline (von Horväth) La comtesse d'Escarbagnas (Molière) Ne sont repris que les textes joués ou publiés. Les autres sont dans les tiroirs... 119 Gilles ou l'Etranger (Falla) Les amours de Dom Perlimplin... (Lorca) Les ennemis (Gorki) Au Petit Théâtre (de l'O.R.W.) : Au Moderne : Mathilde (d'après Rilke) L'habilleur (Harwood) Au Théâtre de Novembre (Paris) : Satiricon (Falla) Le guignol au gourdin (Lorca) La Tosca (Sardou) En tant que metteur en scène : Ratnavali (Falla, d'après Harsan, traduit par Jean Kellens) La Rose et le Chardon (Falla) Henry VI ou la guerre des deux roses (Falla, d'après Shakespeare) L'équarrissage pour tous (Vian) La Grande Muraille (Frisch) Mélusine (Falla) La famille de Carvajal (Mérimée) Les gueux (Hugo) (adaptation) Les amours de Mariana (Falla) 120 Annexe 4 : Photographies de la mise en scène de Salomé par Francis Sourbié, au Théâtre Mouffetard, 1 mars 1988. Source : BnF, « Salomé », In Data, Site des ressources en ligne de la BnF [En ligne], URL : http://data.bnf.fr/39491756/salome_spectacle_1988/ ,(consulté le 15 juin 2017). 121 Annexe 5 : Photographies de la mise en scène d’Aliénor ou l’Aigle se réjouira par Francis Sourbié, au Théâtre Mouffetard, le 5 mars 1992 Source : BnF, « Aliénor ou l’Aigle se réjouira », In Data, Site des ressources en ligne de la BnF [En ligne], http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9065251h (consulté le 15 juin 2017). 122 Table des Matières Remerciements ..................................................................................................................... ii Introduction .......................................................................................................................... 1 Chapitre I : Problématisation d’une trajectoire littéraire et artistique.................................. 5 I.1. Ambitions artistiques d’un étudiant romaniste. ......................................................... 6 I.2. Un début de carrière dans l’enseignement secondaire............................................. 19 I.3. Un tournant décisif ?................................................................................................ 22 I.4. Collaborations culturelles ........................................................................................ 27 I.5. Conclusion ............................................................................................................... 32 Chapitre II : Quel placement au sein d’un Théâtre Universitaire en mutation ? ............... 34 II.1. Une Dynamique centrifuge .................................................................................... 35 II.2. Émanation estudiantine .......................................................................................... 37 II.3. Vers une structure encadrée ................................................................................... 38 II.4. Tradition et Innovation ........................................................................................... 40 Chapitre III : Perméabilité des réseaux amateur et professionnel ...................................... 61 III.1. Formation d’une troupe amateur ........................................................................... 62 III.2. Théâtre amateur et théâtre professionnel : des vases communicants .................... 77 III.3 Perméabilité des réseaux ........................................................................................ 87 CONCLUSION .................................................................................................................. 95 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 99 ANNEXES ....................................................................................................................... 111 Annexe 1 : Chronologie des spectacles du Théâtre Universitaire (Royal) de Liège TU(R)Lg ...................................................................................................................... 112 Annexe 2 : Chronologie des spectacles de la Cornue .................................................. 117 123 Annexe 3 : Curriculum Vitae de Mathieu Falla tel que fourni par Vivienne Martin... 119 Annexe 4 : Photographies de la mise en scène de Salomé par Francis Sourbié, au Théâtre Mouffetard, 1 mars 1988.............................................................................................. 121 Annexe 5 : Photographies de la mise en scène d’Aliénor ou l’Aigle se réjouira par Francis Sourbié, au Théâtre Mouffetard, le 5 mars 1992 ......................................................... 122 Table des Matières ........................................................................................................... 123 124